Petit Peuple : Wuhan : Coup de foudre dans le bus

Quand Xing Chunhua (pseudo), jolie étudiante en 2ème année d’anglais, monta ce 1er juin dans un bus de la Compagnie des transports urbains de Wuhan (Hubei, CTUW), elle ignorait que Cupidon la visait. Au volant, en t-shirt blanc, Dong le chauffeur (autre pseudo) était magique, avec ses Ray-Ban qui rehaussaient ses traits fins et son cheveu noir de jais. Pour mieux l’observer, elle était restée derrière lui : son air appliqué en passant les vitesses, la faisait soupirer. Et avec sa gueule d’ange, en négociant ses virages, il lui donnait des frissons. 

Arrivée, elle descendit. A peine le bus tourné au coin de la rue, elle s’en voulut de n’être pas remontée. C’est alors qu’elle se rendit compte avec horreur que dans son émoi, elle avait omis de repérer le n° de la ligne et même de voir, d’un coup d’œil à l’ annulaire, s’il était marié – donnée qui, tel un coup de gong, sonnerait la vie ou la mort de ses espoirs. Car dans l’aveuglement amoureux, Xing ne voyait plus que cette évidence : elle devait l’épouser. 

Elle passa le jour en proie à de rudes tourments, autocritiques, visions de malheur et de volupté tour à tour mélangés. Pour sûr, la nuit fut plus terrible encore, dans l’incapacité de s’affranchir de ces démons amoureux. 

Le 02/06, après avoir ressassé depuis des heures son message, elle jeta sur Weibo sa bouteille à la mer, signée « petite soeur shuang’er 315 ». En 144 idéogrammes, elle y déployait ses intermittences du cœur, son aveu et son appel : « au premier regard, je fus piquée d’amour » (一见钟 情 yī jiàn zhōng qíng) par ce chauffeur de la CTUW. Comment le revoir ? Peut-on m’organiser une « chasse à l’ homme » sur la toile ? Et vous, chers directeurs de la CTUW, je vous en implore à genoux, pouvez-vous m’aider ? » 

Réaliste en dépit de sa passion, Xing savait bien que la Compagnie n’avait pas de temps à perdre sur les peines de cœur d’étudiantes enamourées. Aussi, quelle ne fut sa surprise le lendemain, en recevant une réponse signée de Mme Peng, responsable du site internet de la compagnie. Loin de la morigéner, la webmaster la félicitait gravement d’« avoir rencontré l’amour ». Pour retrouver l’homme de ses pensées, Peng lui suggérait de retourner à la station où elle était montée et d’attendre. En une heure au plus, avec les rotations, elle le verrait arriver. Mme Peng n’alla toutefois pas jusqu’à donner son nom, moins encore son n° de portable. De même, au nom de la sécurité des passagers, elle priait l’étudiante de s’abstenir de lui parler jusqu’à l’arrêt complet.

Et elle ajouta ce conseil délicieusement féminin, comme d’une ancienne amoureuse à une novice : s’assurer d’abord de son statut marital, tant pour améliorer ses chances de bonheur, que pour éviter de compromettre inutilement l’harmonie sociale. « S’il est célibataire, déclarez-vous audacieusement. Mais s’il est pris, passez votre chemin, l’amie »… Peng lui suggérait enfin que son Apollon des autobus pouvait s’avérer un étudiant comme elle, ne faisant le chauffeur que pour payer ses études… 

Pendant ce temps sur Weibo, son appel au public avait un franc succès : des dizaines de tweets atterrissaient, permettant d’avancer l’enquête. Parmi la cohorte des chauffeurs de la CTUW, deux candidats se profilaient, l’un marié, l’autre non. Le bus, c’était sûr, venait du dépôt n°5. Un des conducteurs travaillait sur la ligne 573, l’autre sur la 777… 

Tout ce remue-ménage avait lieu semaine passée. Hélas, sur cette belle scène, le rideau se baisse : Xing la belle ayant exigé l’anonymat, nous sommes dans l’incapacité de raconter la suite, la rencontre. Echanges polis et embarrassés ? Embrassades et serments ardents ? Nous ne le saurons jamais. 

Mais davantage, nous interpellent les réactions d’empathie de la foule qui se voit toujours comme une grande famille chinoise responsable du bonheur des autres. Intéressante aussi, l’intervention de la firme publique dans l’intimité de ses actifs. La « danwei » se sent aujourd’hui toujours impartie du rôle d’entremetteuse, redevable du bien-être du personnel, du berceau au cercueil, en passant par le moment critique du mariage. 

On note malgré tout un progrès social décisif, qui nous semble une conquête des dix dernières années : le choix du partenaire est aux mains de la fille, et non plus des parents ou de la danwei, qui ne sont plus les maîtres de son existence, mais seulement un moyen pour réaliser son choix souverain. 
Qu’on ne se trompe pas sur l’importance du moment : soutenu par la technologie, c’est la naissance du libre arbitre amoureux !

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0/5
14 de Votes
Ecrire un commentaire