Le Vent de la Chine Numéro 12 (2017)

du 26 mars au 8 avril 2017

Editorial : Un petit printemps

Après ces semaines politiques oscillant entre censure, pollution et anti-corruption, le printemps revient : pruniers en fleurs, oiseaux qui chantent, thèmes longtemps oubliés qui se rappellent à notre bon souvenir.

L’environnement voit passer quelques petits progrès ! Inde et Chine, qui comptent 86% des centrales à charbon construites dans le monde depuis 2007, ont fermé depuis 2016 des centaines d’unités polluantes et gelé plus de 100 projets nouveaux (selon le Sierra Club, le 22 mars). Le 19 mars, Pékin fermait sa dernière turbine à charbon, du groupe Huaneng, après 18 ans de service. La centrale avait généré 845MW/an, et brûlé 8 millions de tonnes de houille. Inattendue des experts, cette baisse de demande en énergie permet d’enrayer la courbe jusqu’alors hyperbolique des émissions de CO2, soufre, azote et poussières. Il est temps, celle-ci causant désormais en Chine 3 millions de décès prématurés par an d’après la dernière estimation du CDC (Centre de prévention épidémiologique).
Timidement, l’Etat se met à punir les décideurs qui sacrifient délibérément l’environnement sur l’autel du profit. Le 13 mars à Mentougou (Pékin), un cadre en chaufferie publique, surpris à déconnecter le filtre anti-rejets, ce qui décuplait les rejets en dioxyde de souffre, a été placé en détention administrative. L’arrestation a fait l’effet d’une bombe, et fait réfléchir, dans les milieux du secteur public.

Autre mesure forte, le ministre Chen Jining prépare un maillage de la région Pékin-Hebei-Tianjin (115 millions d’ habitants parmi les plus pollués du pays) en 37.000 zones de détection, toutes dotées d’un responsable. 400 d’entre elles, source de 40% de la pollution, verront leur eau et leur air inspectés par des capteurs en temps réel – théoriquement, plus de fraude possible…
A Xingping (Shaanxi) ouvre une usine convertissant la houille en éthanol,  100.000 tonnes par an. Aux cours actuels du pétrole, elle n’est pas rentable—mais la Chine a beaucoup de charbon et peu de pétrole. C’est donc une voie d’avenir, à condition d’être accompagnée d’une bonne taxation sélective.
En février, les ventes d’autos électriques et hybrides reprennent : 17.600, +30%. Xu Yanhua, de l’Association des constructeurs, estime qu’en 2017 les ventes dépasseront les 800.000, soit +58%. Cela devient sérieux !

En santé par contre, en dépit des efforts (tels ces 2000 hôpitaux privés ouverts en 2016) la réforme tarde à percer. Le 17 mars, journée mondiale du sommeil, la China Sleep Research Society publiait son enquête sur 60.000 Chinois de 10 à 45 ans : 73% souffrent d’insomnie, 91% se réveillent las. La faute revient  au stress : 60% des sondés prennent sur leurs nuits pour travailler plus. 93% surfent sur leurs smartphones avant de dormir, et 48% somnolent dans le bus pour combler un peu du retard…Les premiers concernés sont les patrons de « start-up » : 21% rêvent de leur travail, 10% admettent passer des nuits blanches.

Un second problème de santé touche à l’éducation sexuelle. « Aimer la vie », sérieux ouvrage de l’Université normale de Pékin, est à l’index de parents indignés par ces textes et illustrations sur la conception, abordant aussi les thèmes normalement bannis du harcèlement ou de l’homosexualité. « Le problème tient au passé », explique Peng Xiaohui, sexologue de l’Université Normale de Wuhan : « 99% des parents sont ignorants en fait de santé sexuelle ». L’Etat lui-même a sa responsabilité dans ce retard, ne s’étant pas prononcé sur le nombre d’heures minimum d’éducation sexuelle requis ou sur la formation des éducateurs. « On ne peut plus pratiquer la politique de l’autruche », enchaîne Peng. Ce tabou maintenu, se paie en millions de cas de frustrations, grossesses indésirables ou agressions sexuelles. Sous cet angle, la Chine apparaît donc vieux jeu –mais au moins, le débat est ouvert !


