Le Vent de la Chine Numéro 39 (2016)

du 5 au 11 décembre 2016

Editorial : Grèves dans les compagnies étrangères

En 1999, les quatre grandes banques (CCB, ABC, ICBC et Bank of China), accablées de dettes, créaient des filiales pour liquider ces actifs faillis. 17 ans après, ces « structures de défaisance » telle Cinda (ex-CCB) nagent sur l’or, ayant cédé à bas prix ces ex-clients en faillite –flottes marchandes, chaînes d’hôtels, mines ou usines– tandis que l’Etat a discrètement recapitalisé les banques.

En novembre 2016, les cinq sœurs (les quatre, plus la Bank of Communications) remettent cela en lançant chacune une nouvelle « bad bank » au capital  d’1,5 milliard de $, pour réaliser des « swaps » d’emprunts (irrécupérables) contre des parts de capital. Le Conseil d’Etat précise que les « firmes zombies » –groupes provinciaux ne survivant que de subventions– seraient exclus de cette facilité. Mais en Chine, tout est question de définition, de « classification » des groupes candidats—et de piston. La priorité ultime du régime reste d’éviter les conflits sociaux, donc les fermetures. Or justement, une embellie conjoncturelle prend l’administration par surprise, en renforçant  la demande en charbon et en fer. Ces firmes ou aciéries zombies peuvent remettre en route, qui leurs galeries, qui leurs hauts fourneaux et solliciter des « swaps » –de l’argent frais aux « bad banks », qui pourront plus tard les liquider. L’Etat une fois encore, assumera les pertes. Cette vaste opération en cours, et la censure renforcée sur les média, expliquent l’absence de conflits sociaux, quoiqu’en théorie, jusqu’à 6 millions d’emplois « zombies » soient à supprimer, au bas mot.

Ce silence, toutefois, ne va pas jusqu’aux groupes étrangers en Chine, au sein desquels plusieurs conflits se produisent au même moment. Coca-Cola, Danone, Walmart, Sony connaissent des difficultés avec leurs ouvriers. Coca-Cola, Danone et Sony, en raison d’une revente d’usines, Walmart, pour cause de fermeture.

Le cas de Walmart a de quoi surprendre. En 2006, le gouvernement chinois parvenait à forcer ce groupe de Bentonville (Arkansas) à tolérer dans ses 400 magasins chinois une section du syndicat officiel. Toutefois depuis l’été 2016, c’est en dehors de cette structure que les 20.000 employés organisent leurs grèves – jusqu’à 120 depuis juillet – via le réseau social WeChat. Déclenché par un nouvel horaire de travail contraignant, le mouvement est coordonné par des cadres licenciés, et ne donne nul signe d’essoufflement. L’Etat pour l’instant, ne bouge pas, et pour cause : tout comme le groupe américain, il est impuissant face à ce mouvement nouveau, qui lui échappe.

Coca-Cola lui, connaissait en novembre, dans trois usines d’embouteillage (Chongqing, Jilin, Chengdu), des manifestations aussi coordonnées sur les réseaux sociaux. C’est suite à sa stratégie de sa session en franchise de son réseau d’embouteillage entre deux groupes : 17 usines à Swire, de Hong Kong, et 18 à Cofco le conglomérat d’Etat. Suite à la session, salaires et avantages ne changent pas, mais les ouvriers tentent d’imposer à cette occasion de meilleures conditions. Même situation, quoique de portée plus limitée, chez Danone et Sony qui revendent une usine, et dont les employés cherchent au passage à se faire augmenter.
La restructuration chez Coca-Cola, à la base du mouvement de grève, rappelle celles en cours au même moment chez Yum! et Mc Donald’s, en train de céder leurs restaurants en franchise. Pour certains, ces cessions permettraient de dégager des fonds afin d’accélérer la pénétration du grand marché asiatique, mais pour d’autres, c’est pour se désengager du marché chinois, du fait de la désaffection des consommateurs pour la « fast-food ».  
En tout état de cause, que la presse fasse état des conflits concernant les groupes « étrangers » tout en taisant ceux des « locaux », témoigne de l’effort constant du régime pour maintenir le calme sur son marché du travail.


