Le Vent de la Chine Numéro 3031

du 23 septembre au 6 octobre 2012

Editorial : Îles Diaoyu : manifs et achat «farces»

Huit jours après les faits, le rachat-nationalisation par Tokyo des îles Diaoyu-Senkaku était qualifié (18/09) par le vice-président Xi Jinping de « farce ». Sans aller jusque-là, le 1er ministre nippon Yoshihiko Noda admettait (18/09) avoir sous-estimé les tensions qui suivraient. Cette autocritique voilée était liée à la visite de Leon Panetta, le patron de la défense américaine, aux deux capitales nippone et chinoise, pour refroidir les esprits suite à 4 jours de campagne (15-18/09) de réaction agressive côté continental. 

Dans 85 villes se succédèrent des manifestations antinippones petites, mais très organisées. Les participants formaient un éventail bigarré de mécontents, entre jeunes heureux de se défouler, patriotes et nostalgiques de Mao. L’agit-prop fournissait la logistique : porte-voix et slogans, et les bouteilles d’eau et œufs à jeter contre les sites japonais, projectiles bénins qui permettaient en fait de limiter les destructions. Mais pas toujours : dans bien des villes, des voitures (même privées, même made in China) furent brûlées au seul fait d’être de marques du Soleil Levant. Des restaurants, supermarchés, concessionnaires nippons furent saccagés. Usines et commerces japonais, protégés par la police, fermèrent un à deux jours. Puis le 18/09 au soir, par l’envoi de quelques millions de SMS bien ciblés, Pékin décréta la fête finie: obéissant, le mouvement se figea. 

Cependant l’affaire coûtera, des deux côtés. Juste reconfirmé à la tête de son parti démocratique d’ici les législatives de 2013, Noda, prêche la fermeté et envoie la note des dégâts à Pékin. Réalisé juste avant les violences, un sondage Reuters auprès de 400 compagnies nippones grandes/moyennes en Chine, voit 41% d’entre elles affirmer que l’affaire de cet archipel inhabité affectera leurs investissements d’avenir. Elles se plaignent aussi de discrimination administrative, et de l’épée de Damoclès pendue au dessus d’elles, d’un boycott toujours possible, imposé par le pouvoir absolu (en un jeu du chat et de la souris). Les plus échaudés parlent de départ. On n’en est pas à remettre en cause les 345 milliards $ d’ échanges bilatéraux, ni des 9,2 millions d’emplois nippons en Chine (en 2005), mais la relation n’est pas ressortie indemne – les fêtes du 40e anniversaire des liens diplomatiques, cette semaine, sont réduites à la portion congrue : on semble revenu aux pires temps de mauvaise entente, sous le 1er ministre de l’époque, le négationniste Junichiro Koizumi (2001-2006). 


Pourtant sur le fond, ces 7km² de rochers n’ont pas d’enjeu tangible, et leur passage sous drapeau rouge est invraisemblable à court terme – les USA viennent de réitérer leur engagement à les défendre aux côtés de l’armée nippone. Dans ces conditions, la vivacité de la réplique chinoise pourrait refléter le besoin de l’APL, l’armée chinoise, en missions et cibles justifiant le maintien de son énorme budget annuel, et plus immédiatement, celui du Parti en une diversion (un écran de fumée) sur ses déchirements internes à deux semaines du Congrès.
La Chine et le monde, doivent s’interroger sur la qualité des rapports politiques qu’elle veut mener avec le Japon : est-il normal qu’elle garde avec des pays dangereux tels Iran ou Corée du Nord des liens plus étroits qu’avec Tokyo ? Une alliance nippone n’accélérerait-elle pas plutôt la stabilité et la croissance d’Asie ? 

D’autre part, l’exploitation de la rue par le régime, comme si le Parti était le miroir de l’âme du peuple, commence à poser problème. La main de l’Etat apparaît dans ces manifs, affaiblissant la légitimité du message. D’autant que des participants y détournent le slogan, les remplacent par leurs propres mots, s’appropriant ainsi un forum interdit par ailleurs. Les portraits de Mao, les cris de « démission aux traitres », ou « Bo Xilai est au cœur du peuple », s’adressent moins au Japon qu’au régime-même: une méthode d’agit-prop commence à patiner. 


