Petit Peuple : Zhaotong (Yunnan) – Le long chemin en arrière de Li Jingwei (3ème partie)

Zhaotong (Yunnan) – Le long chemin en arrière de Li Jingwei (3ème partie)

Jingwei, enfant enlevé et vendu à de nouveaux parents, a grandi loin de son Yunnan d’origine et de ses parents biologiques. Le voici adulte, parfaitement intégré à Zhengzhou dans cette vie nouvelle. Jusqu’au jour où…

La nuit du 11 février 2021, veille du « chunjie » marquant l’entrée dans l’année du bœuf, Jingwei, 36 ans, eut un cauchemar. Un petit paysan marchait devant une ferme, traînant derrière lui un chat de bois qui grandissait à chaque pas, au point de devenir géant et d’écraser un couple de vieillards. Il se réveilla en criant : l’enfant n’était autre que lui-même, et ce couple de vieux, c’étaient ses parents d’autrefois, qui faiblissaient seuls, privés de leur fils. D’un fils égoïste, qui n’avait rien fait pour les retrouver. À son épouse, il expliqua en haletant le message qu’il venait de recevoir des limbes. Alors, cette femme directe et fidèle lui fit une remarque qui allait changer sa vie : « tu dois les retrouver ».

Mais comment faire ? Aller chercher ses parents génétiques, c’était comme « chercher une aiguille dans un océan » ( 大海捞针, dàhǎi lāozhēn) ! Le jour même, il alla à la police municipale. Là, on releva son identité présente, sa photo, son groupe sanguin et les bribes de souvenirs diaphanes qu’il put rassembler sur son kidnapping à l’âge de 4 ans. Sur le conseil d’un agent compatissant, il se rendit ensuite au bureau local de Baobaohuijia, l’agence bénévole spécialisée sur ce genre de crime. Baobaohuijia passait pour parvenir parfois, à partir de listes d’enfants recherchant leurs parents ou l’inverse, à faire le rapprochement, recoller ensemble des familles à partir de leurs seuls liens du sang. Ils étaient en moyenne 20.000 par an, les fils et filles kidnappés à seule fin d’être revendus dans d’autres provinces. Mais à l’agence et à la police, Jingwei fut prévenu : tant qu’il n’offrirait pas un début de piste solide, les chances d’avancer étaient nulles.

Jingwei réfléchit : après tout, pourquoi pas ? Ses souvenirs et ses dessins d‘enfance pouvaient constituer un début de piste. Et de toute manière, il n’avait rien d’autre. Il ressortit donc le carnet où il avait croqué tant de scènes de ses premières années, dessinées après coup. L’étang aux buffles. La montagne aux éblouissantes fleurs orange, violettes et blanches. L’école communale. La route à travers la montagne. La rizière du bas du village, les terrasses à riz sur la colline où nichait la maison de ses parents…

Il lui restait à créer un plan du village, ce qui lui prit plusieurs journées. Où donc pouvait être le moulin à grain ? Où menait la route d’accès ? Il se sentait seul, face à ces énigmes. Mais en même temps, il était porté par l’enthousiasme : il s’attaquait enfin à ce passé perdu, et sentait que cette montagne impénétrable pouvait peut-être se fendre pour le laisser passer.

Puis sur l’application Douyin (le Tiktok chinois), il posta son plan, annoté de commentaires et questions. Il mentionnait l’année du kidnapping (1989), la calvitie du voisin auteur du rapt, et autres détails typiques de son village, telle la cuisson du riz dans des baquets de bois.

À travers le pays, l’annonce en forme de jeu de piste suscita un engouement hors du commun. Bientôt affluèrent les réponses, indices et suggestions. La police se prit au jeu. Son poste central de Shanghai avait mis sur ce dossier une équipe, et dans toutes les provinces, les commissariats affichaient le plan de Jingwei. Or, voilà que suite au déluge de communications sur internet, se mit à clignoter sur l’écran de l’équipe un voyant rouge signalant Zhaotong (Yunnan), à 1800km de distance. Depuis 36 ans dans cette ville, une plainte était déposée, dormante jusqu’à hier mais qui à présent, cochait toutes les cases. Au fond d’une vallée avoisinante, une famille s’était fait voler un fils en 1989. Le père du disparu était mort, mais la mère restait en vie. Ils avaient eu un voisin chauve – aujourd’hui parti sans laisser d’adresse… De toute urgence dès lors, dans les deux villes, un test ADN fut pratiqué sur le jeune homme comme sur sa présumée mère. Le résultat tomba quelques jours plus tard : « à 99% de probabilité », la vieille femme était bien la mère de Li Jingwei !

Entre mère et fils, les retrouvailles émotionnelles eurent lieu le 1er janvier 2022 – Jingwei, son épouse et leurs enfants avaient rejoint Zhaotong par avion via Kunming, sur invitation d’un ministère de la Sécurité publique toujours en quête de popularité médiatique. Sous les caméras de la CCTV, la vieille maman en pleurs chevrotait : « c’est mon bébé, enfin retrouvé », tandis que lui s’écriait : « même sans ADN, je l’aurais reconnue. J’ai tout d’elle, le front, la bouche, les yeux … ». Pour le peuple, c’était la bonne nouvelle du début d’année, lui faisant oublier un instant les affres de la Covid.

L’histoire ne dit pas ce qu’en pensa la famille d’accueil, celle ayant commandité le rapt. Elle devait être mitigée. Même si elle sauvait l’essentiel – la justice ayant décidé de ne pas la poursuivre pour kidnapping, étant donné l’éducation sans faute reçue par le garçon sous leur toit – la famille allait devoir vivre le reste de son existence sous une image dégradée, celle de kidnappeurs sans scrupules.

Enfin, pour notre compte, sans aucun doute, le détail qui passera à la postérité restera ce plan du village qui permit de le localiser au fin fond du pays. Un plan naïf recomposé par Li Jingwei, sur la base de ses souvenirs d’enfant de 4 ans soudainement arraché à son univers d’enfance !

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