Finance : La fausse fermeture de la finance chinoise

Dès 2010, le gouvernement lançait un mot d’ordre aux groupes d’affaires chinois : « investissez à l’étranger » ! Il fallait donner l’élan, pour doter le pays de multinationales, et réinjecter dans le circuit mondial une partie des masses monétaires venues de l’étranger.

Or le 30 novembre, le Conseil d’Etat inverse la vapeur : « les crédits publics déployés outre-mer seront astreints à des contrôles renforcés ». Toute sortie de plus de 5 millions de $ devra obtenir un permis, et dès septembre 2017, toute fusion-acquisition « hors du métier de base de l’investisseur », de plus d’un milliard de $ sera banni – comme tout projet immobilier de même ordre de valeur.

Les raisons à ce frein sont claires : les achats hors frontières, clairsemés aux années 2000, se sont depuis mués en avalanche, avec de janvier à octobre 2016, 146 milliards de $ et +53%. Souvent, il s’agit de milliardaires sortant leur fortune. Mais en Chine, dont le yuan est non convertible, tout export de devise force la Banque Centrale à se démunir de devises pour soutenir le yuan. Ainsi, sans éviter que le ¥ ne chute en décembre à son cours le plus bas en 8 ans, la Banque Centrale a vu en 30 mois ses réserves en $ fondre de 873 milliards, dont 46 en octobre. L’heure est la sauvegarde !

D’autres motivations sont perceptibles. Ainsi, Li Keqiang a bien noté en novembre la protestation de son collègue allemand Sigmar Gabriel, sur la chasse chinoise aux perles technologiques d’Outre-Rhin. Des critiques identiques s’entendent aux Etats-Unis et à Bruxelles –où une enquête est en cours pour savoir si elle peut laisser Pékin empocher Syngenta (Suisse), n°2 mondial de l’agrochimie, un rachat soi-disant privé mais sur financement notoirement politique. C’est une question de fond : Pékin peut-il à la fois viser un partenariat à long terme avec les nations industrielles, et tenter de les déposséder de leurs bijoux technologiques?  Faire jouer la loi du marché dans un sens et pas dans l’autre ?

Il faut souligner l’origine de ce frein aux investissements à l’étranger : le Conseil d’Etat, et non le Comité Permanent. C’est donc la sphère du Premier ministre Li Keqiang, toujours en pointe dans le dialogue avec l’Occident et la défense du marché, et non celle de Xi Jinping, défenseur immuable des intérêts du Parti et des consortia publics.

L’objectif allégué du demi-tour est de protéger les actifs publics contre des pertes hors frontières. Un tel risque peut se décliner selon plusieurs scénarios. Le pire d’entre eux, serait le détournement par leurs dirigeants des fonds de leur entreprise publique. Un autre risque, pris très au sérieux par les milieux bancaires, est celui d’une chute du dollar (la monnaie dans laquelle se font la plupart des acquisitions) suite au repli sur soi des USA de Donald Trump.

Le baisser de la barrière peut aussi exprimer le souci de réserver à l’intérieur du pays assez de fonds pour recréer des millions d’emplois, en compensation des fermetures de firmes « zombies » en surcapacité. Il s’agit aussi de préserver la qualité des acquisitions—vérifier qu’elles sont bien ciblées, utiles au pays, et acquises au juste prix.

En définitive, la motivation la plus plausible demeure celle d’un Li Keqiang soucieux de protéger l’image internationale du pays comme partenaire commercial, et de calmer le jeu des acquisitions étrangères pour laisser la chance d’un rééquilibrage des investissements dans les deux sens.

Cela dit, à l’usage, ce frein financier risque de ne pas s’avérer trop pénalisant, vu les garde-fous qui y sont accolés. Il ne commencera véritablement à fonctionner qu’en septembre 2017, et à un milliard de $, son seuil de déclenchement est si élevé qu’il ne dérangera pas grand monde. La Banque Centrale s’est d’ailleurs empressée de spécifier que sa stratégie financière hors frontières demeurerait intangible. Il ne peut, au fond, en être autrement : si la Chine fermait trop radicalement le robinet du crédit vers l’extérieur, quelles chances laisserait-elle à son programme « routes de la soie », « une route, une ceinture », qui représente pourtant le plus grand espoir de relance d’avenir pour l’économie chinoise ?

Symptomatiquement, on voit se multiplier en parallèle—peut-être pour contrer l’échéance de septembre 2017— plusieurs projets de lourds achats d’actifs hors frontières. New Hope Liuhe, le céréalier et producteur de viande, veut racheter en Europe centrale pour au moins 1,5 milliard de $ de fermes à aliments du bétail et de centres d’élevage. Ctrip rachète pour 1,7 milliard de $ Skyscanner, le comparateur écossais des tarifs de billets d’avion. Et la branche hunanaise de la CRRC, productrice de locomotives, négocie la reprise de Skoda Transportation, son homologue tchèque.

Au demeurant, dans ce monde chinois des affaires aussi brûlant et sous pression qu’un cœur de centrale nucléaire, les nouvelles se pressent et se chassent sans merci !

Ainsi la Banque Centrale, loin de haïr le Bitcoin, cette monnaie virtuelle permettant aux fonds de circuler librement par internet sans souci des lois et licences nationales, investit dans la « blockchain », la technologie à sa base. Siégeant à Pékin, sa filiale OKLink annonce les liens qu’elle a tissé avec 100 organes financiers et ses droits d’échange dans 20 pays. Quoique son réseau et son protocole ne puissent être matures que d’ici « 2 à 3 ans », à en croire son PDG Xi Mingxing, elle compte  dès 2017 voir plus de 100 millions de $ transiter par sa plateforme. Mais un tel levier financier, à la Banque Centrale, semble devoir présager une explosion, plutôt qu’une restriction, des échanges financiers de la Chine avec le monde. Dernier signe qui ne trompe guère : 80% du marché mondial du Bitcoin se trouve déjà en Chine—pas vraiment un signe annonciateur de fermeture des frontières financières.

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