Le Vent de la Chine Numéro 2-3 (2023)
« Attendre près d’une souche qu’un lapin s’y assomme » ,守株待兔 (shǒu zhū dàitù). Voici peut-être le proverbe résumant le mieux le signe astral du lapin, celui de l’an lunaire qui débute le 22 janvier : faible en apparence, le lapin compense sa vulnérabilité par sa rapidité, ses réflexes, et sa ruse. Ils lui permettent d’éviter les obstacles, de parer les dangers, et on serait mal avisé de le sous-estimer.
Homme ou femme, celui ou celle né(e) sous le signe du Lapin est optimiste, généreux(se), élégant(e), grand seigneur, vif(ve) à la détente et intuitif(ve). Ces qualités sont contrebalancées par une pointe de vanité, des nerfs à fleur de peau et une propension à l’affabulation.
2022, l’année du Tigre était supposée « yang », vouée à l’action et aux grandes manœuvres. Celle du Lapin qui lui succède sera « yin », davantage dans l’ombre, la réflexion et la passivité. La survie comptera avant tout, au vu des incertitudes qui l’attendent. Symboliquement, le Tigre de 2022 l’a mis à plat avec son confinement qui lui a fait épuiser son épargne et son moral, sans guère soutien de l’Etat.
Et de quoi sera faite l’année suivante, en 2024, sous le signe du Dragon ? Enrichissement ou ruine ? Le signe n’offre pas de demi-mesure, ce sera tout ou rien. Et pour le Chinois, l’incertitude est poussée au paroxysme par l’élément de l’eau dans lequel doit « nager » ce lapin, un élément qu’il redoute autant que le feu…
En culture locale, le zodiaque astral est très aimé, très suivi, et traduit beaucoup plus qu’une simple superstition : il est l’ensemble des énergies composant sa vie et ses chances, l’univers du « Qi » (气, force méridienne), le lien entre matière et esprit, entre ses ancêtres et soi, son passé et son présent, sa culture et le point nodal de toutes ses références. Le système astral est aussi le lieu par lequel l’homme peut agir sur son destin. Par exemple, les démons toujours friands de la chair fraiche de ceux nés dans l’année du signe (本命年, běn mìng nián) peuvent être tenus à l’écart, en portant à même la peau sous les vêtements une ceinture (ou un fil) écarlate !
2023 s’annonce donc difficile pour le Chinois moyen, sous l’obligation de se protéger à la fois de la pandémie et du chômage, et sous un ciel économique et politique chargé de nuages bas. Heureusement pour lui, la légende vient à sa rescousse en ce moment critique. Selon elle, les animaux se disputant la 1ère place du zodiaque, l’empereur de Jade leur ordonne une course comportant à l’arrivée la traversée d’un fleuve. Le lapin arrive en tête, se jette à l’eau, mais sent ses forces le quitter. Heureusement un tronc secourable passe à sa portée, lui évitant la noyade et le portant à l’autre berge. Depuis lors, le lapin est classé le plus chanceux de tous. Cette chance combinée à ses réflexes lui servent de passeport contre toutes les embuches de l’année.
Colportées à travers les siècles, différentes versions de la fable circulent, sans peur de se contredire. L’une d’elle semble inspirée de la Fontaine. Arrogant, le lièvre se moque du bœuf incapable de le suivre. Mais en fin de course, tellement en avance, il se permet un petit somme, pour se faire coiffer à l’arrivée par trois rivaux, dont le bœuf dont il riait.
Selon une version plus mystérieuse, l’empereur de Jade se déguise en mendiant et part en longue marche pour départager, parmi les 12 animaux, le plus vertueux : ce sera le lapin qui n’hésitera pas à se jeter au feu pour lui servir de dîner. L’empereur alors le sauve en le tirant par les oreilles et en l’installant au palais de la Lune (月宫, yuè gōng) aux côtés de la belle Chang’E. Depuis lors, à chaque fête de mi-automne, le « lapin de jade » (玉兔, yùtù) s’active au mortier et au pilon, pour concocter l’élixir de vie. Cet épisode définit chez lui sa sagacité à choisir le bon moment pour passer à l’action, et la pureté éthérée de son univers du palais de glace.