Monde de l'entreprise : Ofo, Mobike, les « petites reines » en pleine ébullition
Ofo, Mobike, les « petites reines » en pleine ébullition

L’arrivée dans les villes chinoises des vélos partagés, puis l’explosion du secteur, préfigurent un changement sociétal, une mutation des transports urbains. Elle se poursuit aujourd’hui à rythme si rapide qu’on est incapable de deviner la suite.

En 2015, ces vélos aux couleurs chatoyantes (orange, jaune, bleu roi) ont fait leur apparition, sans vitesse à passer, mais souvent avec paniers et garde-boues. Sur le trottoir, le vélo est disponible au premier venu : en 30 secondes, la transaction est actée par smartphone (par scan du code QR ou un code à plusieurs chiffres), débloquant l’antivol. Arrivé, l’usager abandonne son deux-roues, referme l’antivol, puis la compagnie prélève sa course (0,5 à 1¥/h) via l’application mobile.

Variante technologique, Mobike (摩拜单车) est le seul permettant au client de repérer par GPS un vélo disponible, et même de le réserver avant de le rejoindre.

Deux groupes dominent : Mobike (shanghaïen d’origine, 40%), et Ofo (共享单车, pékinois d’origine 50%). De gros intérêts investissent sur eux. Pour Mobike, Tencent, Warburg Pincus, TPG, Temasek, Foxconn. Pour Ofo, DST Global (Moscou) et Didichuxing. De plus la visite de Tim Cook, PDG de Apple, le 21 mars au QG pékinois d’Ofo, nourrissait la rumeur d’une prise de participation.

En mars, Mobike obtenait 300 millions de $, et Ofo 450 millions de $. Mobike s’alliait à Foxconn pour doubler son approvisionnement en petites reines à 10 millions par an. Ofo, le 21 mars, revendiquait 10 millions de courses quotidiennes entre 43 villes, pédalées par ses clients sur 2,2 millions de bicyclettes.

Pour Wang Chenxi, d’Analysys, bien plus que l’invention de la technologie de location/paiement via smartphone, la force déterminante dans la création de ce marché, a été l’appel d’air du capital, sa demande en services connectés, plus que la demande de la rue en autonomie accrue de déplacement.

Du point de vue de l’Etat et de la gouvernance sociale, les avantages sont imposants : le vélo partagé va de pair avec les plans publics de lutte contre pollution, de promotion de l’innovation et de renforcement de la santé publique par l’exercice physique. Pour l’usager, ce vélo qui est ludique et bien accepté, permet d’effectuer plus vite et moins cher le dernier tronçon de son parcours que s’il le faisait à pied ou en bus. Mais sa croissance ultrarapide s’accompagne aussi de nuisances, qui menacent de devenir incontrôlables si elles ne sont contrôlées rapidement.

Par exemple :

– les rivaux se lancent dans une bataille effrénée, anti-économique pour occuper le terrain. Les « gros » mettent les bouchées doubles pour empêcher les « petits » de s’installer, en l’absence de règlements et conditions. Il suffit de 200.000 à 300.000 ¥ pour inonder un quartier de 1000 deux-roues. De fait, des dizaines de firmes prolifèrent au sein d’une ville, leurs vélos aussi : le pays approche de la saturation et les tarifs de location restent bas. À 1¥ de l’heure, il faut un an au bas mot pour amortir le modèle classique de Mobike, qui coûte 2000¥ à produire. Entretien et transport non-compris, car ces vélos doivent être récupérés en périphérie par camion à toute heure, et retournés vers le centre.

