Economie : Le nouveau départ d’Ant Group et de Jack Ma

Le nouveau départ d’Ant Group et de Jack Ma

Jack Ma, l’homme d’affaires chinois au milliard de consommateurs, a été puni trois fois en trois ans, chaque fois à travers Ant Group, la plateforme financière de son l’empire.

En octobre 2020, Ant Group voyait révoquer son entrée en bourse de Shanghai et de Hong Kong, qui lui aurait valu d’engranger pour 34 milliards de $ des bas de laine des Chinois – cela aurait été un record mondial. En 2021, il écopait de 2,4 milliards de $ d’amende de l’autorité de régulation pour excès de monopole. Et voici qu’à présent en janvier 2023, en échange d’une levée des menaces pesant sur l’existence d’Ant Group, Jack Ma, doit abandonner ses 50,52% de voix au directoire de la plateforme. Désormais, il n’en aura plus que 6% et devra partager le pouvoir avec 9 autres administrateurs.

Ant Group était pourtant immensément populaire auprès des Chinois, par la palette de services très diversifiés qu’elle offrait en matière de gestion des finances personnelles, des petits paiements quotidiens (Alipay) au placement d’épargne, en passant par la réservation de ticket de cinéma ou l’achat à crédit. Sa puissance était sans commune mesure : si l’entrée en bourse n’avait pas été annulée au dernier moment, sa capitalisation aurait atteint 318 milliards de $, première position mondiale, devant le géant américain J.P. Morgan. 

Mais quelle mouche a piqué le gouvernement pour briser cette formidable pompe à développement, combinant technologie et marché, une chance pour la Chine de se propulser au 1er rang mondial financier ? Que reprochaient les experts financiers à Jack Ma ?

Pour le comprendre, il faut se pencher sur l’histoire et la manière dont fonctionnait Ant Group. Créé en 2003 pour assurer la collecte des fonds pour Alibaba, la première plateforme de e-commerce du pays, Ant Group s’est rapidement trouvée à la tête de masses monétaires considérables générées par son outil de paiement Alipay. Elle a alors cherché à diversifier ses profits, en créant en 2013 le fonds Yue Bao, qui offrait à la fois placements et microcrédit. La formule était très souple. Le prêt était débloqué en quelques minutes sur Internet, sur la base des données du demandeur révélant ses revenus et son mode de vie. Il était sans hypothèque et à taux d’intérêt très bas – Ant Group se rémunérait sur la collecte des données individuelles, lui permettant de mieux cerner les besoins en perpétuelle évolution, et de multiplier les types de services. De même pour les placements, Ant pouvait offrir une rémunération sensiblement meilleure que n’importe quelle banque, en s’enregistrant comme une entreprise technologique et non bancaire, ce qui l’affranchissait des règles prudentielles contraignantes imposées aux banques et autres prêteurs.

Mais avec de telles règles, Ant Group ne pouvait qu’attirer la totalité du marché chinois. Dès 2017, Huabei, sa plateforme de microfinance, atteignait un encours de 1 700 milliards de yuans de prêts, à la fureur des banques qui voyaient fondre comme neige au soleil leurs propres bases de dépôts. L’Etat aussi, pouvait craindre qu’une gestion hasardeuse aux mains d’un seul homme, n’aboutisse à un crash, au détriment de centaines de millions de Chinois et de la stabilité du pays.

Sans s’en rendre compte, certains analystes disent « par hybris », Jack Ma en octobre 2020 joua dans la main de ses adversaires en critiquant frontalement, lors d’un symposium, la mentalité de « Mont de piété » des régulateurs financiers. Fort de l’immense base de données des clients de Ant Group et d’Alibaba, Ma postulait que le prêt d’avenir ne serait plus basé sur un collatéral (hypothèque) mais sur la reconnaissance directe de la santé financière de l’emprunteur. Par son accusation des organes financiers publics, Ma s’attirait ainsi la colère du chef de l’Etat qui interdisait l’entrée en bourse d’Ant, puis lui imposait une amende record en 2021. S’ensuivirent pour Ant deux années de restructuration douloureuse, de nombreux départs parmi les lieutenants de Ma, et la création d’une cloison étanche entre les opérations de paiement (qui lui demeurent), et celles de crédit à la consommation confiées à une entité indépendante.

Jack Ma pendant ce temps, disparaissait progressivement, se dessaisissant dès 2019 de la présidence d’Alibaba, puis aujourd’hui de celle d’Ant, tout en cessant d’apparaître en public.

Paradoxe, durant plusieurs années, Ant avait été un des espoirs du régime pour créer les outils du « crédit social » – le grand plan du gouvernement pour attribuer à chaque citoyen une note de moralité sur la base de son comportement, privé ou public. Alibaba et Ant avaient effectivement la capacité de relever les comportements d’achat et de dépenses de leurs clients, dont la somme aurait pu servir de base à une notation par le régime. Cela n’a pas eu lieu, parce que l’intérêt du groupe s’est, à la longue, avéré diamétralement opposé à celui de l’Etat, Alibaba et Ant voulant « servir » et l’Etat, contrôler. En effet, le client ne pouvait recourir à ces services qu’en confiance, en étant certain de ne pas devoir subir de perte de liberté. Cette contradiction qui vaut aussi pour les autres géants prestataires de services sur la « toile », tels Tencent (WeChat), JD.com… explique en grande partie la tentation du régime depuis 2020 de rogner les pouvoirs de ces groupes, puisqu’ils ne coopéraient pas assez en conservant jalousement ces données de leurs clients.

Au passage, la chute de Jack Ma pourrait signifier une autre contradiction de l’équipe dirigeante. En effet, comment concilier son départ, avec la promesse faite le 9 janvier par Guo Shuqing, président de l’autorité de régulation bancaire et prudentielle, de cesser sa persécution des géants privés de l’Internet ? En fait, cette crainte, à ce stade, ne semble pas justifiée, et Alibaba comme d’autres grands groupes, se réjouissent publiquement du changement de cap du régime. Face à la panne de croissance enregistrée sous la Covid19, les maîtres du pays semblent déterminés à réamorcer la pompe et à « vigoureusement développer l’économie numérique » selon le terme de Li Qiang, futur Premier ministre.

Pour Ant Group, cela se traduit, en échange du départ de Ma, par un feu vert public pour lever 1 100 milliards de yuans (environ 162 milliards de $) de fonds de partenaires nouveaux, dont la mairie de Hangzhou. Cet argent frais permettra à sa filiale « prêts à la consommation » de relancer ses activités après deux ans de diète.

C’est donc, sous réserve d’inventaire, la fin de la guerre du pouvoir aux grands groupes privés, avec quand même une victime historique – Jack Ma. Cela dit, il ne faudrait pas enterrer trop vite notre homme, qui a plus d’une ressource dans son sac. Depuis six mois, il voyage, entre Tokyo, les Pays-Bas et actuellement la Thaïlande, préparant un nouveau projet en aquaculture, et visitant des projets pilotes dans ces trois pays en pointe de ces technologies. Si Jack Ma sortait dans les années à venir un nouveau chantier, un nouveau concept en production écologique de poissons ou de crevettes, il pourrait changer la donne, dans ce secteur appelé à être une des solutions d’avenir, dans l’alimentation mondiale !

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1 Commentaire
  1. severy

    « Le coeur de Bloody Jack
    Ne bat qu’un coup sur quatre »

    Attendons patiemment la vengeance de Monsieur Ma.

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