Parmi les personnalités nées sous son signe, partageant ses qualités de chance et d’énergie défensive figurent l’acteur Jet Li, feu le roi Bhumibol de Thaïlande (d’ascendance chinoise), ainsi que nombre d’artistes, de scientifiques et de sportifs internationaux tels Lionel Messi, Novak Djokovic, Angelina Jolie et Brad Pitt, Albert Einstein et Frank Sinatra.
Les maîtres du fengshui s’accordent à lui attribuer le rouge et le bleu comme couleurs préférées, le rose et le violet comme couleurs néfastes. Ses bonnes directions seront l’Est et le Sud, celles défavorables étant le Nord-Ouest – ce qui, a priori, semble désigner la Russie. Ses signes « amis » seront la chèvre, le singe, le chien, le cochon, tandis que ceux à problèmes devraient être le coq et le serpent.
Citons pour conclure un dernier proverbe pouvant définir le lièvre et son année : face au moindre danger, plus que quiconque sur Terre, notre léporidé fétiche se distingue par sa capacité à « disparaître comme l’éclair », 动如脱兔 (dòng rú tuō tù). Ce qui, par les temps qui courent, n’est pas la pire des parades !
La rencontre début 2023 de la Covid en plein réveil, et du Chunjie, nouvel an chinois, pouvaient faire craindre le pire. Pour les 40 jours du Chunyun (période des fêtes à partir du 8 janvier), l’Etat prédisait 2,1 milliards de voyageurs potentiellement porteurs du virus, mal ou non vaccinés, et ces brassages de population entre trains et bus, à travers la Chine et la terre entière, risquaient de mettre à rude épreuve les boucliers épidémiologiques des nations.
Quelques jours après le lancement de la grande transhumance, l’impression qui se dégage des premières données, est plutôt positive : c’est un soupir de soulagement des commerçants assoiffés de reprise du « business » et des voyageurs pouvant enfin voir leurs parents après trois ans de restrictions.
C’est aussi, en Chine, la fin d’un Etat policier en blanc, la fin des « dà bái » (大白, les « grands blancs », ces policiers et employés aux scaphandres de nylon blanc), des bus aseptisés et des longs jours de confinement onéreux pour ceux venus de l’étranger. La classe moyenne chinoise peut enfin renouer avec le voyage, la nature, la vie d’avant.
Certes, il y a aussi les centaines de millions de malades, les dizaines ou centaines de milliers de morts que l’Etat cache et que les proches pleurent, et la peur d’une seconde vague de Covid menaçant les campagnes, voire l’apparition éventuelle de nouveaux variants dont on ignore encore la léthalité.
L’avenir n’est pas tracé, et l’incertitude est la règle, alimentée par le flou qu’entretient l’administration par son optimisme de façade. Mais indéniablement, le retour du droit à une vie normale, a redonné vie à l’espérance.
Elle a été rendue possible par la rupture violente, un mois plus tôt, des normes de santé qui régissaient le pays depuis fin 2019. Une première vague du variant Omicron a pu alors traverser le pays comme un feu de paille, causant nombre de morts parmi le troisième âge, mais apportant une certaine immunité à l’immense majorité des autres. Au Henan le 11 janvier, le nombre de contaminés atteignait officiellement 89% de la population mais les visites en hôpital étaient déjà en déclin. De même dans les 11 plus grandes villes, la fréquentation du métro avait remonté de 20%, signe que les cas de Covid étaient en recul. Dès le 9 janvier, aux portes des services de délivrance des passeports, des queues de gens disciplinés et masqués se formaient en dizaines de mètres, anxieux d’obtenir leur droit à voyager hors frontières.