– les usagers sont inciviques. Shanghai ploie sous 450.000 vélos partageables pour 20.000 places de parking. Les vélos sont laissés sur les pistes piétonnes, les ponts ou les voies rapides. À Shanghai en mars, 5000 engins mal garés sont saisis par la police, excédée. Chez Ofo, 1% des vélos (plus de 20.000) sont cachés dans les résidences, ou jetés dans un canal. Parfois, les codes QR sont griffés pour rendre l’identification impossible. Un vandalisme dont le seul profit revient aux compagnies rivales…

Face à tous ces dérapages, les états-majors des groupes et des mairies travaillent fiévreusement à des solutions. Ofo espère réduire les vols en décuplant la masse des vélos disponibles : c’est pour faire disparaître dans les esprits la vieille angoisse, héritage du passé, de « faire des provisions » contre la pénurie. Face au  vandalisme, Ofo s’est associé à Ant Financial (Alibaba) : à titre de test, dans Shanghai, tout usager titulaire de plus de 650 points à son service de crédit social, est dispensé du dépôt de 99¥.  

Concernant les parkings, on discute encore. À Pékin, Ofo et Mobike s’engagent à éviter pour leurs dépôts, 10 rues du centre-ville. La mairie de Shanghai prépare pour juin une carte interactive sur smartphone de parkings obligatoires pour ces vélos partagés. En attendant, elle impose aux firmes un moratoire à tout ajout de lots supplémentaires de bicyclettes dans le centre-ville. 

Reste au final la question de l’avenir : ces groupes travaillent évidemment à perte mais pour combien de temps ? L’absence de rentabilité est si flagrante que plusieurs économistes soupçonnent un but capitalistique dérivé et à long terme : soit la constitution d’un marché captif sans aucun lien avec le vélo, de millions d’usagers en recueillant leurs données individuelles (« big data »), soit par le biais d’un « coup d’accordéon » en bourse, voire même, d’une fusion-consolidation Ofo-Mobike—que d’aucuns jugent inévitable.

En attendant, Ofo, Mobike, Bluegogo et les autres poursuivent leur « marche ou crève » en Chine (100 villes d’ici décembre), et hors frontière (San Francisco,  Londres, Singapour). Autant dire que pour ce secteur en furieuse effervescence, tout est possible, même un crash de la bulle, faute de viabilité. La disparition du vélo des rues chinoises toutefois est inenvisageable. Fin des ‘90 déjà, le régime avait tenté de le remplacer par la voiture. Mais le retour de la petite reine 10 ans plus tard signe sa revanche et son remariage définitif avec le Céleste Empire. 


Architecture - Urbanisme : Caidian (Wuhan) – Une ville nouvelle, « made in France »
Caidian (Wuhan) – Une ville nouvelle, « made in France »

En 2005 près de Shanghai, se construisait l’éco-cité de Nanhui, dessinée par un cabinet allemand pour 450.000 habitants, avec d’élégantes artères autour d’un lac circulaire, des zones d’affaires et résidentielles, un bois, une marina, un port en eau profonde, une zone high-tech… Aujourd’hui hélas, cette banlieue est une « ville fantôme ». La faute à une insuffisante planification, et à un « fait du prince » durant les travaux : un maire autoritaire avait ordonné le doublement de surface du lac, sans savoir que cela plongerait la ville sous des vents violents, ni que le lac ferait obstacle aux échanges entre quartiers.

Pour éviter de telles erreurs, dans sa future éco-cité de Caidian, Wuhan a fait appel à l’expertise française. Ce poumon industriel du centre de la Chine se trouve être également la plus francophile des villes de ce pays (avec 130 firmes de l’hexagone dont PSA, Renault ou Faurecia, et 1000 français expatriés).

A l’Ouest de Wuhan, bordant Yangtzé et mont Maan, Caidian est une réserve naturelle peu développée : pour créer cette ville à bas carbone, la coopération fut scellée à Paris en mars 2014 en présence du Président Hollande et de son homologue chinois Xi Jinping. Depuis, les missions se sont succédées entre Wuhan, Paris et Lille – fief de Martine Aubry qui a impulsé le projet. Aujourd’hui le schéma directeur coproduit par des experts chinois et français (du cabinet Arep), s’apprête à recomposer le paysage de Caidian en ilots d’habitations et de travail entre fleuve, lacs, et marécages, destinés à mixer les activités sociales tout en préservant la biodiversité.