Défense : Chine /USA – une amitié complexe…

L’affaire des Diaoyu-Senkaku a posé aux autorités chinoises une difficulté, quand atterrit le secrétaire américain à la Défense, Leon Panetta. Alors que volaient les projectiles des manifestants sur l’ambassade nippone, il s’agissait de rassurer les USA sur l’amitié prioritaire de la Chine envers elle.
Aussi Panetta fut-il reçu par le vice-président Xi Jinping (qui rattrapa ainsi son rendez-vous manqué avec H. Clinton le 04/09), et aucun geste de courtoisie ne fut épargné. Panetta d’ailleurs, abonda dans le même sens : « en travaillant ensemble… nous pouvons régler les problèmes ensemble »! Certes, sur ce différend, la Chine garda ses doutes sur la «neutralité» des USA —que Panetta réitéra avec force, plaidant pour plus d’« engagement » et de « trilogue » avec Tokyo…

Symbole, pour la première fois depuis des ans, les deux flottes se livraient (17-19/9) à des exercices bénins au large du Golfe d’Aden, sur le thème de la défense contre les pirates. Même en course pour le leadership sur la région, Chine et USA n’ont d’autres choix pour l’heure, que de miser sur la coopération. 

Un seul incident ternit cette belle amitié : l’attaque (19/09) de 50 manifestants contre l’ambassadeur G. Locke dans sa voiture, qui en sortit bosselée. Sans aller jusqu’à s’excuser, la chancellerie chinoise exprima ses « regrets » et lança une « enquête ». Les fauteurs pouvaient être des citoyens vivant mal le soutien militaire américain au Japon ; ou bien d’autres, furieux de la dernière plainte des USA auprès de l’OMC (17/09), contre un dumping chinois sur les exportations de voitures et de pièces de rechange…


Technologies & Internet : Travaux d’hiver, en automne

En dix ans, protégés de la concurrence étrangère, des groupes nationaux sont nés et ont cru à pas de géants. Mais à présent par temps de récession, ils consolident leurs réseaux, et révisent leurs pratiques, afin d’investir dans une image responsable et de pouvoir rebondir, quand viendra la reprise: 

<p>- Baidu, du milliardaire Robin Li, perd un procès (18 09) contre 3 écrivains dont le bloggeur Han Han et le romancier Murong Xuecun dont il avait placé les œuvres sur Wenku, son site gratuit. 

La cour leur accorde 145.000¥. Mais ces derniers voulaient 766.000¥ et le préjudice réel est en millions de ¥.
Comme la cour refuse aussi de faire fermer le site coupable, les auteurs concluent : « la justice ne peut, et peut-être ne veut pas, assurer une protection efficace à la création artistique sur internet ». Par contre Baidu affirme avoir renoncé à la pratique, et à avoir éliminé 2 millions d’offres gratuites sur Wenku.
D’autre part, de façon plutôt drôle, Baidu appose sur son site internet ce petit logo qui l’évoque à la cime des îles Diaoyu : renforçant ainsi son image patriote en Chine, mais certainement pas au Japon, où il s’implante depuis 2011… 

Alibaba, le galeriste en ligne, rachète 17% des 40% d’actions acquises par Yahoo! en 2005 : libération, et un pas vers sa future entrée en bourse. 
Yahoo! avait payé 1 milliard de $, et récupère 6,8 milliards de $ (dont 4,3 en cash) : belle affaire. Mais depuis l’entrée de Yahoo! dans son capital, le chinois s’est vu réévaluer à 40 milliards de $, tandis que l’américain plafonne à 20 milliards de $ : «ainsi passe la gloire du monde» !


Energie : Centrales solaires – la fuite en avant

En 2010, l’ANE, l’Administration nationale de l ’Energie, comptait installer pour 5GW de centrales solaires sous 5 ans. 

<p>Aujourd’hui, après 3 doublements, elle viserait 40GW en 2015. Vu de plus près, le plan apparaît moins une stratégie conquérante, que le sauvetage d’urgence d’un marché en panne. Car les fabricants ont 110 jours d’invendus, contre 42 ailleurs, soit 5GW, équivalant à 15% d’un an de besoins des 5 continents. 

