La difficulté de rapporter au jour le jour les événements qui concernent le pays dirigé par le Parti Communiste Chinois, dont Xi Jinping est le leader sinon incontesté du moins difficilement contestable, est qu’il faut éviter pour le journaliste de se transformer en agent des « relations publiques » chinoises.
Autrement dit, la Chine est tellement experte non seulement dans sa manière de raconter les événements comme démontrant la puissance et la grandeur du régime, mais plus encore de les « produire » afin de soutenir ce narratif que, parfois, souvent même, le simple fait de les rapporter « objectivement » est déjà une manière de jouer le jeu de la « propagande » d’Etat.
La réaction attendue est la suivante : « voyez, ce que fait la Chine, les Etats-Unis seraient bien incapables de faire de même ». On dira, bien sûr : « mais c’est injuste, pourquoi ne pas simplement reconnaître la valeur de l’action de la Chine à sa juste valeur, pourquoi ne pas lui accorder le bénéfice du doute, pourquoi ne pas accepter que la Chine soit devenue un acteur majeur de l’équilibre des forces, pourquoi dénier à la Chine sa propre agentivité en termes de performance diplomatique » ?
Par ces interrogations de « bonne foi », il s’agira de dépeindre l’analyste comme « anti-chinois », « raciste » voire « néo-colonialiste ». Disons-le une fois pour toutes : faire une analyse critique du régime de Xi Jinping, ce n’est pas prendre parti dans un débat culturel ou national sur la valeur et la grandeur de la Chine et des Chinois. De même qu’en France, critiquer le président Macron (un sport national pour lequel la France serait la première si cela devenait une discipline olympique) ne revient pas à critiquer la France ni à être considéré comme anti-français. Alors, pourquoi faire une analyse critique, proposer un regard non naïf mais sceptique sur la diplomatie ou la politique chinoise, serait anti-Chinois (le peuple) ou anti-chinois (le pays) ?
Une fois ce rappel fait, considérons donc avec circonspection et attention critique, l’événement diplomatique qui a été au centre des relations publiques chinoises durant la semaine passée.
Le 20 novembre, un communiqué de presse nous a appris que le président chinois Xi Jinping et le président français Emmanuel Macron ont convenu lundi que le conflit Israël-Gaza ne pouvait être résolu que par une « solution à deux États » (israélien et palestinien). Selon la chaîne de télévision publique chinoise CCTV qui a mis en récit l’événement du côté chinois : tous deux « estiment que la priorité absolue est d’empêcher la situation palestino-israélienne de se détériorer davantage, notamment en raison d’une crise humanitaire plus grave ». La « solution à deux États » serait le « moyen fondamental de résoudre le cycle du conflit palestino-israélien ».
On voit que ce narratif a d’abord pour but de montrer que la Chine n’est pas opposée à l’Occident, la France se prêtant ainsi au jeu de l’électron libre du « camp occidental » puisque, selon une longue tradition française, « l’indépendance stratégique » est une spécificité de la République dont le vaste réseau diplomatique démontre le pouvoir d’influence. Cette indépendance se signale par une certaine flexibilité par rapport à l’agenda international des Etats-Unis. Ainsi, la France a pris une attitude beaucoup plus mesurée que les autres pays européens et notamment l’Allemagne dans son soutien à Israël, mettant en évidence, le caractère « disproportionné » et contraire au droit de la guerre du bombardement des civils à Gaza. La France a donc ses propres raisons dans le fait de s’afficher en caution européenne d’une « initiative chinoise ». Cependant, il faut aussi noter que le communiqué de presse qui a fait le tour des rédactions de presse internationales émane de Pékin. Au moment où les médias chinois mettaient cet événement en avant, le gouvernement français n’avait pas encore communiqué sur cette conversation. Donc le narratif autour de l’événement a été construit par la Chine, avant même que la France s’en empare et ne puisse lui donner sens.