Fort pollué, le lac Houguan va d’abord être réhabilité, puis doté de canaux souterrains ramifiés sous une éco-cité « éponge » (qui aura la capacité d’ absorber les crues). Sur 39 km², voire 120 km² d’ici 2027, Caidian sera une des villes les plus vertes du pays.

Le budget se chiffre en milliards d’euros, nécessaires pour intégrer et associer des transports innovants, l’éclairage intelligent, les écoles (franco-chinoise), le ramassage et recyclage des déchets. Cette cité sera donc « neutre » ou à faible empreinte carbone, dont les 200.000 habitants résideront en « clusters » ou quartiers durables, sans gratte-ciel. Des zones industrielles high-tech non polluantes (dont une de petite construction aéronautique, une d’équipements connectés, médicaux, une d’automobile) entourent l’éco-cité. Caidian aura aussi sa zone d’écotourisme, sa ligne de TGV (sa gare), son réseau de métro (deux lignes) et de tramway, son accès à trois autoroutes, ses trois périphériques. Sur son sol officiera son agence de certification « verte », destinée à valider tout bâtiment, produit ou service local, pour conférer à la ville une légitimité « durable » unique. 

Des dizaines de firmes françaises sont sur les rangs, telle l’alsacienne Lohr qui offre son « Cristal », minibus électrique autonome, utilisable en unités séparées ou en « train » sur les routes de la zone… A l’heure des appels d’offres, Caidian voit ses chantiers se monter.

La Chine entière observe ce projet urbain copiloté par l’étranger : en cas de succès, les demandes d’intervention ailleurs dans le pays ne manqueront pas.


Société : Dieu ou diable, l’imminent crédit social ?

En Chine, le crédit social doit faire son apparition en 2020. Cette note morale sera attribuée à tous individus, firmes et administrations sur base de leurs données individuelles. Elle doit définir (moduler) leurs droits, en vie professionnelle et privée.
Dans 36 villes depuis 2016, huit firmes ont commencé à noter les volontaires selon leur fiabilité commerciale. À Shanghai, Ant Financial (Alibaba) propose Sesame Credit, service de notation en 950 points. Melle Zhou dépense en moyenne 2500¥ par mois par Alipay via son smartphone. Avec ses 775 points sur Sesame Credit,  elle bénéficie de certains privilèges comme d’une dispense de caution de location (voiture ou vélo),  fouille allégée à l’aéroport.
Les systèmes publics de « crédit social » promettent eux à leurs bons élèves, un emprunt bancaire plus rapide par exemple… À l’inverse, ceux affligés de mauvais scores sont mis sur une liste noire nationale, risquant l’inéligibilité à un poste de direction, une promotion, voire une place d’avion. D’après la Cour  Suprême, durant les 4 dernières années, ils étaient 6,15 millions dans ce cas. L’entreprise « blacklistée » suite à des fraudes graves et répétées, risque la perte de subventions, de ses actifs, de son accès en bourse, de sa licence-même. Apparemment, c’est sur Sesame Credit que compte le PDG Jack Ma pour éliminer les contrefacteurs de ses sites de e-commerce.
De ce crédit social, le pouvoir attend beaucoup : renforcer la crédibilité du système marchand en déracinant la triche, en écartant les multiples fraudeurs, la corruption rampante. Y compris parmi les personnes morales, les firmes, et ses administrations. S’il réussissait, ce serait pour le régime, un succès retentissant.
Mais le système futur compte des zones d’ombres, et pose la question de son acceptabilité sociale : comment étendre la note morale à l’humanité et à tous ses comportements ? Quel recours en cas de mauvaise note, notamment si elle est erronée ? Le système rendra-t-il plus libre, ou plus enchaîné ? Des réponses doivent être prêtes d’ici trois ans. Alors, ce système devra entrer en fonction – véritable première dans l’histoire humaine.


