Economie : La dette cachée des gouvernements locaux dans le collimateur de Pékin

La dette cachée des gouvernements locaux dans le collimateur de Pékin

Voilà une annonce qui a été quelque peu éclipsée par l’élection de Donald Trump : le 8 novembre, la Chine a autorisé les collectivités locales à s’endetter davantage pour qu’elles puissent soutenir le marché immobilier et investir davantage dans l’économie réelle. En pratique, cela veut dire qu’elles pourront contracter 6 000 milliards de yuans (presque 780 milliards d’euros) de dette supplémentaire sur trois ans, a précisé le ministre chinois des Finances, Lan Fo’an. Parallèlement, elles pourront mobiliser 4 000 milliards de yuans (518 milliards d’euros) de dette déjà approuvée par Pékin.

Avec ces fonds, Pékin espère notamment que les gouvernements locaux pourront acheter des terrains vacants ou achever des projets immobiliers abandonnés par les promoteurs, éventuellement pour en faire des logements sociaux.

Ces mesures sont censées aider les gouvernements locaux à refinancer, à moindre coût, leur dette « cachée » qui atteindrait officiellement 14 000 milliards de yuans (1 815 milliards d’euros) en 2023. Certains analystes estiment toutefois que la dette cachée des gouvernements locaux pourrait être cinq fois plus importante que les chiffres officiels.

En effet, pour financer les routes, les voies ferrées, les gares, les aéroports qui ont constitué pendant des années le socle de la croissance chinoise, les villes ont multiplié les sociétés d’endettement externes, de manière à contourner les plafonds d’endettement définis par le pouvoir central. Un tour de passe-passe qui a rendu l’endettement local difficilement lisible et contrôlable.

La situation est devenue quasi intenable depuis la récente crise immobilière. Les ventes de terrain constituant une bonne partie des revenus des collectivités locales, ces dernières se sont donc vite retrouvées dans l’impossibilité de rembourser leurs intérêts, mais aussi de payer les salaires de leurs fonctionnaires, les factures de leurs fournisseurs etc… Les fraudes et abus se sont également multipliés (prélèvement abusif des contribuables, chantage aux patrons d’entreprises privées…). D’où l’intervention de Pékin, sur ordre express de Xi Jinping, qui serait personnellement inquiété de la situation.

Cette annonce s’inscrit dans un plan plus large de relance de l’économie, annoncé fin septembre, mais qui s’était jusqu’à présent concentré sur l’aspect monétaire. Toutefois, les analystes s’attendaient à davantage de la part de Pékin, notamment sur le front fiscal, de manière à relancer la consommation.

Pourtant, Shen Jianguang, économiste de renom, employé par le géant du e-commerce, JD.com (cf photo), explique que cette déception n’est pas justifiée. En effet, l’un des principaux reproches à l’égard de ce plan est qu’il serait trop modeste, en raison de la taille jugée « insuffisante » des nouvelles obligations émises pour avoir un véritable effet stimulant sur l’économie. Selon la banque Citi, les économies d’intérêts pour les gouvernements locaux représenteront moins de 0,1% du PIB chinois.

Mais le professeur Shen souligne que ces mesures de désendettement devraient se poursuivre en 2025 et 2026, pour atteindre les 12 trillions de yuans, soit environ 10 % du PIB chinois. Cumulés aux autres mesures de soutien (secteur immobilier, injections de capitaux dans les grandes banques d’État…), l’ensemble des politiques de relance devrait ainsi représenter près de 20 % du PIB, affirme-t-il.

L’économiste avance également que ce remplacement des dettes cachées par des dettes « officielles » allège la pression fiscale des gouvernements locaux, leur permettant de libérer des ressources financières et d’augmenter les dépenses publiques dans les secteurs de l’éducation, de la santé et des services sociaux, ce qui stimulera in fine la demande globale. En un effet d’entraînement, la réduction des dettes locales permettra de régler les paiements dus aux entreprises et les arriérés de salaires aux fonctionnaires, ce qui favorisera à son tour les investissements privés et la consommation des ménages, affirme Shen Jianguang.

Mais il ne faut pas s’y méprendre, en s’attaquant aux « créances grises » des gouvernements locaux, la priorité du pouvoir n’est pas de soutenir la consommation, mais bien de réduire ce qui menaçait de devenir un risque systémique pour l’économie chinoise. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un revirement stratégique, mais de la continuité de la campagne de « réduction des risques » qui anime Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir. 

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