A cette première activité diplomatique s’en ajoute, le même jour, une autre encore plus évidente, sans être pour autant vraiment plus concluante. Le 20 novembre, les ministres arabes et musulmans appelaient à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, alors que leur délégation se rendait à Pékin. La Chine étant, symboliquement, la première étape d’une tournée visant à mettre fin aux hostilités et à permettre l’aide humanitaire sur le territoire palestinien.
A nouveau, alors que la délégation doit rencontrer des responsables de chacun des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, pour qu’ils rejettent la justification par Israël de ses actions contre les Palestiniens comme étant de la légitime défense, la communication de la Chine à ce sujet laisse à penser que Pékin est non seulement l’hôte mais l’organisateur, que seule la Chine aurait la capacité de permettre aux dirigeant arabes de se rencontrer pour prêcher la paix.
En réalité, cette visite fut précédée par un sommet extraordinaire à Riyad exhortant la Cour pénale internationale à enquêter sur « les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qu’Israël commet » dans les territoires palestiniens. Autrement dit, c’est ici la figure du prince héritier Mohammed ben Salmane, dirigeant de facto du royaume saoudien, qui ressort comme étant au centre du dispositif.
De même nature a été la communication autour de « la première prise de parole de Xi Jinping sur le sujet depuis le début du conflit ». On le voit d’emblée, la stratégie de communication globale a porté sur la rareté et donc l’exceptionnalité de cette parole. Comme si le fait que ce soit « la première déclaration du président chinois depuis le 7 novembre » devait donner une sorte de statut spécial à cette parole, qui aurait été attendue avec impatience par un monde désorienté, manquant de la parole de la Chine pour s’orienter au sens propre du terme, s’aligner en direction de l’Orient.
En réalité, le décalage entre la parole « présidentielle » et la chronologie révèle à la fois la lenteur de l’ajustement du discours officiel sur les événements planétaires en Chine et aussi le relatif manque d’impact de cette parole. Quel est maintenant le contenu de cette parole ?
Le dirigeant chinois a appelé à un cessez-le-feu et promu la « solution à deux États » comme la « voie fondamentale de sortie » du conflit. Lors de sa rencontre avec le Premier ministre égyptien Mostafa Madbouly à Pékin, Xi Jinping a donc déclaré : « La priorité absolue est d’arrêter les combats le plus rapidement possible, d’empêcher que le conflit ne s’étende ou même ne devienne incontrôlable et ne provoque une grave crise humanitaire ».
Le problème de cette prise de parole publique, c’est que le rôle de médiateur n’est possible que si l’on a soi-même adopté une position neutre et équilibrée tout au long du conflit. Or la parole pondérée du dirigeant chinois ne peut faire oublier le caractère partisan de la vision chinoise du conflit, ou plutôt sa neutralité « pro-palestinienne ».
Sur le plan diplomatique, la Chine a en réalité eu un poids extrêmement modeste dans la résolution de la crise. Le mérite de la trêve humanitaire et de l’échange d’otages revient principalement au Qatar, capable de parler à la fois aux Etats-Unis, à Israël et au Hamas. Autrement dit, que ce soit le sommet de Riyad ou l’accord du Qatar, au-delà de la lutte d’influence mondiale entre les Etats-Unis et la Chine, c’est au Proche-Orient que se situe la résolution de cette crise du Proche-Orient. Plus encore, malgré les grandes déclarations sur le « Sud Global » et le nouveau poids diplomatique de la Chine, le fait demeure que là où les Européens et les Américains ont promis chacun 100 millions d’euros d’aide, la Chine ne s’est engagée qu’à hauteur de 2 millions.
Si la parole chinoise sur la crise était relayée au même niveau que son engagement financier dans la résolution des crises mondiales, cela éviterait l’hystérie médiatique grossissant démesurément chacune de ses activités diplomatiques et de jouer, volontairement ou inconsciemment, le rôle de PR (Public Relation) de la RPC.
1 Commentaire
severy
29 novembre 2023 à 03:58Les déclarations de Xi et les répercussions qu’elles ont sont sensées s’exercer principalement sur la population chinoise qui peut ainsi se croire le centre du monde. C’est de la stratégie politicienne interne. Xi tire ainsi les marrons du feu, et les dévore.