Monde de l'entreprise : Ofo, Mobike, les « petites reines » en pleine ébullition

Ofo, Mobike, les « petites reines » en pleine ébullition

L’arrivée dans les villes chinoises des vélos partagés, puis l’explosion du secteur, préfigurent un changement sociétal, une mutation des transports urbains. Elle se poursuit aujourd’hui à rythme si rapide qu’on est incapable de deviner la suite.

En 2015, ces vélos aux couleurs chatoyantes (orange, jaune, bleu roi) ont fait leur apparition, sans vitesse à passer, mais souvent avec paniers et garde-boues. Sur le trottoir, le vélo est disponible au premier venu : en 30 secondes, la transaction est actée par smartphone (par scan du code QR ou un code à plusieurs chiffres), débloquant l’antivol. Arrivé, l’usager abandonne son deux-roues, referme l’antivol, puis la compagnie prélève sa course (0,5 à 1¥/h) via l’application mobile.

Variante technologique, Mobike (摩拜单车) est le seul permettant au client de repérer par GPS un vélo disponible, et même de le réserver avant de le rejoindre.

Deux groupes dominent : Mobike (shanghaïen d’origine, 40%), et Ofo (共享单车, pékinois d’origine 50%). De gros intérêts investissent sur eux. Pour Mobike, Tencent, Warburg Pincus, TPG, Temasek, Foxconn. Pour Ofo, DST Global (Moscou) et Didichuxing. De plus la visite de Tim Cook, PDG de Apple, le 21 mars au QG pékinois d’Ofo, nourrissait la rumeur d’une prise de participation.

En mars, Mobike obtenait 300 millions de $, et Ofo 450 millions de $. Mobike s’alliait à Foxconn pour doubler son approvisionnement en petites reines à 10 millions par an. Ofo, le 21 mars, revendiquait 10 millions de courses quotidiennes entre 43 villes, pédalées par ses clients sur 2,2 millions de bicyclettes.

Pour Wang Chenxi, d’Analysys, bien plus que l’invention de la technologie de location/paiement via smartphone, la force déterminante dans la création de ce marché, a été l’appel d’air du capital, sa demande en services connectés, plus que la demande de la rue en autonomie accrue de déplacement.

Du point de vue de l’Etat et de la gouvernance sociale, les avantages sont imposants : le vélo partagé va de pair avec les plans publics de lutte contre pollution, de promotion de l’innovation et de renforcement de la santé publique par l’exercice physique. Pour l’usager, ce vélo qui est ludique et bien accepté, permet d’effectuer plus vite et moins cher le dernier tronçon de son parcours que s’il le faisait à pied ou en bus. Mais sa croissance ultrarapide s’accompagne aussi de nuisances, qui menacent de devenir incontrôlables si elles ne sont contrôlées rapidement.

Par exemple :

– les rivaux se lancent dans une bataille effrénée, anti-économique pour occuper le terrain. Les « gros » mettent les bouchées doubles pour empêcher les « petits » de s’installer, en l’absence de règlements et conditions. Il suffit de 200.000 à 300.000 ¥ pour inonder un quartier de 1000 deux-roues. De fait, des dizaines de firmes prolifèrent au sein d’une ville, leurs vélos aussi : le pays approche de la saturation et les tarifs de location restent bas. À 1¥ de l’heure, il faut un an au bas mot pour amortir le modèle classique de Mobike, qui coûte 2000¥ à produire. Entretien et transport non-compris, car ces vélos doivent être récupérés en périphérie par camion à toute heure, et retournés vers le centre.

– les usagers sont inciviques. Shanghai ploie sous 450.000 vélos partageables pour 20.000 places de parking. Les vélos sont laissés sur les pistes piétonnes, les ponts ou les voies rapides. À Shanghai en mars, 5000 engins mal garés sont saisis par la police, excédée. Chez Ofo, 1% des vélos (plus de 20.000) sont cachés dans les résidences, ou jetés dans un canal. Parfois, les codes QR sont griffés pour rendre l’identification impossible. Un vandalisme dont le seul profit revient aux compagnies rivales…

Face à tous ces dérapages, les états-majors des groupes et des mairies travaillent fiévreusement à des solutions. Ofo espère réduire les vols en décuplant la masse des vélos disponibles : c’est pour faire disparaître dans les esprits la vieille angoisse, héritage du passé, de « faire des provisions » contre la pénurie. Face au  vandalisme, Ofo s’est associé à Ant Financial (Alibaba) : à titre de test, dans Shanghai, tout usager titulaire de plus de 650 points à son service de crédit social, est dispensé du dépôt de 99¥.  

Concernant les parkings, on discute encore. À Pékin, Ofo et Mobike s’engagent à éviter pour leurs dépôts, 10 rues du centre-ville. La mairie de Shanghai prépare pour juin une carte interactive sur smartphone de parkings obligatoires pour ces vélos partagés. En attendant, elle impose aux firmes un moratoire à tout ajout de lots supplémentaires de bicyclettes dans le centre-ville. 

Reste au final la question de l’avenir : ces groupes travaillent évidemment à perte mais pour combien de temps ? L’absence de rentabilité est si flagrante que plusieurs économistes soupçonnent un but capitalistique dérivé et à long terme : soit la constitution d’un marché captif sans aucun lien avec le vélo, de millions d’usagers en recueillant leurs données individuelles (« big data »), soit par le biais d’un « coup d’accordéon » en bourse, voire même, d’une fusion-consolidation Ofo-Mobike—que d’aucuns jugent inévitable.

En attendant, Ofo, Mobike, Bluegogo et les autres poursuivent leur « marche ou crève » en Chine (100 villes d’ici décembre), et hors frontière (San Francisco,  Londres, Singapour). Autant dire que pour ce secteur en furieuse effervescence, tout est possible, même un crash de la bulle, faute de viabilité. La disparition du vélo des rues chinoises toutefois est inenvisageable. Fin des ‘90 déjà, le régime avait tenté de le remplacer par la voiture. Mais le retour de la petite reine 10 ans plus tard signe sa revanche et son remariage définitif avec le Céleste Empire. 

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