Société : Tibet – un new deal ?

A propos du Tibet, ces dernières années les bonnes nouvelles sont rares. Depuis 20 ans, le bras de fer perdure entre un régime déterminé à appliquer une politique généreuse mais ne supportant pas la contradiction, et une minorité ethnique menée par son clergé, qui revendique le retour de son chef spirituel exilé en Inde depuis 54 ans. D’ailleurs, au nom de cette cause, une nonne lamaïste s’immolait le 11/06, portant le chiffre à 120 depuis 2009 ; tandis que le 20/06, T. Woeser, poétesse tibétaine dissidente, était assignée à résidence à Pékin. 

Depuis l’émeute sanglante de Lhassa (14/03/08) qui avait fait 19 morts et plus de 600 blessés, un effort sécuritaire sans précédent a été investi au Pays des Neiges : 21.000 cadres furent déployés ans 5451 villages, secondés par des milliers de patrouilles de volontaires aux brassards rouges. En deux ans, tous les foyers furent visités au porte-à-porte, dans le cadre de la campagne « une enquête et cinq recherches ». Les habitants furent alors classés selon trois degrés de fiabilité dont le dernier, « méfiant envers le Parti et la patrie », causait l’envoi de nombreux milliers de villageois pour un long stage (45h) obligatoire d’éducation civique. 

Ces « équipes communautaires » de sécurité participent aussi aux tâches collectives et à l’équipement, avec un budget d’investissement d’au moins 100.000¥ par an et par village.  Un autre effort a été fait en recrutement au PCC, pour nourrir la « tibétisation » des cadres : 230.000 membres, soit 7,67% de la population, contre 6,23% pour le reste de la Chine. 

Or à présent, on croit voir, dans cette relation bloquée, un tournant : comme si le régime réalisait à présent le risque de devoir maintenir à jamais le Tibet sous un ordre martial à coût ruineux, sans jamais obtenir la paix civile mais en devant souffrir d’un lourd déficit dans son image internationale. 
De source officielle en effet, depuis quelques semaines, il est autorisé, au Toit du monde comme dans les territoires du Tibet extérieur (Gannan, Amdo, Ngaba) de vénérer le Dalai Lama « en tant que prélat », et ses portraits peuvent s’afficher et se vendre – il y a encore un an, les moines étaient obligés de les piétiner. 

Autre changement, les portes du Pays des Neiges sont davantage ouvertes, même aux journalistes et aux ambassadeurs. Tout cela traduit une concession importante, de nature à faciliter une normalisation avec les monastères et la rue – désaveu de 10 ans de main lourde sous de puissants responsables ultraconservateurs tels Luo Gan, Zhou Yongkang ou Jia Qinglin. 

Le tournant a été préparé par Mme Jin Wei, professeur à l’Ecole du Parti, dans une interview à Asia Weekly (HK). Appelant à « une nouvelle approche créative », elle faisait une série de suggestions en contrepied des thèses officielles depuis 1989, comme reprendre le dialogue avec le pape lamaïste, le faire revenir à Macao, HK, au Tibet, puis à Lhassa. 

Puis Jin Wei envisageait de négocier avec lui sa succession : que sa réincarnation soit acceptable aux 2 parties, pour éviter l’émergence à l’avenir de deux leaders religieux concurrents. Ces vues, sans doute, étaient celles de Xi Jinping et de Li Keqiang, voire de Yu Zhengsheng, l’actuel membre du Comité Permanent responsable du dossier, que l’on dit modéré. 

Seuls resteraient poursuivis par Pékin, une poignée de jeunes Tibétains exilés extrémistes, également dénoncés par le Dalaï Lama, dont une délégation ultra secrète séjournerait ces jours-ci à Pékin. Pékin se serait réaligné sur une position très ancienne et très tolérante. Celle du 1er Secrétaire de naguère, Hu Yaobang, explicitée à Lhassa dès 1980 : laisser aux Tibétains 50 ans d’autonomie culturelle et religieuse ; « pour permettre au Tibet de rejoindre la nation et connaître prospérité et culture, nous avons 6 tâches à accomplir : la première sera de respecter scrupuleusement l’autonomie ethnique »…

Bien sûr, de gros écueils sont à attendre, comme la personnalité de Lobsang Sangay, le jeune 1er Ministre tibétain élu à Dharamsala, inadmissible pour la Chine, tout comme son entourage (qu’elle appelle « la clique »). Mais même ainsi, un vent de changement souffle bien depuis Pékin sur le Toit du Monde. 

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