C’est alors que démarre la procédure antidumping de l’Union Européenne, s’ajoutant aux taxes compensatoires des USA. La conséquence sera une chute du prix mondial du panneau photovoltaïque, de 0,87$/watt au 2nd trimestre à 0,58$, selon l’institut IHS. La capacité nationale de production est de 50GW, 20% de plus que la demande mondiale. Aussi l’Etat n’a de choix, pour sauver son secteur (dont les parts en bourse ont chuté entre 50 et 75% en 12 mois) que de reprendre et s’installer une partie des stocks… au prix plancher… sans garantie de bon raccordement au réseau.

Pour assainir le marché, il faudrait fermer un tiers des usines. Déjà SolarLDK, un des « gros », va débaucher 22% du personnel, soit 5554 agents. Sur le fond, on retrouve sur ce marché une contradiction présente sur tous les autres en Chine : assoiffées d’emplois, les provinces subventionnent, s’entretuent à coup de dumping, sur sol chinois, puis à l’export. Pékin n’arrive pas à ramener la production aux besoins même mondiaux. C’est une faiblesse systémique, apparemment inguérissable. 


Société : Semaine d’or : le feu craché du dragon tourisme

Les 8 jours fériés de la fête nationale (01-08/10) s’annoncent radieux pour le tourisme. Malgré des tarifs « haute saison » affûtés de 20-30%, les Chinois devraient faire exploser les records de chiffres d’affaires, notamment ceux des voyagistes en ligne comme Ctrip, Elong ou Qunar…
« Le tourisme entre dans un âge d’or en Chine », commente Liang Da, du Bureau national des Statistiques (NBS). En 2011, le pays avait enregistré 2,6 milliards de touristes (+13,5%), qui avaient dépensé 240milliards d’€. De leur côté, à 135 millions, les étrangers en Chine quintuplaient leur cohorte depuis 1981, et les Chinois hors frontières progressaient de 22% sur 1 an, à 70 millions. 

Derrière l’explosion de l’industrie du voyage-détente, il y a une politique de long terme, avec normes, subventions, inspections. Le tourisme rural est promu depuis le tournant du siècle, calqué sur le modèle français avec concours du village fleuri, subventions aux équipements publics, primes aux gîtes ruraux…. C’est un puissant moyen d’arrimer les paysans à leur campagne, tout en offrant aux citadins (nostalgiques de leur passé rural) un bol d’air à bas prix. 

Promu « industrie stratégique » en 2009, le tourisme assure 4% du PIB. En y ajoutant les transports et dépenses connexes, il soutient 9% du PIB, soit plus que l’industrie auto (8,5%). Selon l’étude publiée le 17/09 par le WTTC, il assurerait en Chine 62 millions de jobs, et 1 million de $ investis dans le secteur rendrait 1,4 million$ par an, et créerait 144 jobs. A tel rendement, il est le champion toutes catégories de l’emploi, « pesant » 90% des revenus de l’hébergement ou 80% des transports. Face à cette société qui se met à consommer (après des décennies d’épargne forcenée), le tourisme détient en Chine la meilleure perspective de croissance avec 9% par an d’ici 2022, bien plus que celle du PIB actuel (7,6%).

Mais bien sûr, il peut (bien) mieux faire. Parmi les niches encore sous-exploitées figure le troisième âge, déplore (10/09) Yu Ningning, président de CITS, le géant du voyage organisé: cette tranche d’âge aux besoins biologiques, nutritionnels clairement reconnus (un régime moins gras et salé, un rythme de voyage moins « speed », une infirmière à proximité) a été négligée. De la sorte, seuls 20% des touristes chinois sont sexagénaires, contre 50 à 60% ailleurs – un manque à gagner très sérieux, car on parle d’une couche sociale avec solide épargne, parmi les plus nanties, demandeuse de voir le monde dont elle a rêvé toute sa vie. Elle est aussi moins regardante,

Très conscients de l’immense et bénéfique enjeu du tourisme de demain, les députés de l’ANP planchaient d’ailleurs le 27/08 sur une future Loi du tourisme, qui normalisera bien des domaines, pour l’instant livrés à eux-mêmes : la protection des sites, les devoirs des pouvoirs locaux, la répression de pratiques inadmissibles mais encore courantes comme celle du tour « gratuit » ou à prix d’appel qui offre en guise de vacances, la visite exclusive de marchands de tabac, parfums ou bijoux, ou comme l’hébergement déclassé (en Chine comme à l’étranger) en guise des hôtels à étoiles promis sur contrat. 