La frénésie se confirmait très tôt, dans les aéroports, les gares, les gares routières et sur les autoroutes. Dès le 7 janvier, ils étaient 34,7 millions à prendre la route, 35, 4 millions le lendemain. Les ventes de billets de train ou d’avion avaient augmenté sur 12 mois de 190% dans la première semaine de l’année. La soif de voyage se vérifiait aussi en direction de la Chine dès le 8 janvier, avec 251 000 voyageurs atterrissant de l’étranger – étudiants ou professionnels Chinois retournant pour les fêtes du Chunjie.
Cela dit, les limites apparaissent vite. Les visas n’ont augmenté que de 18% sur 12 mois, et le nombre de vols dans les deux sens, le 8 janvier, était de 245, le 10ème du chiffre de 2019, soit 2546. La limitation de l’offre de voyage tient aussi à la rareté des équipages, en partie encore covidés (ce qui les interdit de vol), ou même absents. Durant 3 ans, les compagnies ont licencié en masse leurs pilotes qui, faute de réaliser dans l’année leur temps de vol, ont perdu leur qualification et doivent la récupérer avant de pouvoir s’installer au poste de pilotage. Même les agences de voyage chinoises ont fondu, de 416 000 en 2019 à 279 000 en 2021.
Une autre limitation inévitable tient au pourcentage non négligeable de covidés chinois atterrissant sur sol étranger, et que les autorités veulent isoler. A Taïwan, le 8 janvier, ils représentaient 20% de tous les arrivants. De nombreuses nations ont imposé la présentation d’un test PCR négatif, et en cas de positif, imposent un confinement. Estimant cette disposition « discriminatoire », Pékin a décidé d’interdire la délivrance de visa aux ressortissants de Corée du Sud et du Japon, et menace d’étendre cette « punition » à ceux d’autres pays… En résumé la Chine espère rattraper d’ici la fin de l’année 70% du trafic dans les deux sens .
Un mot sur la Thaïlande, première destination étrangère pour la Chine, qui recevait 11 millions de chinois en 2019, et a obtenu cette année des réservations chinoises en hausse de 118%. Alors que les premiers avions et bus arrivent (après avoir traversé le Laos), le pays exprime des sentiments contradictoires face à cet afflux à la fois désiré et redouté. Afin de protéger le pays, cinq jours avant la grande vague, le ministre de la Santé, Anutin Charnviralkul, crut bien faire en édictant soudain un règlement sévère : tout voyageur étranger devrait présenter un test PCR négatif, preuve de vaccination et d’assurance médicale couvrant les frais éventuels. Puis 48h plus tard, après avoir reçu des dizaines de milliers d’annulations de Chine, d’Europe et d’autres continents, il annonce que tout compte fait, PCR et assurances spéciales ne seront pas vérifiés à l’arrivée. Puis, pour accueillir le premier avion chinois, en provenance de Tianjin, le ministre avec deux de ses collègues, avait déroulé le tapis rouge aux voyageurs avec colliers de fleurs, petits cadeaux et discours fleuri comme quoi « Chine et Thaïlande sont une seule grande famille -bienvenue chez vous »… Avec de telles attentions, le pays des orchidées, dont le PIB dépend pour 20% du tourisme, espère cette année atteindre 25 millions de visiteurs, dont 10% venus de Chine !
Pendant ce temps, un citoyen chinois fait un voyage « touristique » très spécial, tous frais payés : Qin Gang, nouveau ministre des Affaires étrangères, passera par l’Ethiopie, le Gabon, le Bénin, l’Angola et l’Egypte pour ne pas laisser se distendre les liens étroits noués avant la pandémie. C’est le signal d’une politique volontariste qui garde le cap à toute vapeur : des contrats sont attendus, et Qin Gang annonce déjà son intention de soutenir le continent noir dans le renforcement de sa présence à l’ONU…
Jack Ma, l’homme d’affaires chinois au milliard de consommateurs, a été puni trois fois en trois ans, chaque fois à travers Ant Group, la plateforme financière de son l’empire.
