Taiwan : Foxconn, nouvelle victime de la politisation de l’économie en Chine

Foxconn, nouvelle victime de la politisation de l’économie en Chine

Le climat des affaires en Chine ne se porte pas au mieux et ce n’est pas seulement dû au ralentissement économique. En avril dernier, la police interrogeait des employés du cabinet de conseil Bain de Shanghai. En mai, les autorités chargées de la sécurité de l’État perquisitionnaient plusieurs bureaux de Capvision, un réseau de conseil. En juillet, la Chine a élargi la portée de sa loi anti-espionnage, créant davantage de risques juridiques pour les entreprises étrangères, ainsi que pour les journalistes et les universitaires. Le même mois, la Chine infligeait une amende d’environ 1,5 million de $ à Mintz Group, une société américaine de contrôle préalable des entreprises, pour avoir mené des travaux statistiques non approuvés dans le pays. En octobre, la Chine a officiellement arrêté un homme d’affaires japonais, employé du fabricant de médicaments Astellas Pharma. La semaine dernière, la police chinoise a perquisitionné le bureau de Shanghai de l’agence de publicité GroupM, propriété de WPP, puis arrêté un de ses cadres supérieurs ainsi que deux autres personnes. 

Dans ce contexte particulier, les bureaux de Hon Hai Precision Industry Co. Ltd en Chine, entreprise mieux connue sous le nom de Foxconn à l’international, ont récemment fait l’objet d’une perquisition. Selon le Global Times, les autorités fiscales chinoises ont fouillé les bureaux de l’entreprise dans les provinces du Guangdong et du Jiangsu, tandis que le ministère chinois des Ressources naturelles a inspecté ceux des provinces du Henan et du Hubei, où elle possède d’importantes usines.

Rappelons que l’entreprise est un fabricant d’électronique créé en 1974. En 2021, le chiffre d’affaires annuel de l’entreprise a atteint 214 milliards de $ américains et a été classée 20e dans le Fortune Global 500 de 2023. Il s’agit du plus grand fabricant sous contrat d’électronique au monde – Foxconn est d’ailleurs connu pour fabriquer les iPhones d’Apple. Bien que son siège soit à Taïwan, l’entreprise tire la majorité de ses revenus d’actifs en Chine et est l’un des plus grands employeurs au monde.

Bien qu’on ignore les détails sur le contenu et le processus de la perquisition et encore moins sur ces résultats, un expert associé à l’investigation a tenu les propos suivants qui renforcent fortement les suspicions de manœuvres politiques : « tandis que les entreprises financées par Taïwan, y compris Foxconn, partagent les dividendes du développement, ils devraient également assumer les responsabilités sociales correspondantes et jouer un rôle positif dans la promotion du développement pacifique des relations entre les deux rives du détroit. »

C’est qu’en effet, la particularité de cette entreprise est que son fondateur et ancien président, Terry Gou (郭台銘), a annoncé en août qu’il se présenterait aux élections présidentielles taïwanaises de janvier 2024 en tant que candidat indépendant. Lors du lancement de sa campagne à Taipei, Gou avait explicitement fait référence à cette menace de coercition économique de la Chine sur son entreprise en affirmant : « Si la Chine devait confisquer les actifs de Hon Hai Precision Industry, cela nuirait aux intérêts des principaux fonds de pension mondiaux, et aucun investisseur étranger n’oserait investir ». Selon Gou,  Foxconn serait too big to fail en Chine : avec des clients clés, comme Apple, Tesla, Amazon.com. et Nvidia, tout arrêt de la production en raison de pressions politiques perturberait les chaînes d’approvisionnement, ce que la Chine devrait expliquer au monde. En concluant : « Je ne céderai pas aux menaces de la Chine ».

Pourtant, les précédents ne manquent pas de grands industriels taïwanais pris dans les tenailles de l’administration politique chinoise.