Ce nettoyage du marché, se fait dans son intérêt bien compris : car ces arnaques deviennent notoires par la voix des victimes, et freinent l’ardeur des clients potentiels. C’est une des causes du ratage, déjà annoncé, de l’objectif de 100 millions de touristes visiteurs à l’étranger pour 2015 ! 


Politique : Affaire Bo Xilai – vers le dénouement

Si un mois après la condamnation de Gu Kailai, épouse de BoXilai (pour le meurtre, 19/11/2011 du Britannique N. Heywood), nous annonçons le procès de Wang Lijun (18/09), c’est qu’il évoque le dénouement d’un drame du Parti communiste chinois (PCC) et permet d’en éclairer des ombres, tels les 15 jours d’absence de Xi Jinping à six semaines de son adoubement comme chef du régime. 

<p>Ex-bras droit de Bo, chef de la police de Chongqing, la métropole du centre, Wang est inculpé pour tentative de défection, couverture d’un crime, abus de pouvoir (écoutes téléphoniques de leaders comme Hu Jintao) et pour 3 millions ¥ de bakchich. Jusqu’alors, bien des détails, comme les 10 mois de délai au procès de Gu, évoquaient un lobbysme puissant pour protéger Bo, par les grandes familles du PCC, Jiang Zemin en tête. Historiquement, Jiang doit beaucoup à Bo Yibo, le père de Bo Xilai. Ainsi au verdict de Gu, on vit censurée toute suggestion d’une complicité du mari –les chances de relance de sa carrière restaient ouvertes.

La surprise vient du rapport de Xinhua (19/09), qui minimise la faute de Wang. 
Oui, il a voulu « passer à l’ennemi » au Consulat des USA à Chengdu, mais il craignait pour sa vie. Après le crime, Il avait protégé Gu, à cause de Bo. Puis en janvier, se ravisant, il voulait laisser la justice poursuivre son cours : Bo avait alors giflé ce compagnon de 20 ans, et tenté des pressions directes pour étouffer l’affaire. Tout en portant encore les traces de divisions de l’appareil sur le cas de Bo (pas une fois n’y apparaît son nom), le rapport suggère que la décision de culpabilité politique est prise—le verdict (sans doute lourd) est pour ce lundi 24). Il ouvre aussi la voie à son propre procès, et prépare l’opinion à une implication criminelle qui, si elle se confirme, sonnera le glas à la carrière du flamboyant leader gauchiste. D’autant que cette incrimination peut en inspirer d’autres : meurtres, abus de pouvoir, corruption, sédition… 

Le dilemme du régime entier tient à ceci : 
– Les « affaires » éclaboussent tous les bords (le clan de Hu, la Ligue de la Jeunesse, avec l’insolite scandale de la « Ferrari rouge », accident fatal d’un fils de la haute en compagnies galantes). Un déballage général aboutirait à une déchirure peut-être irréparable de son image – aggravée par des règlements de comptes : durant 10 mois, le sommet de l’appareil, déchiré, fut tenté de tout cacher.
– Mais, à ne rien nettoyer, on laisse croître, hors des limites du supportable, la corruption, le pouvoir de lobbies accrochés à leurs privilèges, et l’on bloque les urgentes réformes (du crédit, et du droit du sol).

Sacrifier Bo, et personne d’autre, pourrait être la solution visée. Mais celle-ci s’accompagnera forcément de résistances, de la part de ceux qui y perdront. C’est peut-être à quoi auront servi les 15 jours de «black-out» de Xi, à l’issue desquels il réapparaît frais comme un gardon. On pense que ce temps a été mis à profit pour négocier « au forcing » avec Hu Jintao, voire Jiang Zemin. Selon l’ex-gouverneur de Hong Kong, Tung Chee Hwa, intime des deux leaders, Hu obtiendrait deux ans de plus à la tête de la CMC, la Commission militaire centrale, en compensation de la non élévation au Comité permanent de Ling Jihua, son bras droit impliqué dans l’affaire Ferrari. Il obtiendrait aussi l’incrimination de Bo, qui le renforcerait, mais Xi Jinping aussi. Qu’a obtenu Xi en échange ? Trop tôt pour le dire, mais son retour sur scène, et son sourire suggèrent qu’il aurait gagné assez pour entamer son règne.


Diplomatie : Chine / Union Européenne – la belle au bois dormant

Le 20/09 à Bruxelles, pour leur XVe Sommet, Union Européenne et Chine convinrent de glisser sur leurs contentieux : sur l’embargo sur les ventes d’armes (que Bruxelles refuse de lever) et le statut d’économie de marché (qu’elle refuse à Pékin). 

