Petit Peuple : Xinlong (Hunan) – le mystère du cadet manquant (1ère Partie) 

Fils cadet d’une famille paysanne de Xinlong (Hunan), Ma Jixiang habitait en 2009 une cahute en briques à quelque distance de la ferme ancestrale. À 51 ans, le pauvre homme n’avait jamais pu réaliser son rêve de se marier. Une maladie mentale, aggravée au fil des années (parce que non soignée et même non détectée), l’avait attardé à l’âge d’un enfant de sept ans.

C’était par choix, et contre l’avis de son frère aîné Ma Jianjun, de sa belle-sœur Chen Xiaofen qu’il vivait en solitaire. Un peu sauvage, la compagnie des hommes l’indisposait.

En compromis avec sa famille, il avait accepté de porter en scapulaire son nom, son adresse et le numéro de portable de son aîné, afin de faciliter son retour au bercail, lors de ses innombrables fugues à travers les sentiers communaux et les rizières en terrasse, les collines écrasées de soleil, avec pour seuls compagnons le bruit chuintant de ses godillots et l’étourdissant concert des grillons.

Quand par hasard, un paysan le croisait, le malgracieux quinquagénaire le gratifiait d’insultes confuses, avant de poursuivre son chemin, le regard flou, perdu dans ses vagues cauchemars… 

Un jour d’automne 2009, il partit, et ne revint pas. Le soir venu, son grand frère partit à sa recherche sur ses chemins favoris, sous l’orbe étoilé, accompagné des hurlements spasmodiques des chiens. Mais ce fut en vain, il retourna bredouille.

Le lendemain, il alla à Hengyang, la ville voisine, déclarer la disparition. Mais les agents ne daignèrent point considérer le cas – manque de personnel… Par pure charité, l’officier enregistrant la déclaration lui signala que des cas comme celui-là, il leur en tombait dessus des dizaines par mois : « tenez, hier encore, un gamin de 7 ans disparaissait dans la nature, sa mère était en retard de 10 minutes à la sortie de l’école. Alors vous comprenez, on peut pas faire face… désolé et bonne chance » !

Jianjun et Xiaofen avaient donc dû se débrouiller seuls, recopiant des dizaines d’affichettes pour les encoller aux murs et poteaux du village. Au fil des mois, l’espoir s’était effiloché, laissant place au deuil inévitable. Effiloché, mais non tué – en l’absence de corps, ils ne parvenaient pas à s’empêcher de « regarder à gauche, espérer à droite » (左顾右盼 zuǒ gù yòu pàn), voyant renaître sans cesse en eux le doute déraisonnable.

Jianjun était hanté de rêves. Un soir, le cadet disparu retournait au village, ployant sous des fagots qui lui occultaient le visage. Dans un autre rêve, Jianjun le trouvait un pied sur le marchepied d’un bus. Il le hélait, d’une voix toujours plus forte, mais le bus démarrait en un vrombissement…

Quarante mois passèrent, jusqu’à ce matin de février 2012 où le maire les appela d’une voix pleine de compassion : la veille, sur Hengxiang, un vagabond happé par une camionnette sur la route, avait été tué sur le coup. Le visage broyé compliquait l’identification, mais divers détails comme sa petite taille et sa semi-calvitie poivre et sel, coïncidaient avec le signalement du frère manquant…

Se trouvant alors en visite chez leurs enfants à Jinan (Shandong), à 600 kilomètres, Jianjun et Xiaofen prièrent un autre frère et un voisin, d’aller à Hengyang reconnaître la dépouille à la morgue. « Ma foi, ça pouvait bien être lui, ou pas… ». Pour couper court, le conseil de famille se rangea au conseil de la police, et se cotisa pour aligner les 20.000 à 30.000 yuans du test ADN au laboratoire recommandé par cette dernière.

Quinze jours plus tard, le verdict tomba, à vrai dire un peu flou. Entre les gènes du défunt et ceux du frère aîné, « il n’y avait pas d’incompatibilité ». Le mort avait donc « de bonnes chances » d’avoir été le frère perdu.

À cette nouvelle, Jianjun fut envahi de désespoir. Pour la première fois de sa vie, Xiaofen le vit pleurer à chaudes larmes pour Jixiang, dont l’existence s’achevait de façon si prématurée sans avoir jamais connu le bonheur…

Jianjun commanda à un artisan un mausolée de plâtre de 10 m² blanc et or, flanqué de 4 colonnes surmontées de vasques, de lions, de phœnix et de dragons sur fonds d’arbres, de fruits, rossignols et fleurs…tout ce qu’on pouvait offrir comme décor pour une vie dans l’au-delà en contrepoint de celle qui venait de s’interrompre (cf photo) ! L’ouvrage achevé, la cérémonie célébrée par un prêtre bouddhiste permit d’enfouir les cendres de Jixiang sous le monument.

Et puis fin 2015, tomba la stupéfiante nouvelle : le gite cantonal de Hengyang venait de réceptionner un autre vagabond en piteux état, au signalement proche de celui de Jixiang, y compris par son mutisme ou ses propos incohérents. Deux jours plus tard, une Santana blanche s’arrêta chez Jianjun et Xiaofen. Jixiang en sortit, en chair et en os, maigre, tremblant et affligé d’une claudication qui n’existait pas lors de sa disparition en 2009… mais c’était bien lui ! Sortant du véhicule, apercevant Xiaofen, Jixiang laissa flotter sur ses traits, au contour des yeux et des lèvres, une ébauche de sourire timide : « dajie » (大姐 grande sœur ») lui dit-il !

A ces mots, Xiaofen à son tour, sentit les battements de son cœur. Car ce titre familial, cela faisait en fait 34 ans qu’il ne le lui avait plus donné – longtemps avant son ultime fugue. Et voilà que d’un coup, Jixiang retrouvait, et les siens, et sa tendresse pour eux. C’était pour lui le retour à la maison, et pour sa famille, un joyeux coup du sort !

Mais que s’est-il passé durant ces années d’absence ? Et comment Jixiang réagira-t-il, découvrant son propre tombeau ? On le saura au prochain numéro !

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1 Commentaire
  1. severy

    Encore une bonne histoire de disparition. On est pris par le style et on bave d’impatience de savoir la fin.

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