Editorial : La Chine paie sa « dette immunitaire »

La Chine paie sa « dette immunitaire »

Des salles d’attente bondées, des médecins débordés, des services d’urgence pris d’assaut, des patients qui écument les hôpitaux dans l’espoir de se faire prendre en charge, des enfants épuisés, sous perfusion (mais faisant leurs devoirs)… Nous ne sommes pas à Wuhan début 2020, mais à Pékin et dans le Nord de la Chine en novembre 2023.

En effet, depuis plusieurs semaines déjà, dans plusieurs provinces à travers la Chine, la presse chinoise rapporte une forte augmentation de l’incidence des maladies respiratoires, surtout chez les enfants.

Cette recrudescence d’infections respiratoires infantiles ne serait pas liée à l’émergence d’un « mystérieux virus » comme certains médias l’ont laissé entendre, mais au fait que la Chine vit son premier hiver depuis la fin de la stratégie « zéro Covid » il y a un an.

Cette politique sanitaire avait considérablement réduit la circulation des pathogènes respiratoires lorsqu’elle était en vigueur et donc diminué le niveau d’immunité de la population. Aujourd’hui, le pays paie donc sa « dette immunitaire » : c’est ainsi que les épidémiologistes appellent ce phénomène expérimenté par bien d’autres pays avant la Chine. C’est notamment le cas de la France qui a connu l’an passé, une explosion des cas de bronchiolite.

En Chine, circulent ainsi différents pathogènes : il y a le virus respiratoire syncytial, le SARS-CoV-2, la grippe (influenza A), mais aussi la bactérie Mycoplasma pneumoniae. Ce dernier connaitrait d’ailleurs une résurgence non seulement en Chine, mais dans tout l’Hémisphère Nord. « Les mycoplasmes peuvent provoquer des épidémies majeures tous les 3 à 7 ans », a mis en garde Tong Zhaohui, le vice-doyen de l’hôpital Chaoyang (Pékin).

Si cette bactérie ne provoque généralement que des rhumes bénins chez les personnes dotées d’un solide système immunitaire, les jeunes enfants (de 5 à 10 ans) eux, sont susceptibles de développer une pneumonie, dont les symptômes peuvent durer plusieurs semaines.

En temps normal, ces cas restent rares. Sauf qu’en Chine, cette année, les cas graves se multiplient. Les experts expliquent que cela pourrait être lié à une résistance à l’antibiotique utilisé pour soigner ce type d’infection (l’Azithromycine) particulièrement élevée en Chine par rapport au reste du monde : jusqu’à 60 à 70 % des cas chez les adultes et jusqu’à 80 % des cas chez les enfants, rapporte Yin Yudong, médecin spécialiste des maladies infectieuses.

Face à cette problématique, le docteur Tong Zhaohui rappelle la nécessité de diagnostiquer avec certitude l’origine de la maladie avant de prescrire des antibiotiques. Or, cela n’est pas toujours fait lorsque les hôpitaux sont surchargés (la médecine de ville n’existe pas en Chine).

Naturellement, l’inquiétude du public est palpable. Au sein des écoles maternelles et primaires, c’est l’hécatombe : dans certaines classes, c’est 50% des effectifs qui sont malades. Ce dimanche, le sujet le plus discuté sur Baidu était la liste des services pédiatriques disponibles, ville par ville, et leurs capacités d’accueil. Même les grandes figures de la lutte nationale contre le Covid-19, comme le docteur Zhang Wenhong, ont pris la parole pour rassurer la population.

Les Chinois ne sont pas les seuls à s’inquiéter. La sévérité des cas observés en Chine a interpellé la communauté médicale internationale. Le 21 novembre, le programme de surveillance des maladies émergentes (ProMED) émettait une alerte évoquant « une épidémie généralisée d’une maladie respiratoire non diagnostiquée ».

24h plus tard, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) adressait aux autorités chinoises une demande officielle « d’informations détaillées sur l’augmentation des maladies respiratoires et les cas de pneumonie signalés en Chine » en vertu du règlement sanitaire international.

La réponse de Pékin se voulait rassurante : « aucun pathogène nouveau ou inhabituel n’a été détecté, pas plus que des signes cliniques inhabituels, il s’agit seulement d’une hausse générale du nombre de cas de maladies respiratoires dues à des pathogènes connus ».

Cette requête publique de l’OMS est une chose rare, qui suggère que l’organisation genevoise souhaite mettre Pékin sous pression pour obtenir davantage d’informations. D’abord accusée d’avoir fait preuve de complaisance vis-à-vis de Pékin pour avoir fait confiance aux informations partagées au compte-gouttes par les autorités chinoises lors des débuts de l’épidémie de Covid-19, l’OMS avait par la suite déploré le manque de transparence et de coopération de la part de la Chine, notamment pendant l’enquête sur les origines du Covid-19 et lors de la vague Omicron qui a suivi l’abandon de la politique « zéro Covid ». Alors que le monde entier redoute l’émergence d’une nouvelle pandémie, l’OMS se sait attendue au tournant. La Chine aussi, d’ailleurs. Car, outre la « dette immunitaire », la « dette de confiance » perdure.

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