Environnement : Douleurs d’enfantement d’une économie à bas carbone

Un combat de géants se déroule en Chine, avec pour enjeu la propreté de l’air – et les 1,6 million de décès prématurés par an que ces fléaux engendrent. Ce combat redouble cet hiver, avec des pics réguliers de 400 microparticules (PM 2,5µ) par mètre cube, et des phases toujours plus longues, sans vent – conséquence du réchauffement climatique, de l’aveu du ministère de l’Environnement. 

Une équipe de biologistes de Göteborg (Suède) publie les inquiétants résultats d’une enquête effectuée en janvier 2013, sur la ville de Pékin en plein pic de pollution. Les prélèvements d’alors avaient révélé la présence de 64 types de bactéries résistantes aux antibiotiques, même ceux utilisés en dernier recours… C’est donc, selon Joakim Larsson, le directeur de l’équipe, ni plus ni moins le bouclier mondial antibactérien qui est à risque.

Les villes de Chine du Nord ont depuis, entamé leur convalescence, sous l’effet d’actions énergiques telles la fermeture de trois centrales pékinoises à charbon et de centaines de petites usines en proche banlieue.

À en croire une étude de pollution atmosphérique sur Pékin, impliquant Greenpeace, la concentration en arsenic (en PM 2,5µ) a baissé de 86% de 2012 à 2016, celle en plomb d’un peu moins de 50%, celle en cadmium de près de 40% – trois toxines cancérigènes à la base de cardiopathies, du diabète et de troubles de croissance. À la même période, l’air pékinois se purifiait de presque 50% de sa teneur en dioxyde de soufre.

En Chine du Nord durant le 13ème Plan (2016-2020), la priorité anti-pollution revient au triangle Jing-jin-ji (Pékin-Tianjin-Hebei), avec le projet « charbon-électricité » qui va renforcer et compléter le réseau électrique pour un effort en milliards de $. D’ici novembre 2017, dans un million de foyers, 3300 villages et 400 quartiers de banlieues, les chaudières à charbon disparaîtront, relayées par le gaz ou l’électricité. Pour Chai Fahe, n°2 à l’Académie des Sciences de l’Environnement, il s’agit de supprimer 36 millions de tonnes de mauvais charbon, soit 10% du total brûlé localement mais près de 50% des émissions les plus nocives. D’ici 2020, dans toute la région, la teneur en microparticules doit baisser d’un tiers, et le nombre de jours de « ciel bleu », monter à 186. Puis en 2030, la part houillère dans l’électricité de Jing-jin-ji doit chuter de 70% à 30%.

Pour y parvenir, des efforts douloureux sont à attendre. Au 15 février 2017 dans cette conurbation de 130 millions d’âmes, voitures et camions de plus de 10 ans d’âge se verront interdire de rouler durant les pics de pollution sous peine d’amende.

Une autre option plus dure, aujourd’hui à l’étude, envisage leur retrait pur et simple de la circulation. Ces véhicules qui comptent pour 8% du parc pékinois, émettent 30% du monoxyde d’azote, et jusqu’à 40% des émissions de particules de 2,5µ.

Autre action, au 1er décembre apparaissaient les plaques vertes à Wuxi, Shanghai, Nankin, Jinan et Shenzhen. Dès juillet 2017, elles s’étendront à tout le pays. Réservées aux voitures électriques, hybrides ou à hydrogène, elles seront accompagnées de dispense de loterie et de taxes et assurances allégées. Comme incitation au consommateur, elles relaieront l’actuel système de primes à l’achat de ces véhicules décarbonisés (jusqu’à 160.000 yuans par voiture).

Sur le front des usines, par tous les moyens, l’Etat renforce les industries dédiées aux économie d’énergie et à la protection de l’environnement. Fin 2015, elles employaient 30 millions de personnes et pesaient 653 milliards de $ d’investissement (selon Hu Zucai, vice-directeur à la NDRC), soit 2,1% du PIB. À l’achèvement du 13ème Plan, elles assureront 3% de ce PIB et vaudront 1450 milliards de $.