En octobre 2020, Ant Group voyait révoquer son entrée en bourse de Shanghai et de Hong Kong, qui lui aurait valu d’engranger pour 34 milliards de $ des bas de laine des Chinois – cela aurait été un record mondial. En 2021, il écopait de 2,4 milliards de $ d’amende de l’autorité de régulation pour excès de monopole. Et voici qu’à présent en janvier 2023, en échange d’une levée des menaces pesant sur l’existence d’Ant Group, Jack Ma, doit abandonner ses 50,52% de voix au directoire de la plateforme. Désormais, il n’en aura plus que 6% et devra partager le pouvoir avec 9 autres administrateurs.
Ant Group était pourtant immensément populaire auprès des Chinois, par la palette de services très diversifiés qu’elle offrait en matière de gestion des finances personnelles, des petits paiements quotidiens (Alipay) au placement d’épargne, en passant par la réservation de ticket de cinéma ou l’achat à crédit. Sa puissance était sans commune mesure : si l’entrée en bourse n’avait pas été annulée au dernier moment, sa capitalisation aurait atteint 318 milliards de $, première position mondiale, devant le géant américain J.P. Morgan.
Mais quelle mouche a piqué le gouvernement pour briser cette formidable pompe à développement, combinant technologie et marché, une chance pour la Chine de se propulser au 1er rang mondial financier ? Que reprochaient les experts financiers à Jack Ma ?
Pour le comprendre, il faut se pencher sur l’histoire et la manière dont fonctionnait Ant Group. Créé en 2003 pour assurer la collecte des fonds pour Alibaba, la première plateforme de e-commerce du pays, Ant Group s’est rapidement trouvée à la tête de masses monétaires considérables générées par son outil de paiement Alipay. Elle a alors cherché à diversifier ses profits, en créant en 2013 le fonds Yue Bao, qui offrait à la fois placements et microcrédit. La formule était très souple. Le prêt était débloqué en quelques minutes sur Internet, sur la base des données du demandeur révélant ses revenus et son mode de vie. Il était sans hypothèque et à taux d’intérêt très bas – Ant Group se rémunérait sur la collecte des données individuelles, lui permettant de mieux cerner les besoins en perpétuelle évolution, et de multiplier les types de services. De même pour les placements, Ant pouvait offrir une rémunération sensiblement meilleure que n’importe quelle banque, en s’enregistrant comme une entreprise technologique et non bancaire, ce qui l’affranchissait des règles prudentielles contraignantes imposées aux banques et autres prêteurs.
Mais avec de telles règles, Ant Group ne pouvait qu’attirer la totalité du marché chinois. Dès 2017, Huabei, sa plateforme de microfinance, atteignait un encours de 1 700 milliards de yuans de prêts, à la fureur des banques qui voyaient fondre comme neige au soleil leurs propres bases de dépôts. L’Etat aussi, pouvait craindre qu’une gestion hasardeuse aux mains d’un seul homme, n’aboutisse à un crash, au détriment de centaines de millions de Chinois et de la stabilité du pays.
Sans s’en rendre compte, certains analystes disent « par hybris », Jack Ma en octobre 2020 joua dans la main de ses adversaires en critiquant frontalement, lors d’un symposium, la mentalité de « Mont de piété » des régulateurs financiers. Fort de l’immense base de données des clients de Ant Group et d’Alibaba, Ma postulait que le prêt d’avenir ne serait plus basé sur un collatéral (hypothèque) mais sur la reconnaissance directe de la santé financière de l’emprunteur. Par son accusation des organes financiers publics, Ma s’attirait ainsi la colère du chef de l’Etat qui interdisait l’entrée en bourse d’Ant, puis lui imposait une amende record en 2021. S’ensuivirent pour Ant deux années de restructuration douloureuse, de nombreux départs parmi les lieutenants de Ma, et la création d’une cloison étanche entre les opérations de paiement (qui lui demeurent), et celles de crédit à la consommation confiées à une entité indépendante.
