À la veille de la Chandeleur (2 février), fête durant laquelle il est coutume de manger des crêpes, un point sur les origines du sarrasin (Fagopyrum esculentum ssp. esculentum Moench) s’impose.
En effet, son nom est trompeur : le « blé noir » (荞麦 ; qiáomài) n’est pas une céréale, mais une plante annuelle de la famille des polygonacées, comme l’oseille ou la rhubarbe, reconnaissable aux beaux jours à ses petites fleurs blanches.
Cette espèce a été domestiquée au Néolithique entre le Tibet oriental et les contreforts himalayens du sud-ouest de la Chine, où sa culture est attestée dès 2600 ans av. J.-C. De là, elle s’est étendue dans la moitié sud-ouest/nord-est du pays avant le début de notre ère, puis en Corée et au Japon. Le sarrasin, qui a peut-être été connu des Romains, ne semble s’être imposé dans l’agriculture européenne qu’au Moyen-Âge suite aux migrations mongoles. Vers 1400, on l’appelait « le blé païen » en Suisse et sa culture était présente dans plusieurs régions de France (Auvergne, Limousin, Bretagne, Normandie…).
Anne de Bretagne (1477-1514) ne l’a donc pas introduit sur son duché, mais aurait seulement contribué à développer la culture du sarrasin dans la péninsule armoricaine au XVIe siècle, sans la taxer pour lutter contre les famines. S’adaptant bien aux sols médiocres et ne nécessitant guère de soins, il devient l’alimentation de base des paysans bretons. Essentiellement consommé en bouillie, il aurait permis d’éviter de nombreuses famines à ces populations pauvres.
Dans les années 1900, la production de sarrasin en Bretagne était de 370 000 hectares. Puis dans les années 1960, avec l’apparition de la politique agricole commune européenne (PAC), la culture du blé noir a été délaissée au profit du maïs et du blé, plus rentables. Aujourd’hui, elle n’est plus que de quelques milliers d’hectares…
Cela n’empêche pas le blé noir de connaitre une seconde jeunesse ces dernières années, porté par la vague du sans gluten et du bio. C’est sans oublier la tradition culinaire bretonne qui reste très vivante (crêpe, galette, kig-ha-farz, miel, bière, whisky, chips, blinis…). La région (et ses touristes) consommerait 3,5 fois plus de blé noir que la moyenne française, soit 11 000 tonnes par an. Or, la production locale n’atteint pas les 4000 tonnes.
Pas d’autre choix donc, que de recourir aux importations : 80% du sarrasin consommé aujourd’hui dans l’Hexagone vient de l’étranger, principalement de Chine (Shanxi, Mongolie-Intérieure, Ningxia…). Un comble pour la Bretagne, dont le blé noir bénéficie d’une indication géographique protégée (IGP – « Gwinizh-du Breizh ») dans ses cinq départements historiques depuis 2010. Côté prix, comptez 500 euros la tonne de sarrasin importé contre 840 euros pour le blé noir breton avec l’IGP. Même si la farine bretonne est trop chère sur le marché français face à ses concurrentes étrangères, la qualité IGP est devenue un argument à l’export. À tel point que les Chinois ont tenté une improbable contrefaçon du label « Bretagne » ! Amour du sarrasin quand tu nous tiens…
Sommaire N° 4-5 (2022)