<p>Sur la taxe des émissions de CO2 aux avions civils, percevable depuis le 1er janvier 2012, que la RP Chine boycotte. Sur ces actions antidumping de l’Union Européenne contre les aciers revêtus (19/09) ou panneaux solaires chinois (06/09). Par geste diplomatique comme par manque de données (Ericsson, Siemens ou Alcatel ayant boudé l’enquête, par peur de rétorsions sur leurs intérêts en Chine), la Commission suspendit l’action contre les équipementiers télécoms Huawei et ZTE.

Deux accords de coopération furent signés, petits, mais significatifs : un triple programme de réduction des gaz à effets de serre sur 4 ans, assorti d’introduction de droits d’émissions cessibles, et un accord EUCOHS de sécurité minière, qui espère transférer le savoir-faire européen jusqu’à éradiquer la mortalité dans les mines chinoises. 

Affable comme toujours, Wen Jiabao suggérait que son pays ne cesserait d’acquérir des bons d’Etats européens, et le ferait « sans regard aux litiges bilatéraux » – mais à l’accoutumée, Wen n’offrit aucun détail, ni chiffres ni dates. 

Toutefois, des voix se lèvent depuis deux ans, se demandant si ce choix des 27 de se faire renflouer par la Chine en ordre dispersé, n’est pas plus risqué que de laisser l’Union Européenne emprunter en son nom propre, pour tous ! Parmi ces critiques, figurait François Hollande, alors candidat à la Présidence française…


Portrait : Portrait : Li Keqiang, l’émule surdoué

Né en 1955 à Dingguan (Anhui), Li Keqiang, est envoyé en 1976 à Fengyang, même province. Cette même année, il entre au Parti et est nommé Secrétaire dans sa « brigade de production », signe d’un fonceur brillant. Certes, l’époque joue en sa faveur : après 10 ans de « Révolution Culturelle », le Parti est exsangue et déconsidéré. Mais Li a su deviner l’opportunité.

En 1978, il est envoyé à Pékin, inscrit à Beida qui vient de ré-ouvrir. Il se rapproche alors de dissidents, mais sait s’en écarter à temps. Il adhère bien sûr à la Tuanpai (团派), Ligue de la Jeunesse. Divine surprise, elle est dirigée par Hu Jintao, son aîné de 13 ans, lui aussi natif de l’Anhui. Hu le prend alors sous son aile, lui ouvre une carrière. En 1982, il obtient sa maîtrise de droit et en 1984 son doctorat. Il entre à l’école du Parti en 1991. Quand il quitte la Ligue en 1998, (à 43 ans), il en est le Secrétaire général. Pendant toutes ces années, il s’adonne au tennis avec des leaders réformistes, tels Hu Qili, Li Ruihuan – ou Hu.

D’abord nommé au Henan (1998-2004), il passe Secrétaire au Liaoning jusqu’en 2007. Par trois fois, sa carrière est menacée mais chaque fois, il franchit l’obstacle :

– En 2004, Secrétaire du Henan, il voit éclater le scandale du sang contaminé, plombant des centaines de milliers de paysans dans la province. Mais Hu lui sauve la mise.

– En 2007, au XVII. Congrès, Hu veut en faire son successeur en 2012. Mais l’espoir est brisé par une coalition menée par Jiang Zemin. Outre son déficit en charisme et son alliance avec Hu, on lui reproche sa formation de juriste – il n’est pas ingénieur. Il reçoit alors en « lot de consolation », un poste de vice-premier ministre, futur n°2 en 2012.

– Même pour cette fonction, en 2011 et 2012, il se voit talonné par une étoile montante, Wang Qishan. Soutenu parson Club de Shanghai, il propose pour Li Keqiang la présidence de l’ANP, le taxant de manque de vision d’avenir.

Pour se sauver, Li Keqiang, toujours soutenu par Hu, va multiplier les initiatives. Il plaide pour l’innovation et la recherche. Il avertit contre une inflation mondiale. Il veut que soient punis les fabricants d’aliments frelatés et réclame de l’équité dans la distribution des HLM.