Jack Ma pendant ce temps, disparaissait progressivement, se dessaisissant dès 2019 de la présidence d’Alibaba, puis aujourd’hui de celle d’Ant, tout en cessant d’apparaître en public.
Paradoxe, durant plusieurs années, Ant avait été un des espoirs du régime pour créer les outils du « crédit social » – le grand plan du gouvernement pour attribuer à chaque citoyen une note de moralité sur la base de son comportement, privé ou public. Alibaba et Ant avaient effectivement la capacité de relever les comportements d’achat et de dépenses de leurs clients, dont la somme aurait pu servir de base à une notation par le régime. Cela n’a pas eu lieu, parce que l’intérêt du groupe s’est, à la longue, avéré diamétralement opposé à celui de l’Etat, Alibaba et Ant voulant « servir » et l’Etat, contrôler. En effet, le client ne pouvait recourir à ces services qu’en confiance, en étant certain de ne pas devoir subir de perte de liberté. Cette contradiction qui vaut aussi pour les autres géants prestataires de services sur la « toile », tels Tencent (WeChat), JD.com… explique en grande partie la tentation du régime depuis 2020 de rogner les pouvoirs de ces groupes, puisqu’ils ne coopéraient pas assez en conservant jalousement ces données de leurs clients.
Au passage, la chute de Jack Ma pourrait signifier une autre contradiction de l’équipe dirigeante. En effet, comment concilier son départ, avec la promesse faite le 9 janvier par Guo Shuqing, président de l’autorité de régulation bancaire et prudentielle, de cesser sa persécution des géants privés de l’Internet ? En fait, cette crainte, à ce stade, ne semble pas justifiée, et Alibaba comme d’autres grands groupes, se réjouissent publiquement du changement de cap du régime. Face à la panne de croissance enregistrée sous la Covid19, les maîtres du pays semblent déterminés à réamorcer la pompe et à « vigoureusement développer l’économie numérique » selon le terme de Li Qiang, futur Premier ministre.
Pour Ant Group, cela se traduit, en échange du départ de Ma, par un feu vert public pour lever 1 100 milliards de yuans (environ 162 milliards de $) de fonds de partenaires nouveaux, dont la mairie de Hangzhou. Cet argent frais permettra à sa filiale « prêts à la consommation » de relancer ses activités après deux ans de diète.
C’est donc, sous réserve d’inventaire, la fin de la guerre du pouvoir aux grands groupes privés, avec quand même une victime historique – Jack Ma. Cela dit, il ne faudrait pas enterrer trop vite notre homme, qui a plus d’une ressource dans son sac. Depuis six mois, il voyage, entre Tokyo, les Pays-Bas et actuellement la Thaïlande, préparant un nouveau projet en aquaculture, et visitant des projets pilotes dans ces trois pays en pointe de ces technologies. Si Jack Ma sortait dans les années à venir un nouveau chantier, un nouveau concept en production écologique de poissons ou de crevettes, il pourrait changer la donne, dans ce secteur appelé à être une des solutions d’avenir, dans l’alimentation mondiale !
Insolite et intriguant, un contrat était signé le 5 janvier à Kabul entre la CAPEIC, filiale de la CNPC (le premier groupe pétrolier chinois) et le ministre afghan des mines et du pétrole Shahabuddin Dilawar.
C’était le premier accord économique international signé par les Talibans depuis la prise du pays en août 2021, et ce quoique la Chine, pas plus que quelque autre pays au monde, ne reconnaisse formellement l’« Emirat islamique d’Afghanistan ».
L’accord ouvre un droit d’exploitation durant 25 ans des gisements de la vallée de l’Amou Daria, qui délimite la frontière nord avec trois autres pays d’Asie centrale, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan. La CAPEIC s’engage à investir en infrastructures 150 millions de $ la première année, puis un total de 700 millions durant 4 ans, et de créer 3000 emplois locaux. Une société locale détient 20% des droits sur le pétrole extrait, pourcentage qui pourrait être porté à 70%. La Chine s’engagerait aussi à construire une raffinerie si les objectifs d’extraction se concrétisaient. On n’en saura pas plus.
