Petit Peuple : Wu’An (Hebei) – L’héritage de Li Lijuan (1ère partie)

En 1969, à Wu’an (Hebei), Li Lijuan naquit dans l’aisance, avec un père Secrétaire du Parti de la mine de fer municipale. Le jour de 1980 où Deng Xiaoping voulut privatiser des milliers de PME, unités de travail peu rentables, son père était au premier rang pour empocher l’affaire contre 1¥ symbolique. 

Dès lors ce qui partout en Chine avait été mal géré sous le socialisme, se mua comme par miracle en « mine d’or » sous régime ultralibéral. En 1984, à 15 ans, Lijuan, fille unique, était l’héritière de 4 millions de ¥, une forte somme pour l’époque. La famille s’était ensuite diversifiée dans le textile, créant une usine de 300 cousettes qui produisait 30.000 t-shirts et pantalons par mois, destinés à l’export. La vie était belle. 

Quand on est née millionnaire, en Chine comme ailleurs, on estime instinctivement mériter ce bonheur. Seule une minorité va s’interroger, s’estimer co-responsable du sort de l’humanité, du fait de cette fortune. Cela peut arriver sous le coup d’un drame personnel, qui traverse le (ou la) millionnaire comme un coup de gong, en forme de rappel de soi. 

Chez Lijuan, ce coup dur se produisit à 21 ans, en 1990, quand ses parents, croyant bien faire, la marièrent contre son gré à un autre jeune né la baguette en argent dans la bouche. Vite cependant, ce mari gâté devait s’avérer violent, joueur et alcoolique. Même la naissance en 1991 d’un fils, Xiaowen, n’arracha pas le vaurien à ses démons. Il battait sa femme pour en tirer de quoi payer ses verres. Il rentrait tard ivre, imprégné de parfums à cent sous. Il se vautrait près d’elle, et la refrappait si elle s’avisait de protester. Reconnaissant leur erreur, les parents de Lijuan l’aidèrent en 1992 à négocier son divorce, mais celui-ci fut obtenu sous des conditions draconiennes : en tradition chinoise, Xiaowen devait rester avec le clan du mari.

Éprouvée mais combative, la mère appela dès lors chaque jour son petit garçon, pour garder le lien. Un après-midi de 1993, elle tomba au bout du fil sur son mari déjà à demi-saoul : d’un ton goguenard, il lui confia qu’il venait de vendre le petit à des passeurs, qui s’apprêtaient à l’emmener au bout du pays ! Vite, empoignant par liasses toute son épargne, elle fonça à la gare routière et racheta leur fils – une fortune. Agrippant convulsivement son garçonnet sauvé des eaux, tremblante, elle prenait conscience de sa chance dans l’épreuve, et de l’inanité d’une vie sans amour. Ce fut la première étape de son parcours initiatique de type bouddhiste. 

Deux ans passèrent. Un jour de 1995, alors qu’elle déambulait dans une artère de Wu’An, elle fut attirée par un attroupement autour d’une fillette en robette sale et déchirée. Un bonimenteur au rictus de travers la tenait en laisse, à quatre pattes, et la menaçait pour la forcer à aboyer. Ni une ni deux, Lijuan s’interposa : en dialecte grossier, le métèque lui expliqua qu’ainsi, il obtenait plus d’aumônes, pour cette orpheline qu’il avait rachetée à sa mère, à la mort de son mari. « Faut ben vivre, ma p’tite dame » ! 

Sur ce, Lijuan négocia, et pour une bonne somme, repartit avec la petite qui se pendait à son cou. Au moins à présent, Li voyait avec clarté sa destinée, et le chemin de son héritage : il irait aux enfants déshérités. Elle avait en tête l’éblouissant modèle de son grand-père Li Zirong, médecin réputé qui soignait et nourrissait ses patients bénévolement ! 

Dès lors, les choses allèrent vite. Dans sa villa, elle rassembla par douzaines les enfants dont nul ne voulait, garçons aux handicaps divers, filles, à qui l’on reprochait leur sexe. Rapidement, presque chaque semaine, elle découvrait à l’aube devant sa porte un bébé au bec de lièvre vagissant, ou aux yeux mal formés. 

Ainsi va la roue de la fortune : comme irritée de voir la richesse assister la misère, la chance capricieuse commença à tourner. Rattrapée par la ville, la mine fut fermée en 2008, privant la famille de sa grande ressource. Longtemps négligée par Lijuan (qui était en permanence surmenée, dépassée par ses orphelins, leurs opérations chirurgicales, leur école), l’usine avait depuis belle lurette fait le deuil de ses marchés à l’export. Lijuan dut tout vendre pour une bouchée de pain et se replier avec sa troupe sur Shangquan (Hebei). Il lui restait un peu de terre pour produire des légumes et élever des poules, et un modeste magasin de chaussures. Avec cela, comment payer les charges, les salaires des 20 infirmières et éducatrices, les besoins de ses 75 protégés

Le comble du guignon se présenta en 2011 : les médecins lui détectèrent un début de lymphome et l’internèrent. Mais le coût des soins était si élevé, et ses moyens si bas qu’après 7 jours, elle préféra sortir pour mettre toute la gomme sur tout ce qui comptait, les petits. En 2014 encore, Xiao-wen, son fils biologique fut opéré d’une rupture de la colonne vertébrale. Il en sortit diminué, irascible – et brouillé avec sa mère, jusqu’à ce jour. 

Enfin, dépensant en permanence plus qu’elle ne gagnait, elle avait accumulé en juin 2015, deux millions de ¥ de dettes. 

Ouh là là, que de misères pour une mère divorcée, seule face à son destin ! Etait-ce pour elle la fin qui approchait, le « dernier rayon du soleil couchant » (回光返照, huí guāng fǎnzhào) ? 

On verra la semaine prochaine la suite de l’histoire !

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