Le ministère lance une série d’inspections dans 7 provinces (Pékin, Shanghai, Canton, Chongqing, Gansu, Shaanxi et Hubei). La dernière vague dans 8 provinces, avait constaté une amélioration de la pollution de l’air, mais aussi d’aggravations dans le traitement de l’eau, des projets illégaux de nouvelles aciéries et de violations des réserves naturelles.

Ces dérives, le pouvoir espère les enrayer en lançant en décembre 2016 un « plan intégral de licence obligatoire d’émissions d’effluents éoliens et aquatiques », destiné à encadrer les 15 principaux secteurs industriels d’ici 2020.

Ce plan musclé arrive à temps pour recadrer les provinces, qui programment pour 490 milliards de $ de nouvelles centrales, au nom de l’emploi et des dessous de tables, quoique leurs chances de plein emploi soient nulles, vu la surcapacité chronique.

Ce problème-là vient des mentalités – d’égoïsme local. Mais l’administrateur doit aussi faire face à un souci différent, de gouvernance efficace. Dans Jing-jin-ji, le chantier « charbon-électricité » cité plus haut, subit la critique d’experts tel Tao Guanyuan, du centre sino-allemand de coopération en énergies nouvelles, pour qui, au lieu de faire passer directement au gaz ces zones à peine sorties du Moyen Age, il eut été plus judicieux de commencer par mieux isoler leurs habitats, pour réaliser jusqu’à 50% d’économie thermique ; et de garder 10 années de plus leurs chaudières, en y brûlant un charbon moins soufré et plus calorique. Cette stratégie-là aurait permis elle aussi une amélioration de l’air, pour un coût du tiers de celui que coûteront les filières gaz ou électricité. Elle aurait aussi évité de déstabiliser les communautés paysannes. Autrement dit, la stratégie retenue risque d’avoir « mis la charrue avant des bœufs ».


Finance : La fausse fermeture de la finance chinoise

Dès 2010, le gouvernement lançait un mot d’ordre aux groupes d’affaires chinois : « investissez à l’étranger » ! Il fallait donner l’élan, pour doter le pays de multinationales, et réinjecter dans le circuit mondial une partie des masses monétaires venues de l’étranger.

Or le 30 novembre, le Conseil d’Etat inverse la vapeur : « les crédits publics déployés outre-mer seront astreints à des contrôles renforcés ». Toute sortie de plus de 5 millions de $ devra obtenir un permis, et dès septembre 2017, toute fusion-acquisition « hors du métier de base de l’investisseur », de plus d’un milliard de $ sera banni – comme tout projet immobilier de même ordre de valeur.

Les raisons à ce frein sont claires : les achats hors frontières, clairsemés aux années 2000, se sont depuis mués en avalanche, avec de janvier à octobre 2016, 146 milliards de $ et +53%. Souvent, il s’agit de milliardaires sortant leur fortune. Mais en Chine, dont le yuan est non convertible, tout export de devise force la Banque Centrale à se démunir de devises pour soutenir le yuan. Ainsi, sans éviter que le ¥ ne chute en décembre à son cours le plus bas en 8 ans, la Banque Centrale a vu en 30 mois ses réserves en $ fondre de 873 milliards, dont 46 en octobre. L’heure est la sauvegarde !

D’autres motivations sont perceptibles. Ainsi, Li Keqiang a bien noté en novembre la protestation de son collègue allemand Sigmar Gabriel, sur la chasse chinoise aux perles technologiques d’Outre-Rhin. Des critiques identiques s’entendent aux Etats-Unis et à Bruxelles –où une enquête est en cours pour savoir si elle peut laisser Pékin empocher Syngenta (Suisse), n°2 mondial de l’agrochimie, un rachat soi-disant privé mais sur financement notoirement politique. C’est une question de fond : Pékin peut-il à la fois viser un partenariat à long terme avec les nations industrielles, et tenter de les déposséder de leurs bijoux technologiques?  Faire jouer la loi du marché dans un sens et pas dans l’autre ?