L’intérêt chinois pour cette zone de l’Amou Daria est une vieille histoire. Durant le 1er « règne » taliban, la CNPC avait négocié de 1996 à 2001 des droits pétroliers, sans toutefois passer au stade de l’exploitation. Puis sous la protection américaine, le chinois Minmetals s’était assuré la concession d’un imposant gisement de cuivre de Mes Aynak, au sud-ouest de Kaboul – à cette époque, on avait pu voir des techniciens chinois travailler sur le site sous la protection de patrouilles de GIs américains contre des attaques… des Talibans.
Après la chute du régime afghan pro-occidental en août 2021, la Chine a exprimé son intérêt à un rapprochement. Rapidement, un genre d’accord de non-agression était signé où les Talibans promettaient de ne pas servir de base arrière aux militants séparatistes Ouïghours du Xinjiang, territoire frontalier de l’Afghanistan. Pékin pour sa part maintenait ouverte son ambassade, reconnaissait informellement le régime et s’engageait à l’aider à redémarrer le pays.
Puis en mars 2022, le Ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi faisait à Kaboul une visite surprise, pour discuter « affaires » : pétrole, gaz, cuivre, terres rares et lithium, dont l’Afghanistan détiendrait pour 1 000 milliards de $, selon une étude géologique de la CNPC publiée en 2019. Le lithium devrait voir son usage multiplié par 42 d’ici 20 ans, avec les besoins mondiaux en batteries, en énergie propre et en décarbonation économique. L’Afghanistan s’était d’ailleurs gardé de s’engager alors à quoi que ce soit sur ce sujet, préférant attendre de voir exploser les cours de cette denrée d’avenir.
Le véritable intérêt du contrat d’Amou Daria n’est pas dans le pétrole, vu ses aujourd’hui modestes réserves escomptées, mais dans le gaz dont la zone détiendrait l’équivalent du tiers des réserves chinoises. En tout état de cause, ce ne sera pas pour demain. Aujourd’hui comme au siècle dernier, ce site – ce pays entier- reste inexploitable, en raison de l’absence d’infrastructures et des besoins abyssaux en reconstruction, qui resteront longtemps inassouvis vu son instabilité poignante. La souveraineté des Talibans reste par endroit une fiction, comme dans la province nordique de Khorasan, infestée de groupes de l’Etat islamique (Daech) qui nourrit un fort sentiment anti-chinois. Même dans la capitale, l’ordre est loin d’être assuré : le 11 janvier encore à Kaboul, un attentat suicide à la bombe détonnait devant le ministère des Affaires étrangères, au moment d’une rencontre avec des émissaires chinois – bilan 5 morts, 40 blessés. Le 12 décembre, un commando s’en prenait à l’hôtel Longan, fort fréquenté par les hommes d’affaires chinois : 3 morts, 20 blessés. En fait, pas un mois, voire une semaine, ne se passe sans un coup sanglant instigué par Daech. Si au nom du régime, le Président Ashraf Ghani s’engage par téléphone auprès de Xi Jinping en août 2021, à empêcher l’ouverture d’un sanctuaire aux combattants Ouïghours, Daech milite pour le contraire, les armes à la main, au nom de la défense d’un islam maltraité au Xinjiang, et des plus d’un million de « frères » détenus dans les « camps de formation » chinois de la région.
L’intérêt premier de ce contrat, en fait, est politique : il tente de lier le régime afghan par autre chose que des promesses, une perspective de manne pétrolière à l’avenir. Il offre aussi immédiatement une brèche dans le bouclier occidental qui isole ce pays géographiquement enclavé, et le prive de toute perspective de mieux être économique.
