Editorial : Les écoles privées dans le collimateur

Les écoles privées dans le collimateur

Le Conseil d’État vient de jeter un pavé dans la mare le 14 mai en publiant une nouvelle réglementation qui s’appliquera aux écoles privées dès la prochaine rentrée scolaire. Officiellement, il s’agit de promouvoir l’ouverture de nouveaux établissements (crèches et maternelles notamment, qui font cruellement défaut) tout en domptant une industrie des cours particuliers qui prospère grâce à la pression qui pèse sur les épaules des enfants chinois dès leur plus jeune âge. Alors que le nombre de naissances est au plus bas depuis soixante ans, il s’agit de donner davantage envie aux couples chinois de procréer en faisant baisser les coûts de scolarité et en augmentant l’offre éducative. À cette annonce, les groupes de soutien scolaire comme New Oriental Education, TAL et Chuanglian Education ont vu leurs cours en bourse plonger jusqu’à 20%… 

Derrière ces intentions louables, c’est une reprise en main idéologique de l’ensemble du secteur éducatif privé, qui se profile, ressemblant fortement à celle opérée auprès des universités, où l’enseignement du marxisme a été remis au goût du jour, et auprès des ONG étrangères en 2015, dont tout financement venu de l’étranger a été rendu illégal.

« Les écoles privées doivent préserver le leadership du Parti », précise la directive. Désormais, les cellules du Parti devront renforcer leur supervision au sein des écoles, et les membres des conseils d’établissement devront être de nationalité chinoise. Surtout, le texte interdit aux entités étrangères de détenir ou de contrôler tout école élémentaire ou collège, et d’avoir recours à des manuels étrangers. Les professeurs étrangers y compris – devront se soumettre à une formation idéologique d’une vingtaine d’heures afin « d’empêcher les éléments néfastes de nuire à la souveraineté du pays et à ses intérêts ». Une décision en majorité saluée par les internautes : « les autorités auraient dû décréter cela il y a longtemps ! Des professeurs non qualifiés et immoraux ne devraient pas être autorisés à poursuivre des carrières lucratives en Chine alors que nos propres enseignants sont mal payés », écrivait l’un d’entre eux. Si la directive ne précise pas si les écoles internationales étrangères seront concernées, il ne fait aucun doute que son objectif est de renforcer le contrôle du Parti sur tous les aspects de la société.

Dans la foulée, le ministère de l’Éducation a pris en grippe le 18 mai ces entreprises privées qui ont « trompé le public » en mettant sur pied des centres de formation qu’ils ont baptisé « universités ou instituts » sans autorisation.

Le message est notamment destiné à l’université Hupan (湖畔大学) à Hangzhou. Fondée en 2015 et présidée par le roi du e-commerce Jack Ma, l’institution a retiré le terme « d’université » de son appellation (cf photo), n’ayant jamais été officiellement reconnue par le ministère de l’Éducation. Réputée plus sélective qu’Harvard ou Stanford, l’école de management n’acceptait jusqu’à présent que 40 élèves-entrepreneurs par an, triés sur le volet parmi 4000 candidats. Si Jack Ma la voyait déjà vivre 300 ans, la rumeur voudrait que les autorités aient forcé la pépinière à talents à suspendre ses admissions de première année fin mars. À travers Hupan, c’est une attaque directe contre Jack Ma, l’ancien prof d’anglais étant bien mal en cour à Zhongnanhai depuis qu’il a ouvertement défié les régulateurs en octobre 2020. Cette imprudence lui a déjà coûté l’annulation de l’entrée en bourse de son bras financier Ant, et une amende record dans l’histoire antitrust chinoise… Les critiques ont salué cette décision, arguant que l’établissement n’était qu’un club de privilégiés qui se servait de la notoriété de ses fondateurs – Jack Ma mais aussi Liu Chuanzhi le patron de Lenovo, Guo Guangchang celui de Fosun et Shi Yuzhu, de Giant Interactive – pour attirer des célébrités et des fils de l’élite rouge… Or, pas question pour Pékin de laisser quiconque – et surtout pas Jack Ma – accroître son influence et « répandre sa pensée ». Seule celle de Xi Jinping doit prévaloir.

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