Il faut souligner l’origine de ce frein aux investissements à l’étranger : le Conseil d’Etat, et non le Comité Permanent. C’est donc la sphère du Premier ministre Li Keqiang, toujours en pointe dans le dialogue avec l’Occident et la défense du marché, et non celle de Xi Jinping, défenseur immuable des intérêts du Parti et des consortia publics.

L’objectif allégué du demi-tour est de protéger les actifs publics contre des pertes hors frontières. Un tel risque peut se décliner selon plusieurs scénarios. Le pire d’entre eux, serait le détournement par leurs dirigeants des fonds de leur entreprise publique. Un autre risque, pris très au sérieux par les milieux bancaires, est celui d’une chute du dollar (la monnaie dans laquelle se font la plupart des acquisitions) suite au repli sur soi des USA de Donald Trump.

Le baisser de la barrière peut aussi exprimer le souci de réserver à l’intérieur du pays assez de fonds pour recréer des millions d’emplois, en compensation des fermetures de firmes « zombies » en surcapacité. Il s’agit aussi de préserver la qualité des acquisitions—vérifier qu’elles sont bien ciblées, utiles au pays, et acquises au juste prix.

En définitive, la motivation la plus plausible demeure celle d’un Li Keqiang soucieux de protéger l’image internationale du pays comme partenaire commercial, et de calmer le jeu des acquisitions étrangères pour laisser la chance d’un rééquilibrage des investissements dans les deux sens.

Cela dit, à l’usage, ce frein financier risque de ne pas s’avérer trop pénalisant, vu les garde-fous qui y sont accolés. Il ne commencera véritablement à fonctionner qu’en septembre 2017, et à un milliard de $, son seuil de déclenchement est si élevé qu’il ne dérangera pas grand monde. La Banque Centrale s’est d’ailleurs empressée de spécifier que sa stratégie financière hors frontières demeurerait intangible. Il ne peut, au fond, en être autrement : si la Chine fermait trop radicalement le robinet du crédit vers l’extérieur, quelles chances laisserait-elle à son programme « routes de la soie », « une route, une ceinture », qui représente pourtant le plus grand espoir de relance d’avenir pour l’économie chinoise ?

Symptomatiquement, on voit se multiplier en parallèle—peut-être pour contrer l’échéance de septembre 2017— plusieurs projets de lourds achats d’actifs hors frontières. New Hope Liuhe, le céréalier et producteur de viande, veut racheter en Europe centrale pour au moins 1,5 milliard de $ de fermes à aliments du bétail et de centres d’élevage. Ctrip rachète pour 1,7 milliard de $ Skyscanner, le comparateur écossais des tarifs de billets d’avion. Et la branche hunanaise de la CRRC, productrice de locomotives, négocie la reprise de Skoda Transportation, son homologue tchèque.

Au demeurant, dans ce monde chinois des affaires aussi brûlant et sous pression qu’un cœur de centrale nucléaire, les nouvelles se pressent et se chassent sans merci !

Ainsi la Banque Centrale, loin de haïr le Bitcoin, cette monnaie virtuelle permettant aux fonds de circuler librement par internet sans souci des lois et licences nationales, investit dans la « blockchain », la technologie à sa base. Siégeant à Pékin, sa filiale OKLink annonce les liens qu’elle a tissé avec 100 organes financiers et ses droits d’échange dans 20 pays. Quoique son réseau et son protocole ne puissent être matures que d’ici « 2 à 3 ans », à en croire son PDG Xi Mingxing, elle compte  dès 2017 voir plus de 100 millions de $ transiter par sa plateforme. Mais un tel levier financier, à la Banque Centrale, semble devoir présager une explosion, plutôt qu’une restriction, des échanges financiers de la Chine avec le monde. Dernier signe qui ne trompe guère : 80% du marché mondial du Bitcoin se trouve déjà en Chine—pas vraiment un signe annonciateur de fermeture des frontières financières.