Accessoirement, Pékin peut aussi miser, pour l’avenir, sur une découverte mirobolante d’or noir dans la région d’Amou Daria, à proximité de gisements dans les pays voisins. Ce contrat en fait, pourrait porter plutôt sur de l’exploration par les équipes de la CAPEIC. En cas de découverte, la Chine déjà sur place et bénéficiant de la gratitude des Talibans, serait bien placée pour obtenir le contrat de développement et l’exploitation. Mais à ce stade, tout cela relève d’une forte dose d’espoir et d’audace – une qualité dont le pouvoir chinois n’est pas déficitaire !
Liu Bingxia, 47 ans aujourd’hui, se souvient des larmes versées quand ses parents lui ont demandé d’arrêter l’école et de revenir les aider dans la ferme familiale. Elle venait de finir l’équivalent de sa troisième et espérait continuer, passer son gaokao (高考, gāo kǎo – l’équivalent du baccalauréat) et qui sait, devenir quelqu’un. Mais, dans une fratrie de six enfants, avec deux parents agriculteurs qui gagnent tout juste de quoi vivre, une fille représente de la main d’œuvre avant tout. Elle s’est donc occupée des poules, des canards, des oies familiales, a aidé à la récolte des baies de goji dont la vente assurait un extra de plus en plus profitable. Chaque jour, elle a vu ses frères partir pour l’école et ses rêves disparaître derrière les montagnes, réduits en poussière, envolés dans le paysage aride de son quotidien.
Une fois mariée, Liu et son mari sont partis tenter leur chance à Yinchuan, la plus grosse ville de la région autonome du Ningxia, au nord-ouest de la Chine, l’une des régions les plus pauvres du pays, coincée entre le Shaanxi, le Gansu et la Mongolie Intérieure. Tant que leurs deux enfants sont petits, elle monte et gère un petit commerce de vente de vêtements traditionnels. Mais, elle n’oublie ni sa scolarité interrompue, ni les plaintes des femmes de sa famille et des voisines, les plus vieilles, celles qui n’ont même pas eu le temps d’apprendre à lire et à écrire.
En 1949, avec un taux de 80% en Chine, l’illettrisme est le fléau contre lequel le Parti communiste s’attaque avec ferveur. Mao espère l’éradiquer en moins de dix ans en simplifiant la graphie chinoise pour faciliter l’accès à l’écriture. Aujourd’hui, ce taux est tombé à 2,67%, le résultat de grands efforts de la part du gouvernement. Mais dans ce pays gigantesque, cela représente encore 37 millions de personnes, dont les ¾ sont des femmes. Souvent les laissées pour compte des anciennes générations, isolées à la campagne, loin des initiatives proposées dans les villes. Ne pas savoir lire et écrire les rend dépendantes pour chaque geste du quotidien et vulnérables aux abus de la part de leurs familles ou de proches mal intentionnés.
Ainsi, Liu recueille les confidences d’une cousine dont la belle-fille ne veut pas lui confier son petit-fils. Selon cette dernière, l’incapacité de sa belle-mère à lire et écrire peut être source de danger pour l’enfant. Ou cette voisine incapable de déposer seule à la banque l’argent gagné comme coiffeuse. L’intermédiaire choisi l’a fait à sa place, et déposé la somme sur son propre compte. La voisine n’a rien pu faire pour récupérer ses économies.
C’est là que Kuaishou (快手, Kuài shǒu, souvent surnomme « Kwai ») entre en scène, une application mobile de partage de vidéos courtes utilisée principalement par les populations rurales et les travailleurs migrants, le « TikTok de la Chine rurale » en quelque sorte. Tout le monde s’en sert : le mari de Liu, chauffeur routier, regarde des vidéos de pêche à la ligne, sa passion ; une amie y montre la beauté de l’artisanat local et vend quelques broderies faits main ailleurs que sur les marchés locaux, l’une de ses belles-sœurs s’est liée d’amitié avec une agricultrice du Yunnan qui partage un quotidien très proche du sien ; une autre belle-sœur aime cuisiner et y trouve des recettes filmées par d’autres mères de famille du Sichuan, du Gansu, du Shandong.