Par cette attitude, on voit le caméléon-Li Keqiang : après s’être fait clone de Hu Jintao, se faire celui de Wen Jiabao, le premier ministre populiste, connu pour ses récurrentes envolées démocratiques, rarement suivies de passage à l’acte. Comme pour se préparer à jouer son rôle dans le couple « good cop/bad cop » que se partagent depuis 15 ans les deux grands édiles de la nation, Président dur (Jiang Zemin, Hu Jintao, voire Xi Jinping), et Premier ministre sympa (Zhu Rongji, Wen Jiabao, puis Li Keqiang).

Une autre de ses forces, qui l’a sans doute sauvé, a été son entregent : 23% des 371 membres du Comité Central, sont passés par la Tuanpai, ont été sous ses ordres, et placés grâce à lui. Enfin, Li a aussi sauvé sa place, en réussissant, bien plus que Xi Jinping, à se tenir à l’écart de la météorite Bo Xilai, véritable trou noir qui allait mettre en difficulté plus d’un, une fois l’homme tombé.


Portrait : Portrait : Zhang Dejiang, les « épaules d’acier »
Portrait : Zhang Dejiang, les « épaules d’acier »

Même pour un homme du sérail comme Zhang Dejiang, la mission d’aller, en mars dernier, à Chongqing purger la mairie de Bo Xilai, n’était pas la plus facile. Car, quoiqu’en disgrâce, ce tribun restait très aimé, au PCC et par la rue. Aussi fallait-il pour Zhang avoir ces « épaules d’acier » du bon communiste selon Mao : la capacité de frapper sans scrupule, ceux, fussent-ils d’anciens compagnons proches, que le Parti désigne. À 66 ans, c’est avant tout pour s’être acquitté de la besogne sans broncher que ce vice-1er ministre figure en bonne place au futur Comité Permanent – membre probablement le plus conservateur.

Zhang est né en 1946 au Liaoning. « Jeune instruit », il est envoyé à 22 ans à la ferme à Wangqing (Jilin). Puis en 1972, pour mieux servir les masses, il part pour Yanbian, fief de la minorité coréenne, apprendre la langue à l’université ethnique locale. L’appétit vient en mangeant : il fera un master d’économie… à l’Université Kim Il-sung de Pyongyang (1978-1980).

A son retour à Yanbian, « Mr Corée » parvient à endiguer l’immigration de Corée du Nord. Puis en mars 1990, le Président Jiang Zemin, devant se rendre au pays du Matin calme, le prend comme interprète. Mission importante, car elle rompt l’isolement d’une Chine sur la touche après les événements du 4 juin 1989. Jiang découvre alors le jeune loup gauchiste. Sept mois après, il sera jusqu’en 1995 le Secrétaire du Parti à Yanbian, où il créera un « modèle de développement » spécial (le seul succès d’intégration de minorités non-Han).

Etoile montante du Club de Shanghai, Zhang passe Secrétaire du Jilin (1995), du Zhejiang (1998), du Guangdong (2002). Partout, il joue la musique conservatrice de son clan : priorité aux chantiers d’équipements, à l’industrialisation (en surveillant de près le privé), et main de fer sur tout soulèvement. Une intolérance qui lui vaut des critiques : en 2003, au Guangdong, il censure l’existence de l’épidémie de SRAS, empêchant d’organiser à temps la prophylaxie – touchant de ce fait, Hongkong, puis Pékin. Et en 2005, à Dongzhou, où il fait mater une révolte de villageois expropriés : 20 morts.

Mais pour Pékin, seul le résultat compte. À Canton en cinq ans, le PIB a augmenté de 80%. Pour Dong Liwen, prof. à l’univ. de la police à Taïwan, « ce lien de la croissance et de l’écrasement de toute opposition fait de Zhang Dejiang, pour Jiang Zemin, une figure-clé de sa stratégie de pouvoir au XVIII. Congrès ». En 2008, Zhang est nommé vice-1er. 

Mais une dernière erreur manque de lui coûter cher : en juillet 2011, lors de la collision de TGV à Wenzhou (40 morts), il ordonne d’enterrer les wagons sinistrés. Rediffusées à travers la planète, ces images irresponsables vont entacher l’image du pays. Zhang aurait perdu toute chance de promotion, sans l’échappée de Wang Lijun au consulat US de Chengdu, et l’appel fait à lui comme « Mr propre » à Chongqing, qui lui sauve la mise. Au demeurant, il faut lui reconnaître certaines qualités, comme la compétence administrative, ainsi que l’absence de toute rumeur de corruption autour de lui.