Défense : Chiens de faïence en mer de Chine

En mer de Chine règne une paix malaisée entre trois zones de tensions :

-À Yantai (Shandong) le 13 février était baptisée Bluewhale I, la plus grande plateforme d’exploration pétrolière au monde, du groupe CNPC. 42.000 tonnes, 5000m², 700 millions de $, elle peut forer par 3658m de fond, jusqu’à 15.540m de sous-sol. Pour le Vietnam, ce n’est pas une  bonne nouvelle : en 2014, une station  chinoise près de l’archipel des Paracels, avait causé l’affrontement entre des nuées de bateaux chinois et vietnamiens qui considèrent ces eaux comme siennes, selon la Convention UNCLOS du Droit de la mer, dont Pékin rejette l’autorité, après s’être saisi des Paracels en 1974.
Or en mars, la Chine entamait des travaux sur divers îlots des Paracels. A mi-distance entre Chine et Spratleys, les Paracels sont la base pour l’approvisionnement (fuel, eau, glace) des flottes chinoises militaires et de pêche en route vers la mer de Chine du Sud, que Pékin revendique aussi.
Aussi le 20 mars à Hanoi, le Premier ministre Nguyen Xuan Phuc priait le ministre sud-coréen des Affaires étrangères Yun Byung-se d’assister son pays « au maintien de la loi en mer ». Il tentait d’impliquer dans ce litige ce pays qui n’en est pas partie prenante, mais qui a également un litige avec la Chine avec le déploiement sur son sol d’un système américain Thaad anti-missiles. La réponse de Yun n’a pas été donnée.

-Côté japonais, le porte-hélicoptères Izumo appareillait pour  Singapour, l’Indonésie, les Philippines, le Sri-Lanka, en route pour deux semaines de manœuvres Malabar, avec les flottes des USA et Inde. En même temps, un porte-aéronefs français de classe Mistral partait pour le Pacifique-Ouest, transportant outre ses appareils et ses troupes embarquées, deux hélicoptères et 80 marins britanniques. En route vers Tinian (Marshall), à 2500 km de Tokyo, il devait se livrer à 2 semaines de manœuvres mi-mai—peut-être en présence de bâtiments nippons et de la 6ème flotte américaine. « Plus qu’un simple exercice, déclarait une source, la campagne amphibie doit être reçue comme un clair signal à la Chine». Signal qui avait déjà été émis en janvier par un officier d’état- major français, en visite à Pékin. 

-Enfin, sur l’atoll de Scarborough en eaux « philippines » (selon l’UNCLOS), la presse de l’île de Hainan, base chinoise pour les opérations vers les mers du sud, annonçait la construction d’une « station météo ». Tout de suite, Manille réclamait des explications. Or, fait rare, dès le lendemain, Pékin démentait. C’est qu’il s’agit de consolider une alliance encore frêle avec ce pays pauvre et insulaire, traditionnel allié des Etats-Unis. À cet effet, les 16-19 mars, le vice-Premier Wang Yang arrivait, avec dans ses cartons, pour 6 milliards de $ de chèques et 15 chantiers.


Diplomatie : Chine-USA : Le calme avant la tempête ?

