Agriculture : La Chine va-t-elle miser sur les « fermes verticales »?

La Chine va-t-elle miser sur les « fermes verticales »?

Depuis une dizaine d’années, Japon, Singapour, Amérique du Nord, Proche- et Moyen-Orient, Europe mettent en service des « fermes verticales » en complément de leurs agricultures traditionnelles. Contrairement aux serres, ces exploitations sont des enceintes totalement closes, hermétiques aux bactéries et aux insectes, où la température est régulée en permanence et la culture assurée par une technologie combinant hydroponie[1] et éclairage LED, en lieu et place des rayons solaires. On y produit surtout des légumes-feuilles, des plantes aromatiques, des légumes racines, des fruits rouges mais aussi quelques poissons, crevettes (aquaponie) ou insectes, la panoplie de ces productions se diversifiant vite (riz, blé…).

Les motifs qui poussent ces pays à développer cette technique agricole varient considérablement d’une zone à l’autre : pollution des sols depuis la catastrophe de Fukushima au Japon ; manque absolu de terres à Singapour, production de cannabis au Canada et aux Etats-Unis ; recherche de produits frais toute l’année, réduction de l’empreinte écologique et développement de circuits courts en Europe ; manque drastique d’eau au Proche-Orient…

Et la Chine dans tout ça ? Le pays dispose de moins de 10% de terres arables pour nourrir un cinquième de la population mondiale et ces dernières sont en diminution constante, conséquence de l’urbanisation accélérée. Or, ses terres sont polluées par les rejets industriels et de fortes doses d’engrais et de phytos. Il en est de même pour l’eau d’irrigation. Ainsi la majorité des légumes et autres productions végétales produites aux champs ou en serres contient des métaux lourds ou des résidus chimiques à des taux qui seraient inacceptables dans l’Union Européenne, au point que les laboratoires de la plupart des instituts chinois ne sont pas autorisés à les communiquer au public. Quant aux productions dites « bio » (有机), elles sont loin d’être suffisamment contrôlées par les pouvoirs publics pour constituer une garantie sanitaire…

Dans un tel contexte, les fermes verticales semblent être la solution idéale à tous ces maux. D’autant que le Président Xi Jinping apparaît être agacé par la lenteur à laquelle le pays modernise son agriculture, d’après un article publié par le magazine Qiushi le 15 mars.

En effet, ces fermes 3.0 permettent une production agricole planifiée, moins dépendante des aléas climatiques, plus efficace (rendement jusqu’à 1 000 fois plus important au m2), avec une gestion pouvant être automatisée – un critère d’autant plus important au vu du déclin de la population agricole.

Autre avantage : du fait de la brièveté des cycles de culture (15 à 21 jours), la trésorerie des « agriculteurs » est améliorée en leur offrant à des revenus mensuels plutôt que traditionnellement annuels.

Ces « fermes verticales » ont également un impact foncier négligeable, souvent implantées sur des friches industrielles, ce qui permet de les rapprocher des consommateurs urbains et de réduire les coûts de transport.

En sus, les cultures hydroponiques ne nécessitent pas de pesticides ou d’engrais chimiques, ce qui devrait rassurer le consommateur. Environ 95% de l’eau utilisée comme vecteur des nutriments est recyclée. 

Enfin, les fruits et légumes issus de ces fermes sont plus goûteux que ceux des serres classiques, car il est possible de faire varier les spectres lumineux des LEDs selon les stades de croissance des plantes de manière à activer les chaînes métaboliques responsables de la fabrication des arômes.

L’argument le plus fréquent en défaveur des fermes verticales concerne la consommation électrique importante de leur éclairage et de leur système de régulation de température. La facture d’électricité représenterait un tiers des coûts opérationnels d’une exploitation verticale. Il n’est cependant pas impossible de combiner les technologies de cultures indoor avec des panneaux photovoltaïques et des batteries de longue durée, dont la Chine s’est faite la championne ces dernières années.

Conséquence de ce modèle énergivore, les prix des fruits et légumes cultivés dans ces fermes verticales sont sensiblement plus élevés que ceux issus de l’agriculture traditionnelle. Ce faisant, ces produits s’adressent pour l’instant uniquement à une clientèle chinoise aisée. Une solution avancée par les spécialistes serait de développer en parallèle un modèle d’agro-tourisme, particulièrement populaire auprès des familles chinoises vivant dans les grandes villes.

Dernier obstacle, et non des moindres : le manque de talents spécialisés en ce domaine, ainsi que de logiciels performants adaptés aux différentes cultures. Certains experts chinois estiment à 5 ou 10 ans le retard pris par la Chine dans ce secteur par rapport aux leaders européens, américains et japonais.

Tout cela explique que les investisseurs hésitent à miser sur cette filière qui nécessite plusieurs centaines de milliers de yuans pour mettre sur pied une seule ferme. Toutefois, les leaders du e-commerce comme Pinduoduo et Alibaba commencent à s’y intéresser.

En Chine, le marché des fermes verticales pesait 4,26 milliards de yuans en 2020 et devrait augmenter d’environ 25% par an d’ici 2026 pour atteindre les 12,84 milliards de yuans.

Ce rythme de croissance pourrait s’accélérer si le gouvernement affichait une volonté claire de développer cette technologie. Son principal incitatif est d’ordre géostratégique : en cas de conflit avec les Etats-Unis – à qui la Chine achète des millions de tonnes de produits agricoles chaque année – ou de retombées de la guerre russo-ukrainienne polluant durablement des sols, les fermes verticales resteraient une des rares alternatives pour nourrir sa population.

Avec Alain P. Bonjean

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