Société : Démographie – une bonne et une mauvaise nouvelle

Douze mois se sont écoulés depuis l’octroi aux familles d’un droit à un deuxième enfant. Au 1er semestre, le bilan fut conforme aux espérances avec une hausse des naissances de 6,9%. Mais au second semestre, il retomba à 5,7%, baisse préoccupante. Tout d’abord, la cohorte des femmes en âge de concevoir un second enfant, est limité et se réduit vite. D’autre part, ces jeunes mères de 22 à 30 ans, le « fer de lance » de la natalité chinoise, ne peuvent compter que sur elles-mêmes pour mener de front la tâche d’élever l’enfant, tenir la maison et faire carrière. Dans ces conditions, 60% d’entre elles, soit 54 millions préfèrent passer leur tour.

Ce qui n’empêche Wang Pei’an, vice-directrice à la Commission de la santé et du planning, de faire preuve   d’optimisme : d’ici 2020, les naissances atteindraient 20 millions par an et le taux de fertilité remonterait à 1,8 enfant par femme (il stagne actuellement à 1,05, un des plus bas au monde), en bonne voie pour franchir le seuil des 2,1 nécessaires au renouvellement de la population.

Ce qu’il faudrait au minimum, pour relancer ces vocations, serait la création sous 5 ans de 95.800 jardins d’enfants, soit +43%, ce qui ne peut être réalisé par le seul secteur public. Il faudrait donc fortement renforcer l’aide au secteur privé. A ce jour, 16 millions de petits de 3 à 6 ans (25%) ne sont pas scolarisés, selon un centre de recherche de l’Université de Pékin. L’écrivain-expert He Yafu voit aujourd’hui une bombe, mèche allumée : « plus une économie est avancée, et plus l’éducation coûte cher et moins les femmes veulent d’enfants. Avec un  taux de fertilité si bas, le pays risque de compromettre son économie »… L’Etat n’a donc plus beaucoup de temps devant lui !

Sur un autre plan de la démographie, arrive au moins une bonne nouvelle. Jusqu’à ce jour, les statisticiens déploraient l’absence de 32 millions de filles dans la pyramide des âges et des genres—on les croyait éliminées par avortement sélectif. Mais d’après J. Kennedy et Shi Yaoyang, universitaires américain et chinois, jusqu’à 25 millions de ces filles seraient en fait nés « hors quotas », et leurs parents auraient préféré ne pas les déclarer, avec la complicité des fonctionnaires fermant les yeux pour assurer de meilleures statistiques, et leur avancement… Cette nouvelle, si elle est vraie, offre une meilleure perspective aux 32 millions de jeunes hommes de la campagne, promis à un destin de « branches mortes » (光棍, guānggùn), jeunes sans descendance


Défense : Singapour, Philippines – Avis de coup de vent

Le 24 novembre, le leadership chinois émit un net signe d’impatience envers Singapour, en faisant saisir neuf blindés, en transit au port de Hong Kong, qui revenaient de manœuvres à Taiwan.

À l’avenir, selon Pékin, l’île-République devrait s’abstenir de ces exercices militaires à Taiwan, dans le respect du principe d’« une seule Chine ». Et pourtant, depuis 45 ans que cette coopération existait, Pékin n’avait jamais protesté : pourquoi cette colère subite ? Peut-être est-ce dû au fait que Singapour a maintes fois refusé d’envoyer ses soldats s’entraîner à Hainan plutôt qu’à Taiwan—ce refus étant lui-même inspiré par le Pentagone. V. Balakrishnan, ministre singapourien, prie Pékin pour que l’incident n’aille pas « prendre en otage sa relation privilégiée avec la Chine ». Mais le passage à l’acte de Pékin était longuement prémédité, lui permettant de punir d’un coup, deux petits voisins qui lui manquent de respect :
Elle frappe Singapour, parce qu’elle conteste l’expansion maritime de la Chine. Pour la Chine, tout pays de culture chinoise doit la soutenir en ses choix. C’est en partie le cas—Singapour est très anticolonialiste. Mais elle est aussi un port international, dont l’avenir est étroitement lié au respect de la liberté des mers –et entre ces deux valeurs, les perspectives sont irréconciliables.
Le coup est aussi destiné à embarrasser et isoler Taiwan, qui l’indispose en ayant élu en janvier 2016 un cabinet DPP indépendantiste.