Pour sa première mission officielle, R. Tillerson, l’émissaire de D. Trump était venu à Pékin (18-19 mars) sortir les couteaux. Il repart le sourire aux lèvres sur de « chaleureuses paroles » avec Xi Jinping, et les principes forgés avec Obama dès 2013, à savoir « non-confrontation, refus du conflit, respect mutuel, coopération mutuelle ». Presque déçue d’être privée d’un match mémorable, la presse américaine maugrée…
Corée du Nord et sa course à la bombe nucléaire mise à part, un point de fond à régler entre ces puissances est celui des échanges commerciaux. Trump a posé une question légitime, celle d’une économie encore largement d’Etat, qui impose aux autres pays ses conditions d’accès à son marché. Le système était toléré durant les décennies de prospérité en Occident. Mais en période de crise, il devient inacceptable—et insister fait risquer des clashs, y compris la déstabilisation de ces pays tentés par le populisme. La Chine alors, veut jouer le jeu et soutenir ses partenaires, et le multilatéralisme. Ceci joue en faveur d’une entrée au TPP (accord à 14 pays de la zone pacifique) – dont Trump a retiré les USA. Mais en même temps, elle vit la tentation ancienne de négocier des accords commerciaux séparés : jouer de sa position de force et de la division des autres, pour obtenir des concessions exclusives. Ces deux approches sont incompatibles, et Pékin va devoir choisir. En attendant, le bon rapport avec les USA, éphémère, repose sur cette ambiguïté. 
C’est cette même ambiguïté qui incite Pékin à garder, face aux USA, plusieurs fers au feu. Ainsi l’accueil à Tillerson a été digne de celui d’un chef d’Etat. Xi a laissé entrevoir la possibilité, lors d’une rencontre les 6-7 avril avec Trump, de négocier sous 12 mois, un accord de protection des investissements et d’ouverture des marchés. C’est justement l’agrément que USA comme Union Européenne, se voient éluder depuis 20 ans. Mais en même temps, Xi ne se cache pas de préparer des rétorsions, en cas de sanctions commerciales américaines. Trump de son côté prépare un important contrat de ventes d’armes à Taiwan, ainsi qu’une liste d’exigences à présenter lors la visite de Xi aux USA, sur l’accès au marché chinois…
En définitive, cette paix semble fragile. Le succès qu’espèrent les deux chancelleries les 6-7 avril, serait la création d’un rapport personnel solide entre ces deux leaders à forte personnalité. Ce serait, croit-on, la meilleure base imaginable, pour rebâtir la relation entre les deux pays ces années à venir.


Petit Peuple : Kunming (Yunnan) – Et Li Yinglai créa la femme…

Li Yinglai, recycleur de 74 ans, vit avec sa vieille mère de 96 ans et son grand frère. Très tôt chaque matin, il enfourche son triporteur, et s’arcboutant sur ses pédales, s’enfonce dans le dédale des venelles de Kunming (Yunnan). Qu’il pleuve ou qu’il vente, hiver comme été, il fait la tournée de trois bâtiments, avec la complicité des gardes qui le laissent entrer.

A chaque étape, le vieux cycliste va droit aux poubelles. Là, il trie les bouteilles en verre et plastique, canettes d’aluminium et barquettes en carton. Une à une, il les vide de leur air, les écrase du pied, les enfile comme perles d’un collier de fil de fer de récup’, des ballots qu’il empile sur sa plateforme. En fin de matinée, son petit tricycle s’est transformé en un monstre trois fois plus haut que lui, en surplomb d’un mètre sur chaque flanc, quoique son chargement compressé ne dépasse pas quelques dizaines de kilos. Il est alors temps de retourner au dépôt qui pèse et lui donne sa paie. Son labeur lui permet de gagner au mieux 6 à 7 yuans par jour, de quoi acheter au marché un paquet de nouilles sèches, une livre de légumes, quelques morceaux de tofu. Ces humbles emplettes, Yinglai les rapporte à son frère aîné qui prépare le repas de midi.

Parfois la chance n’est pas au rendez vous – endurcis par les dernières consignes, sourds à ses prières, les gardiens refusent de le laisser passer, ou bien suivant l’humeur imprédictible du consommateur, la marée des déchets du jour ne contient rien de recyclable. Alors, Yinglai dépité, doit se rendre au marché non en client mais comme implorant…

Avec un tel métier, Yinglai n’a jamais pu se marier : qui voudrait pour compagnon d’un va-nu-pieds négligé ? Vacciné par la vie, Yinglai n’y pense guère : sa mère lui suffit, et il a assez entendu les plaintes de ses copains mariés, sur les criailleries de leurs mégères.

