Agriculture : La Chine, future puissance verte mondiale

On a vu la semaine passée comment la Chine, prenant le monde par surprise, fit racheter par son groupe « privé » ChemChina (n°6 mondial de l’agrochimie), son homologue helvétique Syngenta (n°2). L’acquisition s’insère dans un plan à long terme pour consolider la capacité chinoise à se nourrir, en volume et en qualité. On y voit 4 aspects, tous annonciateurs d’une nouvelle donne : 

1° Réforme politique : Ce rachat a été imposé par l’entourage de Xi Jinping. Constatant l’incapacité du pays à créer une filière fiable et légale d’OGM, ce milieu a retiré le dossier au ministère de l’Agriculture, pour le confier à Syngenta, devenu filiale de ChemChina. Ce choix peut être lu comme un avertissement aux ministères, de s’arracher à l’immobilisme et à satisfaire les intérêts de la nation plutôt que leurs privilèges corporatistes. C’est apparemment un premier fruit des Commissions Centrales « Sécurité publique » et « Approfondissement de la réforme » , créées par Xi Jinping dès son arrivée aux affaires… 

2° Agriculture conventionnelle : Avec Syngenta, la Chine a pris le n°1 mondial de l’agrochimie « blanche », des biofertilisants et micro-organismes de biocontrôle. Syngenta est aussi le troisième semencier pour grandes cultures (céréales, coton) et cultures potagères. Le marché chinois fait déjà 10,4 milliards de $, mais il va exploser à l’avenir, sous la conjonction des technologies nouvelles (y compris celles d’une agriculture épargnant l’eau), de la réforme foncière (portant les fermes familiales de 0,64 hectares aujourd’hui à 5 ha en 2030), par remembrement des terres laissées par les migrants. Le document Central n°1 sur l’agriculture, qui vient de sortir, prétend « accélérer la réforme de l’offre ». Il s’agit de déréguler l’organisation socialiste de stockage –laisser faire le marché, accélérer la transformation et ramener les coûts de production vers les cours mondiaux (1/3 plus bas, pour les céréales). Le pouvoir met toute priorité dans cette modernisation : de 2008 à 2014, selon l’OCDE, le soutien aux 200 millions d’exploitations chinoises est passé de 39 à 327 milliards de $ – presque le décuple ! 

3° Introduction des OGM : Réitéré en 2014 par Xi Jinping, l’objectif national est d’« audacieusement maîtriser les techniques OGM », à commencer par licencier des souches à la culture et à la consommation. Avec l’acquisition de Syngenta, trois raisons de reporter la mise en vente de produits OMG disparaissent : le risque de procès en piratage par Monsanto, celui de faute de manipulation dans les souches génétiquement modifiées par les universités locales, et celui de rejet par l’opinion, influencée par la mauvaise image des OGM en Europe. 

4° La Chine, puissance d’agrobusiness internationale : La frénésie d’achats chinois dans l’agro-alimentaire planétaire ne s’arrête pas là. COFCO rachète 51% des groupes internationaux Nidera (Pays-Bas) et Noble Agri (Hong Kong), qui étendent sur les cinq continents leurs filiales de stockage et de transformation. COFCO a aussi racheté Longping Hightech, le roi du riz hybride. D’autres groupes tels Tunyu Seeds, Dehai, Bright et Sinochem se profilent aussi sur ces marchés. 

Pékin compte sur toutes ces entreprises pour concurrencer les quatre groupes américains et européens dont Cargill et Dreyfus, notamment via les « routes de la soie » (selon le principe « une ceinture, une route ») qui se mettent en place – cette semaine, la première liaison ferroviaire vers l’Iran était ouverte. Sous l’angle de l’agrobusiness, la Chine s’apprête à devenir un acteur majeur, acheteur, transformateur entre Iran, Asie Centrale, Amérique Latine, Afrique, Union Européenne, partout où se produiront les aliments de demain !

Restent dans cette perspective, des inconnues essentielles : 

– Comment réagiront les Etats-Unis et Monsanto à cette remise en cause de leur hégémonie agro-alimentaire ? Si la Chine octroie le monopole de son marché à Syngenta, ce dernier perdra probablement celui des Etats-Unis, soit 25% de son chiffre d’affaires en OGM. Mais le gain compensera probablement la perte… 

– ChemChina dispose-t-il des experts (financiers, agronomes, experts « interculturels ») pour gérer Syngenta ? Pour dialoguer avec cette entreprise aux traditions différentes, concilier sa liberté de création et sa perception des besoins de la Chine et de ses clients du tiers monde ? C’est toute une culture d’entreprise qui est à réinventer. 

– Demain, que rachètera la Chine à l’étranger pour consolider son agriculture, ses approvisionnements en céréales et oléoprotéagineux et se doter d’une industrie agroalimentaire moderne ? De nouveaux fournisseurs tel le Kazakhstan sont déjà aux portes, prêts à relayer les USA…

– A l’horizon 2030, l’agroalimentaire chinois revivifié sera-t-il un danger pour les agricultures matures ? Vu la résilience de son monde rural et son soutien étatique, la réponse, dès maintenant, est probablement positive ! 

Les réponses à ces questions conditionneront la recomposition d’une agriculture mondiale qui, pour nourrir deux milliards d’humains en plus, d’ici 2050, devra avoir (selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) gagné 60% en productivité—malgré l

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