Toutefois, ce coup de force chinois n’est pas sans danger. Il risque de renforcer la méfiance chez les autres pays d’Asie du Sud-Est, ainsi que d’entacher la fiabilité du port de Hong Kong. Quelles marchandises à l’avenir, transitant par ses quais, seront à l’abri d’une saisie, si elles ont le malheur de déplaire, côté chinois ?

Le hasard veut qu’au même moment, un accroc vienne ternir la fraîche amitié sino-philippine, scellée en octobre par le Président R. Duterte sur les décombres de l’alliance américaine. La Chine avait donc libéré les eaux du lagon Scarborough Shoal, qu’elle occupait depuis 4 ans. Mais voilà qu’à présent, Duterte promulgue un ban sur toute pêche en ces eaux, celle de pêcheurs philippins, mais aussi chinois, vietnamiens ou taïwanais. Duterte fait aussi arrêter aux Philippines, 1240 ressortissants Chinois accusés d’organiser des paris en ligne illégaux, dont les recettes sont réputées retomber tôt ou tard dans le trafic de drogue. À ces deux piques dardées par le fantasque « allié » philippin, la Chine réagit pour l’instant avec prudence.


Petit Peuple : Xinlong (Hunan) – le mystère du cadet manquant (1ère Partie) 

Fils cadet d’une famille paysanne de Xinlong (Hunan), Ma Jixiang habitait en 2009 une cahute en briques à quelque distance de la ferme ancestrale. À 51 ans, le pauvre homme n’avait jamais pu réaliser son rêve de se marier. Une maladie mentale, aggravée au fil des années (parce que non soignée et même non détectée), l’avait attardé à l’âge d’un enfant de sept ans.

C’était par choix, et contre l’avis de son frère aîné Ma Jianjun, de sa belle-sœur Chen Xiaofen qu’il vivait en solitaire. Un peu sauvage, la compagnie des hommes l’indisposait.

En compromis avec sa famille, il avait accepté de porter en scapulaire son nom, son adresse et le numéro de portable de son aîné, afin de faciliter son retour au bercail, lors de ses innombrables fugues à travers les sentiers communaux et les rizières en terrasse, les collines écrasées de soleil, avec pour seuls compagnons le bruit chuintant de ses godillots et l’étourdissant concert des grillons.

Quand par hasard, un paysan le croisait, le malgracieux quinquagénaire le gratifiait d’insultes confuses, avant de poursuivre son chemin, le regard flou, perdu dans ses vagues cauchemars… 

Un jour d’automne 2009, il partit, et ne revint pas. Le soir venu, son grand frère partit à sa recherche sur ses chemins favoris, sous l’orbe étoilé, accompagné des hurlements spasmodiques des chiens. Mais ce fut en vain, il retourna bredouille.

Le lendemain, il alla à Hengyang, la ville voisine, déclarer la disparition. Mais les agents ne daignèrent point considérer le cas – manque de personnel… Par pure charité, l’officier enregistrant la déclaration lui signala que des cas comme celui-là, il leur en tombait dessus des dizaines par mois : « tenez, hier encore, un gamin de 7 ans disparaissait dans la nature, sa mère était en retard de 10 minutes à la sortie de l’école. Alors vous comprenez, on peut pas faire face… désolé et bonne chance » !

Jianjun et Xiaofen avaient donc dû se débrouiller seuls, recopiant des dizaines d’affichettes pour les encoller aux murs et poteaux du village. Au fil des mois, l’espoir s’était effiloché, laissant place au deuil inévitable. Effiloché, mais non tué – en l’absence de corps, ils ne parvenaient pas à s’empêcher de « regarder à gauche, espérer à droite » (左顾右盼 zuǒ gù yòu pàn), voyant renaître sans cesse en eux le doute déraisonnable.

