Technologies & Internet : Quand la Chine se met à l’art crypto

Quand la Chine se met à l’art crypto

Troisième marché mondial de l’art contemporain et leader dans le minage de cryptomonnaies, la Chine se prend de passion pour les œuvres d’art sous forme de jetons cryptographiques.

Apparue il y a déjà plusieurs années, cette technologie consiste à authentifier et sécuriser des actifs (GIF, albums musicaux, cartes à collectionner, figurines, images, vidéos…) numériques et/ou réels, grâce à la « blockchain ». Alors qu’un bitcoin est égal à n’importe quel autre bitcoin, ces tokens « non-fongibles » (NFT) sont uniques au monde. Ils peuvent être mis aux enchères sur des plateformes spécialisées et leur valeur fluctue en fonction de la demande. Si un artiste souhaite vendre l’une de ses réalisations, il doit créer un NFT qui certifiera la propriété de l’œuvre, mais également son authenticité, empêchant de facto les faux ou le téléchargement illégal. L’identité des acheteurs successifs et leurs prix de vente antérieurs sont ensuite enregistrés sur le registre de la blockchain et consultables par tous à tout moment. Et grâce à un « contrat intelligent » intégré au token, l’artiste peut définir le montant de la commission qu’il percevra à chaque revente du NFT, ou encore la durée du prêt à une galerie (virtuelle)…  

En Chine, les NFT se sont faire connaître dès 2018, portés par l’engouement mondial autour des CryptoKitties, ces chatons numériques créés toutes les 15 minutes, et des CryptoPunks, 10 000 petits personnages de 24 pixels générées par des algorithmes. Pourtant, les NFT n’ont pas connu un succès fulgurant dans l’Empire du Milieu à l’époque, freinés par le ban de Pékin à l’encontre des plateformes d’échanges de cryptomonnaies, qualifiées d’actifs très spéculatifs, et leur utilisation par des établissements financiers – une interdiction réitérée par trois fédérations bancaires le 18 mai, alors que l’avenir des activités de minage de bitcoin dans le pays pourrait être menacé.  

Malgré cela, les NFT connaissent aujourd’hui un regain d’intérêt dans les cercles d’initiés en Chine, stimulés par la hausse du cours du bitcoin ces derniers mois, avant qu’il ne décroche mi-mai… Lors du Nouvel An chinois, une paire de baskets virtuelles de la marque de luxe RTFKT Studios a été vendue 28 000 $ sur la plateforme chinoise Treasureland.

La pandémie est également venue donner un coup de fouet aux NFT : privés d’exposition dans les galeries traditionnelles, plusieurs artistes se sont tournés vers le monde digital pour trouver de nouvelles sources de revenus.

Fin mars, la première exposition de Chine consacrée à l’art crypto s’est tenue à l’UCCA à Pékin (cf photo), puis à JingArt à Shanghai. Lancée à l’initiative de Block Create Art (BCA) pour promouvoir les NFT auprès d’un public plus large, elle a regroupé des œuvres d’artistes internationaux comme Beeple, qui vient de vendre aux enchères chez Christie’s l’un de ses collages numériques de 5000 images pour la somme record de 69 millions de $, mais aussi d’une dizaine d’artistes chinois, dont Dabeiyuzhou basé à Xiamen qui explore les thèmes de la philosophie bouddhiste, de la beauté et de la mort à travers des modélisations 3D.

La première galerie virtuelle de 21 œuvres NFT a également été mise en ligne fin mars, intégrant une image de « China Tracy » (cf photo), avatar numérique de l’artiste multimédia Cao Fei, qui expose à UCCA jusqu’au 6 juin. Signe de l’engouement chinois pour les NFT, des centaines de groupes de discussion ont fleuri sur WeChat, tandis que Weibo regorge de vidéos explicatives en mandarin vues des millions de fois.

Pourtant, les acheteurs eux ne sont pas légions… Le marché est encore limité aux collectionneurs avertis et aux membres des cercles cryptos qui ont fait fortune grâce au boom du bitcoin et consorts, espérant gagner encore plus en misant sur les NFT à long terme. C’est cet aspect spéculatif des NFT qui fait des sceptiques, persuadés que la bulle ne va pas tarder à éclater.

Bulle spéculative ou non, ces jetons artistiques représentent aussi une bulle de liberté pour les artistes, puisque le virtuel leur permet de s’exprimer plus librement, sur des thèmes parfois tabous en Chine. C’est ainsi qu’une ville digitale imaginée dans un « metaverse » (un univers mélangeant virtuel et réel) a pour objectif de « créer une nouvelle Chine ». Prénommée « Dragon City », elle est gouvernée par une coopérative dont les membres élisent leur leader… Ce monde parallèle, un brin utopique, n’est pour l’instant pas soumis à la censure du gouvernement. Et cette opportunité-là – tant qu’elle dure – n’a probablement pas de prix…

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