Tout le monde s’en sert, même ceux qui ne savent pas écrire… Avec seulement trois boutons à actionner, la simplicité d’utilisation de l’application et sa gratuité la rendent très populaire chez les ruraux. Alors Liu a une idée. Les enfants sont grands, son mari la soutient, la voilà qui lâche son commerce, rachète des manuels scolaires, s’enferme des heures pour étudier. En mai dernier, elle se lance un matin, actionne la caméra et propose son premier cours pour apprendre à lire et à écrire en ligne sur Kuaishou. Trois personnes la rejoignent, puis dix, puis 200. Aujourd’hui, ses vidéos sont suivies par plus de 43 000 personnes, des femmes principalement, entre deux âges et venant comme elle de régions rurales de l’Ouest de la Chine. L’impact des cours de Liu, offerts gratuitement, est considérable. Beaucoup témoignent de l’effet positif sur leur estime de soi, sur leur capacité à prendre en main leur vie de façon plus autonome.
L’alphabétisation des adultes sur les réseaux sociaux se doit d’être mieux encadrée et régulée par le gouvernement pour éviter les abus, répète Liu, rejoignant curieusement les critiques des Etats-Unis et de l’Europe sur le manque de régulation de ces mêmes réseaux dans les démocraties occidentales (et l’influence masquée du Parti communiste sur le contenu). Mais dans ce puits sans fond de désinformation et d’abrutissement des jeunes, l’initiative de Liu mérite d’être soulignée. Où se trouve l’obscurité se trouve aussi la lumière, 因祸得福 (yīn huò dé fú) … !
Par Marie-Astrid Prache
21 au 27 janvier : Congés du Nouvel An chinois
22 janvier : Nouvel An chinois. Dans toute la Chine, les festivités du Nouvel an lunaire célèbreront l’entrée dans l’année du Lapin (d’Eau) qui commencera le 22 janvier 2023 pour se terminer le soir du 9 février 2024.
6 – 9 février, Shenzhen : LEAP EXPO, exposition industrielle axée sur la fabrication électronique, l’automatisation industrielle et l’industrie laser. REPORTE du 30 octobre au 1er novembre
10 – 12 février, Pékin : ISPO BEIJING, Salon professionnel international des sports, de la mode et des marques de vêtements
11 – 14 février, Pékin : CIAACE, Salon chinois international des accessoires automobiles
15 – 17 février, Canton : PCHI, Salon des soins personnels et des cosmétiques
17 – 18 février, Pékin : CHINA EDUCATION EXPO, Salon international de l’éducation et des formations supérieures
22 – 24 février, Shenzhen : ALLFOOD EXPO, Salon chinois international de la confiserie, des snacks et des glaces
24 – 26 février, Canton : DPES SIGN & LED EXPO, Salon chinois international des équipements de publicité
22 – 24 février, Pékin : CIBE – China International Beauty Expo, Salon international de l’industrie du bien-être et de la beauté
23 – 26 février, Pékin : CPE – China Pet Expo, Salon international spécialisé dans l’alimentation et les produits pour animaux de compagnie
27 fév. – 2 mars, Shenzhen : DESIGN SHENZHEN, Salon international de la décoration et de l’architecture intérieures
1 – 3 mars, Shanghai : ANALYTICA, Salon international de l’analyse, des biotechnologies, du diagnostic et des technologies de laboratoire
1 – 3 mars, Canton : SIAF GUANGZHOU, Salon international pour l’automatisation des procédés
2 – 4 mars, Canton : PACKINNO, Salon international de l’emballage et du packaging
3 – 5 mars, Shenzhen : AAITF – Automotive Aftermarket Industry & Tuning Trade Fair, Salon international du marché de l’occasion automobile, des pièces détachées et du tuning