Il y a eu plusieurs incidents au cours desquels le gouvernement chinois a pris des mesures contre des entreprises et des hommes d’affaires taïwanais en Chine, apparemment en représailles à des positions politiques ou pour exercer des pressions dans des moments sensibles de l’autre côté du détroit de Taïwan. Le 24 novembre 2021, le gouvernement avait infligé à deux sociétés du Far Eastern Group une amende de 64,78 millions de dollars et saisi une partie de leurs biens immobiliers inutilisés pour violation de la protection de l’environnement, de la santé des employés, de la fiscalité chinoise et la qualité de la production dans cinq provinces. Selon le porte-parole du Bureau chinois des affaires de Taïwan (TAO) : « les entreprises taïwanaises ayant des investissements en Chine doivent savoir que la Chine ne permet pas aux entreprises taïwanaises et à leurs employés de se montrer ingrats » ; « les dirigeants de ces entreprises devraient comprendre qu’ils ne doivent pas faire de don pour soutenir les séparatistes indépendantistes de Taïwan » (autrement dit, des donations au Parti démocrate progressiste). Quelques jours plus tard, comme par hasard, le président taiwanais du groupe écrivait un article d’opinion dans la presse dans lequel il se prononçait personnellement contre l’indépendance de Taïwan…

En 2016, plusieurs usines en Chine de la chaîne taïwanaise de restaurants de fruits de mer Hai Pa Wang avaient été condamnées à des amendes pour « faux étiquetage » car ses investisseurs étaient suspectés de liens étroits avec la famille de Tsai Ing-wen. Pour montrer patte blanche, l’entreprise avait dû acheter une publicité pleine page dans un journal affirmant qu’elle n’était pas une « entreprise taïwanaise verte [pro-indépendance de Taiwan] ».

La coercition économique comme moyen d’interférence dans le jeu électoral démocratique taïwanais n’est pas une chose nouvelle dans les relations entre la Chine et Taïwan. Mais pourquoi viser Terry Gou dont le parti se situe justement à « droite » de l’échiquier politique et se veut le plus pro-business, donc pro-Pékin de tous les candidats ? Pourquoi s’attaquer à un candidat qui n’a de cesse de dire que la Chine est fréquentable, que la Chine est responsable, que la survie économique de Taïwan dépend aussi des relations économiques avec le continent ? Si Pékin voulait contredire son principal supporter, elle ne ferait pas autre chose.

Tout d’abord, il s’agit de faire un exemple : quiconque veut travailler en Chine doit adopter les valeurs de Pékin, c’est-à-dire du Parti communiste chinois. Personne n’a le droit de se dire intouchable ; personne n’a le droit de croire que l’économique est au-dessus du politique ; personne n’a le droit de penser que le pouvoir ne saurait l’atteindre : personne n’est too big to fail en Chine, à part le Parti communiste chinois.

Ensuite, Terry Gou, en s’ajoutant à la liste des deux candidats de l’opposition, Ko Wen-je (candidat du TPP – Taiwan People’s Party ) et Hou You-yi (candidat du KMT, Parti nationaliste) fragmentent encore plus le vote d’opposition et empêche une alliance entre Ko et Hou de voir le jour qui pourrait faire vaciller William Lai, Vice-président de la présidente actuelle Tsai Ying-wen (DPP). La possibilité d’une alliance entre Ko et Gou serait aussi explosive quant à l’avenir politique du KMT. Ceci dit, même sans Gou, il ne faut pas croire qu’une alliance Ko-Hou serait nécessairement possible ou serait effective.

En tout cas, la réaction de William Lai, vice-Président et candidat à la présidentielle est assez remarquable. Plutôt que d’enfoncer le clou en plaçant Gou face à ces contradictions, Lai a eu l’intelligence politique de prendre la défense de Gou au nom de l’ensemble des hommes d’affaires taïwanais en Chine affirmant que « Pékin devrait chérir et prendre soin des entreprises taïwanaises qui ont apporté de nombreuses contributions à l’économie chinoise, plutôt que de forcer les Taiwanais à prendre une position politique à l’approche des élections ». Par-là, il montre la voie démocratique et libérale d’une distinction entre le politique et l’économique tout en assurant les chefs d’entreprise taïwanais de sa bienveillance gouvernementale.

Par Jean-Yves Heurtebise

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