Editorial : Une « tempête » anti-corruption s’abat sur la santé

Une « tempête » anti-corruption s’abat sur la santé

« Sans précédent ». C’est ainsi qu’est présentée dans la presse l’actuelle campagne anticorruption qui s’abat sur le système de santé chinois. Pas moins de 10 ministères et administrations sont mobilisés, dans un effort de coordination assez rare pour être souligné, même sous l’ère Xi Jinping.

Des mots de la Commission Nationale de Santé (CMS), à l’origine de la campagne, ce vaste coup de filet vise à la fois hôpitaux, laboratoires et caisses d’assurance maladie. Il s’agit autant de cibler les pots-de-vin versés aux directeurs d’hôpitaux que les prescriptions abusives et les médicaments surfacturés aux patients. De quoi bouleverser les règles du jeu du secteur médical et pharmaceutique, préviennent les professionnels. Cette campagne, qui devrait se poursuivre jusqu’en 2024, s’annonce inédite de par son ampleur. Rien à voir avec celle d’il y a dix ans, qui avait uniquement pris pour cibles quelques multinationales étrangères comme GSK et AstraZeneca…

Depuis le début de l’année, plus de 180 directeurs d’hôpitaux ont été placés sous enquête – le double de l’an passé. Dans l’un des cas dévoilés par la Commission centrale de l’inspection de la discipline (CCID), le directeur de l’Hôpital du peuple à Pu’er (Yunnan) aurait empoché plus de 16 millions de yuans suite à l’achat d’un appareil de radiothérapie d’une valeur de 15 millions. Au mois de juillet, deux dirigeants de compagnies pharmaceutiques chinoises ont également été arrêtés. Prudents, les représentants des laboratoires ont interrompu leurs « activités marketing », et plusieurs conférences médicales nationales, prévues durant l’été, ont été reportées sine die, ces événements étant souvent accusés d’être propices à la corruption.

A voir le sort que Pékin a réservé aux promoteurs immobiliers (soumis à une cure de désendettement qui les a poussés au bord de la faillite) et aux groupes de soutien scolaire (interdits de donner cours du jour au lendemain), les investisseurs s’attendent au pire… Suite à l’entrée en scène de la CCID le 28 juillet, la capitalisation boursière du secteur médical s’est évaporée de 300 milliards de yuans en quelques jours.

Ces problèmes de corruption dans le monde de la santé ne datent pas d’hier. Ils remontent aux années 90, lorsque l’Etat a commencé à diminuer ses financements aux établissements hospitaliers, qui n’ont eu d’autre choix que de commencer à facturer aux patients des examens superflus ou des médicaments à prix exorbitants pour ne pas tomber dans le rouge… Même chose chez les médecins, notoirement sous-payés, qui se sont mis à accepter des dessous-de-table de la part des laboratoires pharmaceutiques… L’absence de médecins traitants en dehors du système hospitalier n’a rien arrangé, poussant systématiquement les malades – même avec une simple fièvre – vers les hôpitaux, surchargés… Certes, 95% de la population chinoise bénéficie d’une couverture santé, mais très souvent insuffisante face aux dépenses à engager pour se faire soigner.

Aujourd’hui, le coût des soins élevé est devenu l’un des sujets majeurs de préoccupation de centaines de millions de Chinois « ordinaires ». Selon les statistiques officielles, la santé représentait 8,6% des dépenses des foyers en 2022, contre 6,5% en 2016. Un chiffre amené à augmenter avec le vieillissement de la population.

Bien conscient du problème, Xi Jinping a fait de l’accès aux soins son cheval de bataille, au même titre que le logement (« pour y vivre, pas pour spéculer ») et l’éducation (« pour tous »). Ce triptyque est d’ailleurs au cœur du concept de « prospérité commune » qu’il a remis au goût du jour. En effet, le dirigeant de 70 ans, qui vient de rempiler pour un 3ème mandat, veut qu’on se souvienne de lui comme celui qui a osé s’attaquer aux problèmes les plus épineux.

Néanmoins, on peut se demander pourquoi Pékin a choisi un tel moment pour battre campagne, alors que l’économie chinoise semble à bout de souffle. Certes, elle pourrait bien faire baisser les coûts des soins pour les patients (la CCID pointe une réduction de 21,4% dans un hôpital du Guangdong suite à l’intervention de ses inspecteurs), mais certains analystes soupçonnent d’autres motivations…

De fait, Pékin part souvent à la chasse aux corrompus lorsque l’argent vient à manquer. C’est particulièrement vrai en ce moment, alors que les finances des gouvernements locaux se retrouvent impactées par la baisse des ventes de terrain aux promoteurs immobiliers et par trois années de « zéro Covid ».

Malgré un butin qui pourrait facilement atteindre plusieurs centaines de milliards de yuans, cette campagne anti-corruption ne résout pas les questions pourtant fondamentales du financement des hôpitaux publics et de la rémunération des médecins, devenus les boucs-émissaires de tous les maux dont souffre le système de santé chinois.

« Cette campagne anti-corruption pourrait bien réduire à néant le peu de confiance qui subsistait encore entre les patients et le personnel soignant, déjà victime de violences à répétitions* », met en garde Alex Payette, fondateur du cabinet Cercius, qui ajoute :« Il n’y a aucune garantie qu’une fois les inspecteurs rentrés chez eux, il soit plus facile de voir un médecin ou de se faire soigner à moindre coût. C’est même plutôt le contraire, à en croire ce qui est arrivé aux géants de la tech et aux leaders du soutien scolaire ».

Une chose est sûre : la campagne anti-corruption ne doit en aucun cas devenir un ersatz à la poursuite de la réforme du système médical (qui a d’ailleurs connu quelques succès depuis son lancement en 2009). Ce principe est bien sûr valable pour le domaine de la santé, mais aussi pour bien d’autres secteurs. Or, force est de constater que, ces dix dernières années, la Chine a connu beaucoup d’anti-corruption et bien peu de réformes…

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*Les violences en milieu hospitalier sont tellement courantes en Chine que ce phénomène a un nom : yīnào (医闹).

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