Editorial : Li Keqiang casse la planche à billets

Ce mois de juin, industriels et financiers s’inquiètent de voir la Banque Centrale (BPdC) cesser de fournir en fonds le réseau bancaire. Dès le 20/06, la pénurie d’argent frais cause l’envol du prêt interbanques à 8 jours, atteignant 12,45% contre 3,82% en moyenne annuelle, voire + de 20%. À partir du 23/06, certaines banques cessèrent de distribuer des billets à l’ATM et d’accorder des prêts. Les 24-25/06, la bourse de Shanghai perdait 10%. 

Puis sous la montée de nervosité des usagers, la Banque Centrale réalimenta certains organes non bancaires et multiplia les paroles lénifiantes sur sa capacité à renflouer les banques, tout en promettant d’« ajuster le niveau des liquidités afin d’assurer la stabilité ». Tout cela était un avertissement que le temps du crédit gratuit était fini, mais aussi un « stress test » pratiqué sur l’économie en temps réel. Pékin inflige en fait une potion amaigrissante à ses entreprises d’Etat et ses provinces. Mais en même temps, il prend soin de ne pas leur infliger un effort insoutenable. L’objectif est de guérir des mauvaises habitudes, pas de tuer le malade !

Outre la réforme financière déjà annoncée par le Conseil d’Etat (19/06), d’autres réformes sont déjà explicites, sur l’environnement, la lutte anti-corruption, l’ idéologie, l’armée, le Tibet… Par cette grève du crédit, le tandem Xi Jinping – Li Keqiang veut convaincre les ténors socio-économiques de sa détermination à aller jusqu’au bout, et lancent aujourd’hui des réformes qui devront être assimilées d’ici novembre, pour être avalisées lors du 3ème Plenum du XVIII. Congrès.

Mais n’est-ce pas un grand risque que de sevrer soudain des organes, une clas-se privilégiée, des fonds auxquels ils ont eu un accès discrétionnaire toute leur vie ? Pas tellement…Fin 2012, comparé au PIB, l’endettement n’est que de 50% (contre 107% aux USA en 2008, lors des subprimes) et l’Etat n’a pas d’assurances ni de sécurité sociale surendettées. 

Le vrai risque est dans les 42 millions de PME, dont 97% sans accès au crédit, et qui se refinancent (plus cher) auprès du crédit gris. Or, ces PME mal aimées du système, sont à la base de 69% du PIB en 2012, et ce sont elles qui vont le plus souffrir des coupes de crédit. Aussi Nomura voit 30% de chances que la croissance chinoise en 2013 n’atteigne pas l’objectif de 7%, et l’on peut s’attendre sous peu, à au moins une faillite dans les banques provinciales de seconde zone. D’ici juillet, 244 milliards de $ de produits financiers de type « gris » arrivent à maturité, soit 20 à 30% de leurs actifs, que toutes auront du mal à rembourser.

Pour comprendre l’urgence d’entamer une réforme si profonde de la finance officielle, il faut regarder qui en bénéficiait et à quelles fins. Les provinces finan- çaient leurs projets de prestige (parcs des expos, aéroports) ainsi que le train de vie des cadres, par le système des adjudications. Les consortia publics ou privés rééchelonnaient leurs dettes et s’enrichissaient en empruntant grâce à un intérêt négatif, une fois l’inflation déduite. De ce fait, ils n’avaient pas besoin d’affiner leurs produits pour suivre la demande, ni de « décarboniser » la production – mesures qui coûtent sans rapporter. Ce qui en retour, explique pour beaucoup l’état déplorable de l’environnement. Enfin, la corruption érigée en système, servait à faire taire les critiques.

Bilan : l’Etat réalise que tous ses maux, en train de croitre à rythme exponentiel, provenaient d’un accès inéquitable à la finance. Ainsi, en fermant le robinet, non seulement il force les sphères décisionnelles à se réorganiser tout en abandonnant leurs vices, mais il dégage aussi les fonds nécessaires à l’imminente décennie d’urbanisation, qui prétend créer 250 millions de consommateurs en 10 ans (les migrants, une fois intégrés à la ville). 
L’avantage pour Li Keqiang, à procéder à ce sevrage du crédit, tient au fait que l’objectif poursuivi (redistribuer la manne publique aux classes défavorisées) reste peu lisible. Il n’a donc pas besoin de demander l’avis du Parti, pour lancer ses réformes. Mais qu’on ne s’y trompe pas : réformer la finance, c’est déjà, avant le 3ème Plenum, entamer la séparation du Parti et de la planche à billets.

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