N’avoir pas d’enfant, dans l’absolu, ne le fait pas souffrir plus que ça – il évite d’y penser. Sauf pour sa mère, qu’il déplore d’avoir déçu. En effet, Yinglai a passé plus de la moitié de sa vie à culpabiliser sur le précepte de Mencius : « des trois manières d’insulter ses ancêtres, la pire est de ne pas avoir d’enfant » (不孝有三,无后为大 bùxiàoyǒusān, wúhòuwéidà). Et le fait que son frère, pas plus que lui, n’ait pu fonder un foyer, ne l’aide pas à diluer sa gêne…

Depuis 14 ans toutefois, à l’âge symbolique de 60 ans (celui de l’accomplissement de cinq cycles du zodiaque chinois), notre recycleur a trouvé le moyen de s’affranchir de cette disgrâce. Chaque dimanche, il sort de son placard une bonne dizaine de vêtements, et se compose avec soin un look correspondant au temps et à son humeur, joyeuse ou espiègle. Parfois, il sollicite l’aide de sa mère pour quelques ajustements. Puis il prend congé et se rend au parc du Lac vert.

Là, sur une aire pavée entre les arbres centenaires et les stèles rocheuses, ayant enclenché sa petite sono et son haut-parleur récupérés, il se met à danser. D’abord lentement et comme emprunté, puis de plus en plus naturel, Yinglai virevolte avec grâce, multiplie les pas chassés, pas glissés, les tournants sur lui-même, suggérant toute la gamme de sentiments amoureux, les gestes de la séduction et de la passion. Avec légèreté, il brandit, ouvre et ferme habilement son éventail multicolore, adresse des sourires mutins de ses lèvres rehaussées de rouge, lance vers la foule des clins d’œil câlins de ses cils passés au mascara. Il faut à peine quelques minutes pour que ses admirateurs soient un, dix, puis approchant la centaine, applaudissant en rythme. Car on l’aura compris, Yinglai s’est déguisé et porte selon les saisons, des tenues largement féminines, données par des voisines bienveillantes, excessivement voyantes : chapeau à fleurs ou bonnet rouge de garde impérial Qing, kimono brodé de tournesols et de parasols, juste-au-corps de soleil noir et blanc, collants verts brillant sur ses puissants mollets, sans compter ses extraordinaires lunettes rondes fluo, conférant à son visage des éclats clownesques.

L’accueil est enthousiaste—nul ne penserait, fût-ce une seconde, à se moquer du vieux travesti, et c’est sans l’ombre d’un sarcasme que les enfants l’interpellent « grand-mère ». (nainai, 奶奶). Car de la sorte, Yinglai prétend offrir à sa mère la fille qu’elle n’a pas eu.

C’est ainsi qu’après une belle journée au parc, il retourne auprès de sa vieille mère et après l’avoir enlacée et lui avoir réitéré à multiples reprises son affection, il lui conte son excentrique après-midi… De la sorte, parfois, il parvient à la faire rire.

Ce que Yinglai ne dit à personne, c’est que sa mascarade porte pour lui un autre sens, bien plus secret. Durant tout le temps de sa performance, il cesse d’être le mendiant et le gueux que tout le monde méprise en semaine. Finis, les haillons et les mauvaises odeurs. Il est transfiguré, propre et soigné jusqu’aux ongles. Envolée, l’image d’un misérable rejeté et à la marge : Yinglai est sur scène, fier de se produire, arborant sa dignité retrouvée. Et s’il était un pauvre solitaire, en fin d’une vie ratée, le voici au cœur d’une fête bon vivant, dont il est le héros. N’est-ce pas là, d’une pichenette, avoir changé le cours de l’existence, et joué un bon tour au destin ?


Rendez-vous : Semaines du 27 mars au 9 avril 2017
Semaines du 27 mars au 9 avril 2017

23-26 mars, Hainan, BOAO Forum for Asia avec pour thème : Globalization & Free Trade – The Asian Perspectives

 25-26 mars, Pékin, puis 28 mars à Xi’an, et 2 avril à Shanghai : CIEET, Salon international de l’Education

28-30 mars, Pékin : ITE China, Salon international des technologies de l’irrigation

28-31 mars, Shanghai : HOTELEX + Design & Expo : Salon international des équipements, approvisionnement pour l’hôtellerie en Chine

