Un combat de géants se déroule en Chine, avec pour enjeu la propreté de l’air – et les 1,6 million de décès prématurés par an que ces fléaux engendrent. Ce combat redouble cet hiver, avec des pics réguliers de 400 microparticules (PM 2,5µ) par mètre cube, et des phases toujours plus longues, sans vent – conséquence du réchauffement climatique, de l’aveu du ministère de l’Environnement.
Une équipe de biologistes de Göteborg (Suède) publie les inquiétants résultats d’une enquête effectuée en janvier 2013, sur la ville de Pékin en plein pic de pollution. Les prélèvements d’alors avaient révélé la présence de 64 types de bactéries résistantes aux antibiotiques, même ceux utilisés en dernier recours… C’est donc, selon Joakim Larsson, le directeur de l’équipe, ni plus ni moins le bouclier mondial antibactérien qui est à risque.
Les villes de Chine du Nord ont depuis, entamé leur convalescence, sous l’effet d’actions énergiques telles la fermeture de trois centrales pékinoises à charbon et de centaines de petites usines en proche banlieue.
À en croire une étude de pollution atmosphérique sur Pékin, impliquant Greenpeace, la concentration en arsenic (en PM 2,5µ) a baissé de 86% de 2012 à 2016, celle en plomb d’un peu moins de 50%, celle en cadmium de près de 40% – trois toxines cancérigènes à la base de cardiopathies, du diabète et de troubles de croissance. À la même période, l’air pékinois se purifiait de presque 50% de sa teneur en dioxyde de soufre.
En Chine du Nord durant le 13ème Plan (2016-2020), la priorité anti-pollution revient au triangle Jing-jin-ji (Pékin-Tianjin-Hebei), avec le projet « charbon-électricité » qui va renforcer et compléter le réseau électrique pour un effort en milliards de $. D’ici novembre 2017, dans un million de foyers, 3300 villages et 400 quartiers de banlieues, les chaudières à charbon disparaîtront, relayées par le gaz ou l’électricité. Pour Chai Fahe, n°2 à l’Académie des Sciences de l’Environnement, il s’agit de supprimer 36 millions de tonnes de mauvais charbon, soit 10% du total brûlé localement mais près de 50% des émissions les plus nocives. D’ici 2020, dans toute la région, la teneur en microparticules doit baisser d’un tiers, et le nombre de jours de « ciel bleu », monter à 186. Puis en 2030, la part houillère dans l’électricité de Jing-jin-ji doit chuter de 70% à 30%.
Pour y parvenir, des efforts douloureux sont à attendre. Au 15 février 2017 dans cette conurbation de 130 millions d’âmes, voitures et camions de plus de 10 ans d’âge se verront interdire de rouler durant les pics de pollution sous peine d’amende.
Une autre option plus dure, aujourd’hui à l’étude, envisage leur retrait pur et simple de la circulation. Ces véhicules qui comptent pour 8% du parc pékinois, émettent 30% du monoxyde d’azote, et jusqu’à 40% des émissions de particules de 2,5µ.
Autre action, au 1er décembre apparaissaient les plaques vertes à Wuxi, Shanghai, Nankin, Jinan et Shenzhen. Dès juillet 2017, elles s’étendront à tout le pays. Réservées aux voitures électriques, hybrides ou à hydrogène, elles seront accompagnées de dispense de loterie et de taxes et assurances allégées. Comme incitation au consommateur, elles relaieront l’actuel système de primes à l’achat de ces véhicules décarbonisés (jusqu’à 160.000 yuans par voiture).
Sur le front des usines, par tous les moyens, l’Etat renforce les industries dédiées aux économie d’énergie et à la protection de l’environnement. Fin 2015, elles employaient 30 millions de personnes et pesaient 653 milliards de $ d’investissement (selon Hu Zucai, vice-directeur à la NDRC), soit 2,1% du PIB. À l’achèvement du 13ème Plan, elles assureront 3% de ce PIB et vaudront 1450 milliards de $.
Le ministère lance une série d’inspections dans 7 provinces (Pékin, Shanghai, Canton, Chongqing, Gansu, Shaanxi et Hubei). La dernière vague dans 8 provinces, avait constaté une amélioration de la pollution de l’air, mais aussi d’aggravations dans le traitement de l’eau, des projets illégaux de nouvelles aciéries et de violations des réserves naturelles.
Ces dérives, le pouvoir espère les enrayer en lançant en décembre 2016 un « plan intégral de licence obligatoire d’émissions d’effluents éoliens et aquatiques », destiné à encadrer les 15 principaux secteurs industriels d’ici 2020.
Ce plan musclé arrive à temps pour recadrer les provinces, qui programment pour 490 milliards de $ de nouvelles centrales, au nom de l’emploi et des dessous de tables, quoique leurs chances de plein emploi soient nulles, vu la surcapacité chronique.
Ce problème-là vient des mentalités – d’égoïsme local. Mais l’administrateur doit aussi faire face à un souci différent, de gouvernance efficace. Dans Jing-jin-ji, le chantier « charbon-électricité » cité plus haut, subit la critique d’experts tel Tao Guanyuan, du centre sino-allemand de coopération en énergies nouvelles, pour qui, au lieu de faire passer directement au gaz ces zones à peine sorties du Moyen Age, il eut été plus judicieux de commencer par mieux isoler leurs habitats, pour réaliser jusqu’à 50% d’économie thermique ; et de garder 10 années de plus leurs chaudières, en y brûlant un charbon moins soufré et plus calorique. Cette stratégie-là aurait permis elle aussi une amélioration de l’air, pour un coût du tiers de celui que coûteront les filières gaz ou électricité. Elle aurait aussi évité de déstabiliser les communautés paysannes. Autrement dit, la stratégie retenue risque d’avoir « mis la charrue avant des bœufs ».
Sommaire N° 39 (2016)