Jianjun était hanté de rêves. Un soir, le cadet disparu retournait au village, ployant sous des fagots qui lui occultaient le visage. Dans un autre rêve, Jianjun le trouvait un pied sur le marchepied d’un bus. Il le hélait, d’une voix toujours plus forte, mais le bus démarrait en un vrombissement…

Quarante mois passèrent, jusqu’à ce matin de février 2012 où le maire les appela d’une voix pleine de compassion : la veille, sur Hengxiang, un vagabond happé par une camionnette sur la route, avait été tué sur le coup. Le visage broyé compliquait l’identification, mais divers détails comme sa petite taille et sa semi-calvitie poivre et sel, coïncidaient avec le signalement du frère manquant…

Se trouvant alors en visite chez leurs enfants à Jinan (Shandong), à 600 kilomètres, Jianjun et Xiaofen prièrent un autre frère et un voisin, d’aller à Hengyang reconnaître la dépouille à la morgue. « Ma foi, ça pouvait bien être lui, ou pas… ». Pour couper court, le conseil de famille se rangea au conseil de la police, et se cotisa pour aligner les 20.000 à 30.000 yuans du test ADN au laboratoire recommandé par cette dernière.

Quinze jours plus tard, le verdict tomba, à vrai dire un peu flou. Entre les gènes du défunt et ceux du frère aîné, « il n’y avait pas d’incompatibilité ». Le mort avait donc « de bonnes chances » d’avoir été le frère perdu.

À cette nouvelle, Jianjun fut envahi de désespoir. Pour la première fois de sa vie, Xiaofen le vit pleurer à chaudes larmes pour Jixiang, dont l’existence s’achevait de façon si prématurée sans avoir jamais connu le bonheur…

Jianjun commanda à un artisan un mausolée de plâtre de 10 m² blanc et or, flanqué de 4 colonnes surmontées de vasques, de lions, de phœnix et de dragons sur fonds d’arbres, de fruits, rossignols et fleurs…tout ce qu’on pouvait offrir comme décor pour une vie dans l’au-delà en contrepoint de celle qui venait de s’interrompre (cf photo) ! L’ouvrage achevé, la cérémonie célébrée par un prêtre bouddhiste permit d’enfouir les cendres de Jixiang sous le monument.

Et puis fin 2015, tomba la stupéfiante nouvelle : le gite cantonal de Hengyang venait de réceptionner un autre vagabond en piteux état, au signalement proche de celui de Jixiang, y compris par son mutisme ou ses propos incohérents. Deux jours plus tard, une Santana blanche s’arrêta chez Jianjun et Xiaofen. Jixiang en sortit, en chair et en os, maigre, tremblant et affligé d’une claudication qui n’existait pas lors de sa disparition en 2009… mais c’était bien lui ! Sortant du véhicule, apercevant Xiaofen, Jixiang laissa flotter sur ses traits, au contour des yeux et des lèvres, une ébauche de sourire timide : « dajie » (大姐 grande sœur ») lui dit-il !

A ces mots, Xiaofen à son tour, sentit les battements de son cœur. Car ce titre familial, cela faisait en fait 34 ans qu’il ne le lui avait plus donné – longtemps avant son ultime fugue. Et voilà que d’un coup, Jixiang retrouvait, et les siens, et sa tendresse pour eux. C’était pour lui le retour à la maison, et pour sa famille, un joyeux coup du sort !

Mais que s’est-il passé durant ces années d’absence ? Et comment Jixiang réagira-t-il, découvrant son propre tombeau ? On le saura au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaine du 5 au 11 décembre 2016
Semaine du 5 au 11 décembre 2016

5-6 décembre, Shanghai : CRTEC, China Railway + Transit Exhibition CSRC

5-8 décembre, Shanghai : FOODPEX, Salon international de l’agro-alimentaire et de l’emballage

chinapharm5-8 décembre Shanghai : China PHARM

7-9 décembre, Canton : IGB Expo China, Salon international de la construction écologique

inmex7-9 décembre, Canton : INMEX China, Salon international de l’industrie maritime, construction de bateaux, ingénierie offshore, services et développement des ports