Editorial : Crise Bo Xilai—l’appareil tient bon

Le Bureau politique du Parti communiste chinois a franchi une nouvelle étape, en votant le 10/04 la suspension de Bo Xilai de son sein et du Comité central, et l’inculpation de son épouse Gu Kailai, pour le décès du Britannique N. Heywood, redéfini en meurtre.

Accusé de « fautes disciplinaires graves », Bo ne peut plus se défendre devant ses pairs et devra faire face à la police interne du Parti. Bizarrement, Gu est citée dans la presse comme « Bogu Kailai », ce qui serait une manière d’impliquer son mari, tout en révélant qu’elle détiendrait illégalement une nationalité étrangère. Rien que par son épouse, Bo voit sa carrière prendre un coup sans doute fatal.

Pour l’instant, Pékin limite l’inculpation à un délit de droit commun. Mais la cause demeure encore latente: «conflit financier» avec Heywood? « liaison »?  Ou bien élimination pour avoir trop parlé?

Sur l’exploitation du fait par le niveau central, le commentaire du Quotidien du Peuple est assez explicite: «en aucune circonstance, des membres du Parti ne peuvent se placer au dessus des lois… ni entraver le cours de la justice».

L’équipe au pouvoir reproche à Bo d’avoir entravé sa démarche vers l’Etat de droit, qui était son scénario de modernisation, préféré à une réforme politique. Elle aurait pu lui asséner deux autres griefs, comme celui

[1] d’avoir multiplié les chorales rouges et envois d’étudiants en stages au village. Cette démarche anachronique a forcément agacé le Président Hu Jintao etle 1er ministre Wen Jiabao, seuls membres du Comité permanent à n’avoir jamais fait le pèlerinage sur les lieux du désormais défunt modèle de Chongqing.

[2] Elle aurait aussi pu reprendre à son compte la rumeur soupçonnant Bo d’avoir envisagé la prise du pouvoir, une fois admis au Comité Permanent, s’appuyant sur les corps de police (1,5M d’hommes) et des membres de l’ancienne équipe.

En tout cas, cette crise a permis d’afficher au grand jour une déchirure au sein des familles régnantes – noyau du pouvoir. On a aussi vu la presse et le 1er min. Wen avertir le pays d’un danger de dérapage du régime, suite à quoi Bo Xilai fut démis. Conclusion provisoire : menacées, les institutions de l’Etat ont tenu bon.

Dans cette crise, l’armée est présente et absente, deus ex-machina : si Bo comptait sur la police pour tenter l’aventure, l’armée chinoise devait soit s’opposer, soit rester passive. C’est dans ce contexte que se lit la campagne de Hu depuis février pour s’assurer la fidélité de tous les corps constitué: armée en tête, pas par hasard !

A présent la pompe à rumeurs s’est tue – condition nécessaire pour négocier un deal entre les clans, et le tenir. Mais avant le retour à la normale, restent des questions.

[1] Y aura-t-il peine capitale, usuelle en cas de meurtre ? Si oui, la règle implicite d’épargner les fils d’apparatchiks et leurs proches, volera en éclats et avec elle, la solidarité interne. De son côté, la rue aura du mal à tolérer le sort tragique d’un leader populaire.

[2] Dans l’appareil, qui soutenait Bo? Apparemment de très hts cadres, parfois pensionnés. Ce qui dévoile une faille systémique: aux «anciens», ce régime a toujours octroyé une large écoute, parfois non constitutionnelle. Mais pour Hu, soulever cette question de l’influence de cet âge au moment où il y accède, tient du dilemme… En définitive, tout ceci force à se demander si le Parti sera capable de résoudre le conflit entre l’intérêt de ses clans et l’Etat de droit ?

NB : L’influence des anciens joue dans les deux sens.

Qiaoshi , ex-Président du Parlement (ANP), aurait joué un rôle capital dans la chute de Bo. Chantre de l’Etat de droit, il avait par ailleurs une animosité familiale contre le clan Bo, ayant lui-même été contraint à se retirer en 1997 par Bo Yibo, père de Xilai…

Enfin, face à toutes ces carences dans la vieille machine, et aux 10 ans perdus en non-réforme (foncier, crédit, carrière), on peut deviner que la prochaine équipe, celle de Xi Jinping,n’aura pas droit à l’état de grâce.

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