Partisan de la poursuite de l’ouverture du pays, Zhang reste un défenseur de la planification d’Etat et des entreprises publiques. Le secteur privé doit, pour lui, être strictement encadré. Atout n°1 de Jiang Zemin au sein du Comité Permanent, Zhang, déjà âgé, n’effectuera au mieux qu’un mandat jusqu’au prochain Congrès (2017), où l’atteindra la limite d’âge. Il entre en ce panthéon du pouvoir, avec une mission : interdire tout affaiblissement du front du refus à toute réforme.


Sport : La Chine intègre (ou rapatrie) le Golf

Le premier « 18 trous » sur gazon en Chine ne verdissait qu’en 1984, avec quelques dizaines de membres. Puis la petite balle blanche a pris son envol. 

Aujourd’hui, les golfeurs seraient 3 millions et d’ici 2020, selon Huidian Research, ils devraient passer à 20, voire 50 millions, pour un marché peut-être vingtuple des 7,2 milliards d’€uros qu’il atteignait en 2009. Au discret mépris des plans d’occupation des sols des ceintures vertes des villes, et des exhortations aux économies d’eau…

C’est que le golf pèse lourd, en profits et en emplois. En secrétariat, cafétéria, caddies, tondeurs ou experts brumisateurs, chacun des 600 terrains actuels assure 400 jobs. Une centaines d’universités ne s’y sont pas trompées, et ouvrent ces dernières années séminaires et cours (management de club, « practice », règles, service client, organisation de tournois)… A Shijiazhuang (Hebei), l’Institut d’éducation physique facture aux jeunes 12.000 ¥ l’année – double des autres disciplines, mais fait amphi-comble du fait de l’emploi assuré à la sortie.

La fièvre du golf est catalysée par les succès des jeunes, à l’assaut des greens mondiaux. Feng Shanshan, n°5 mondiale, remporte en juin à Pittsford (NY) le Championnat LPGA. C’est une première mondiale pour ce tournoi très prisé. À 23 ans, avec déjà sur son compte 2,3 millions de $, elle est en bon chemin pour devenir « la Tiger Woods chinoise ». 

Voilà une fille sur qui la Commission nationale des sports souhaite investir : aux JO de Rio 2016, après 112 ans de ban, le golf sera de nouveau présent. Aussi dès 2009, la Chine lançait ainsi deux tournois de golf-dames : Chinese LPGA Tour et China Amateur Golf Futures Tour. Les centres de formation des provinces sont acquis aux méthodes de training des USA, tandis que les meilleurs préados, triés sur le volet, sont envoyés outre-Pacifique. Rien n’est épargné pour former, à toute vitesse, une couche de champions de niveau international. La tactique semble fonctionner : Andy Zhang, à 14 ans, devenait en juin 2012, le plus jeune participant de l’histoire de l’US Open. En parallèle, un nombre croissant de tournois sont organisés en Chine (28 en 2011), certains de niveau mondial sont retransmis à la TV, tels le Volvo China Open ou l’HSBC Champions, ce qui popularise ce sport. Ainsi, selon Zhang Xiaoning, le secrétaire général de l’Association nationale : « En plus des qualités athlétiques, le golf exige de la technique. Il est donc bien adapté à notre peuple ».

D’autres experts patriotes tentent de faire valoir que comme toute chose humaine, le golf a été inventé au Céleste Empire : sur la fin de la dynastie Song (960-1279), comme jeu d’intérieur, sous les pavillons vernissés de ses palais, la Cour impériale ne s’était-elle pas entichée du « chuíwán » (捶丸), littéralement « taper la bille » ? Sur des terrains de taille modeste, à l’aide de clubs, les joueurs devaient déjà expédier des balles en corne ou en os dans des trous. La Chine avait un bon sept siècles d’avance sur l’Ecosse, qui n’arrêtait ses règles du golf qu’au XVIIe siècle, à quelques décennies de la révolution industrielle. 

Mais fairplay (ou réalistes), les historiens chinois se gardent de réclamer la paternité du golf pour le chuíwán : tout au plus se permettent-ils de poser en hypothèse que des marchands mongols auraient pu, lors de leurs périples, en faire atterrir la balle jusque sur les pelouses humides et immaculées de la perfide Albion !