28-31 mars, Shanghai : FINEFOOD Expo, Salon international de l’agro-alimentaire destiné à l’industrie hôtelière

29-31 mars, Pékin : CLEAN ENERGY EXPO China, Salon et Conférence sur les énergies renouvelables

29 mars – 1er avril, Shenzhen : SICT, Salon international de l’outillage

29 mars – 1er avril, Shenzhen : SIMM, Salon international consacré aux machines de fabrication industrielle

31 mars – 2 avril, Canton : R&OC, Réhacare & Orthopedic China, Salon des thérapies de réadaptation, des technologies d’assistance et appareils orthopédiques en Chine

4-6 avril, Pékin : CISILE, Salon international des instruments scientifiques et des équipements de laboratoire

4-7 avril, Shanghai : PROLIGHT + SOUND, Salon international des technologies de l’événementiel et de la communication, de la production et du divertissement

6-8 avril, Pékin : NGV, Salon international du gaz naturel et des équipements pour stations de stockage

 7-9 avril, Canton : China PET Fair, Salon international de l’animal de compagnie

9 avril, Shanghai (Jiading), Grand Prix Formule 1


Hong Kong : Sans surprise, Carrie Lam

Comme une horloge helvétique, les élections à Hong Kong le dimanche 26 mars, se sont déroulées selon le scénario prévu : Carrie Lam, la candidate ultra-adoubée par Pékin a remporté le strutin avec une très confortable majorité de 777 sur 1194 grands électeurs.

Vaincu, John Tsang, l’ancien secrétaire aux finances, favori de l’establishment mais aussi de la rue (avec 70% d’opinions favorables), a été terrassé avec 365 voix.

Un 3ème homme, le juge en retraite Woo Kwok-hin, n’avait au départ aucune chance (21 voix). Les jeux étaient donc faits d’avance : la discrète ancienne patronne de l’administration du territoire, s’est faite accepter du pouvoir central par ses qualités de gestionnaire d’hommes, non-confrontationnelle mais efficace, et bien sûr par son absence de toute contestation des ordres du régime. Peu de changement donc, selon le mot du tribun démocrate James Tien.

Et pourtant, à notre sens, cette campagne a marqué des progrès, en terme de maturation, comme la non reconduction de Leung Chun-Ying, l’actuel Chief executive qui s’était fait haïr en prévenant avec trop de zèle tous les désirs de la frange conservatrice du pouvoir. Dégagé en touche par Pékin, nommé vice-Président de l’Assemblée Consultative CCPPC, il est le premier patron de l’ex-colonie de la couronne à ne faire qu’un seul mandat.

Tous les bords, durant cette campagne, ont évolué. Pékin d’abord, en sollicitant à plusieurs reprises des opinions, et agissant très tôt en sous-main pour que tous les candidats soient représentatifs et acceptables – en particulier, Lam est la première patronne de la Région Administrative Spéciale, issue du beau sexe. De même, le collège des grands électeurs, tout en restant manipulé de manière à garantir le choix final au gouvernement, s’est rapproché de la réalité sociale avec 360 voix démocrates contre 180 « pro-pékin ». Et le vote au scrutin secret, sans permettre de pouvoir espérer renverser le choix de la « mère patrie », a effectivement renforcé le score de Tsang.

Enfin, du côté des candidats, le ton n’est plus dans l’argument « pour » ou « contre » Pékin, ce qui est perte de temps et confrontationnel, mais chacun a tenté d’aller à la fois vers les débats pragmatiques de terrain – comment redonner emploi, espoir à la jeunesse, sur quels atouts spécifiques à Hong Kong jouer pour relancer la ville ? Lam par exemple, la veille du vote, se déclarait sur son blog « confiante de pouvoir se connecter avec la ville pour réaliser un avenir meilleur »… Mais pourra-t-elle enrayer la crise de méfiance qui ravage le territoire depuis 5 ans, sous Leung ? Rien n’est dit. Au minimum, c’est une personnalité fraiche et non compromise, la chance d’un nouveau départ.