Sport : Les promoteurs immobiliers entrainent les clubs de football dans leur chute

Les promoteurs immobiliers entrainent les clubs de football dans leur chute

Lors de la pose de la première pierre en avril 2020, le futur stade de football de Guangzhou était présenté par son propriétaire, le promoteur immobilier Evergrande, comme tout « aussi emblématique que l’opéra de Sydney ou la tour Burj Khalifa à Dubaï », avec sa forme de fleur de lotus et ses 120 000 places. Un projet estimé à 1,8 milliard de $. Mais ça, c’était avant que le gouvernement ne ferme le robinet du crédit aux promoteurs surendettés, comme Evergrande. Depuis, le stade, toujours en chantier (cf photo), a été saisi par les autorités locales et va être vendu…

Cette mésaventure n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’impact du resserrement du crédit sur le secteur du football et la « Chinese Super League » (CSL), l’équivalent de la Ligue 1. Alors que les défauts se multiplient chez les promoteurs immobiliers, 12 clubs de CSL sur 16 sont confrontés à des difficultés financières.

Les choses n’étaient pas censées se dérouler ainsi lorsque Xi Jinping, un fan de football, avait glissé, en 2011, rêver que la Chine « se qualifie (elle n’y est arrivée qu’une seule fois, en 2002), accueille, puis gagne » la Coupe du Monde de football.

C’est la raison pour laquelle les promoteurs immobiliers se sont lancés dans l’aventure à l’aube d’un nouveau plan gouvernemental pour faire décoller le ballon rond en Chine en 2016. En soutenant le développement du football chinois – et donc le rêve du Président – les entreprises ont espéré obtenir plus facilement des terrains et permis de construire ainsi que renforcer leurs relations avec les autorités locales. Evergrande et R&F ont jeté leur dévolu sur les deux clubs de Guangzhou (Canton) en 2010, Greenland sur le Shanghai Shenhua en 2014, China Fortune Land sur le Hebei FC en 2015, Sinobo sur le Beijing Guo’an en 2017… Cette mainmise des promoteurs sur les clubs était telle que les fans ont surnommé la CSL, la « ligue de l’immobilier ».

Leurs investissements ont eu un impact majeur sur le secteur, permettant soudainement aux clubs de se payer les services de joueurs et entraîneurs étrangers, attirés par des salaires mirobolants. En l’espace de dix ans, Paulinho, Hulk, Yannick Carrasco, Alex Teixeira, Ramires, Carlos Tevez, Oscar, Gervinho, Nicolas Anelka, Didier Drogba, pour ne citer qu’eux, ont tous signé dans des clubs chinois à cette période où la Chine était encore considérée comme le « nouvel Eldorado » du football. Au grand dam des meilleurs clubs européens qui ne pouvaient pas rivaliser financièrement avec des clubs chinois hier inconnus.

Cette stratégie a permis au Guangzhou FC de gagner huit titres durant la dernière décennie. Et le public était au rendez-vous : le taux de remplissage des stades a plus que doublé. Revers de la médaille : les clubs se sont lourdement endettés. Rien que pour le Guangzhou FC, Evergrande aurait dépensé entre 150 millions et 300 millions de $ en dix ans.

Début 2019, Lu Shiyu, vice-président de l’association chinoise de football (CFA) ambitionnait encore de faire de la CSL « la 6ème ligue de football » au monde, après les ligues anglaise, espagnole, italienne, allemande et française. Il quittera son poste un mois après avoir fait cette déclaration.

Son remplaçant n’est autre que Chen Xuyuan, l’ancien propriétaire du Shanghai SIPG, qui avait orchestré les plus gros transferts de joueurs (Hulk, Oscar et Arnautovic). Pourtant, son discours est beaucoup plus sobre. « Nos clubs ont dépensé trop d’argent et la façon dont notre football est géré n’est pas viableSi nous ne prenons pas de mesures en temps opportun, je crains que le système ne s’effondre », a-t-il déclaré prémonitoirement.

Sous les ordres du gouvernement, inquiet d’assister à cette « fuite des capitaux » vers des clubs et agents étrangers, la CFA a alors plafonné le salaire des joueurs et introduit une taxe sur les transferts en 2018. Elle a également interdit aux clubs de porter le nom de leurs bienfaiteurs en 2020 : le Guangzhou FC a donc perdu son « Evergrande » dans la foulée.

Ces mesures auraient pu contribuer à sauver le football chinois. Mais l’arrivée du Covid-19 et le resserrement des conditions de crédit pour les promoteurs immobiliers sont venus sceller son sort.

Avec les contraintes sanitaires, il y a eu moins de matchs, moins de public, moins de sponsoring et les droits de rediffusion ont été renégociés à la baisse. De surcroît, la CSL a été complètement suspendue entre mi-août et décembre 2021, de manière à augmenter les chances de l’équipe nationale chinoise de se qualifier pour la Coupe du Monde 2022 au Qatar. Un plan aux résultats plus que mitigés : le « onze » chinois est actuellement 5ème de son groupe du troisième tour des éliminatoires et ses chances de qualification sont infimes.

Résultat, les clubs périclitent les uns après les autres : le Tianjin Tianhai en février 2020, mais aussi le Jiangsu Suning FC en février 2021, seulement deux mois après avoir remporté le titre de champion de CSL. En trois ans, seize clubs auraient ainsi disparu des radars. Le Tianjin Teda serait également au bord de la faillite, abandonné par son conglomérat public, tandis que le Guangzhou FC devrait selon toute vraisemblance changer de mains…L’exception qui confirme la règle, c’est le promoteur Wanda qui a réussi à conserver son club de Dalian et demeure un sponsor de la FIFA, malgré une mauvaise passe en 2017.

Pour le reste, plusieurs gouvernements locaux et entreprises publiques seraient en discussion avec les clubs survivants pour en reprendre le contrôle et mettre un terme à cette « expansion désordonnée des capitaux ». Si les négociations échouent, les clubs seront liquidés. Dans ces conditions, les footballeurs chinois et le staff n’ont d’autre choix que d’accepter des coupes de salaire. Les joueurs étrangers eux, ont déjà plié bagage pour la plupart…

À l’image du reste de la société, le football chinois entame donc un « grand virage à gauche » sous la supervision étroite de l’État, après avoir expérimenté pendant plusieurs années un « grand virage à droite »… Pour le ballon rond chinois, ce changement de plan de jeu était aussi nécessaire qu’inévitable. Pour autant, sera-t-il gagnant ?

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