Tribune : Relations entre Taïwan et les Etats-Unis sous Biden, une continuité stratégique

Relations entre Taïwan et les Etats-Unis sous Biden, une continuité stratégique

Le passage de l’ère Trump à l’ère Biden ne s’est pas fait sans heurts.

De fait, l’assaut du Capitole par les supporters de Trump, au moment de l’officialisation de la victoire de Joe Biden à la présidence des États-Unis, a été le cadeau d’adieu de l’ancien Président aux propagandistes de la Chine de Xi Jinping. Les éditorialistes chinois « du déclin de l’Occident » et de « la grandeur de la Chine », des « faillites de la démocratie libérale » et des « mérites de l’autoritarisme socialiste » ont su y trouver un ultime prétexte à leur glose nationaliste.

Cependant, malgré leur rhétorique, on peut se demander en quoi l’irruption, dans un bâtiment public peu protégé, d’une centaine de personnes aux affiliations diverses (suprématistes, néo-confédérés, néonazis…) devrait être le signe « d’un déclin des institutions démocratiques ». De fait, la procédure du Collège électoral n’a pas été empêchée, et les émeutiers ainsi que leur meneur ont fait l’objet d’une condamnation unanime.

Quant à la comparaison entre l’assaut du Capitole et les émeutes à Hong Kong, rendue populaire sur Weibo par un article du Global Times, elle ne fait guère sens : condamner ceux qui s’opposent à Washington par la force au résultat légitime d’un vote populaire, et soutenir ceux qui à Hong Kong désirent à tout prix que leurs voix soient reconnues par un processus électoral n’est pas contradictoire. Nul deux poids, deux mesures ici – contrairement à ce qui est dit. Ne sont-ce pas plutôt les commentateurs officiels chinois qui font preuve de « double standard » ? Si l’on veut voir dans l’irruption des partisans de Trump dans le Capitole une « preuve » du déclin de l’Amérique ou de la démocratie, alors toute émeute devrait pareillement révéler la vacuité du pouvoir auquel il s’oppose – ce qui vaudrait donc aussi pour les millions de personnes à Hong Kong qui ont manifesté contre la loi sur l’extradition…

Le bilan de Trump eu égard à la Chine est paradoxal. D’un côté, en décrédibilisant la fonction présidentielle et en attisant les tensions, Trump a permis aux idéologues chinois de vanter l’ordre et la stabilité du régime de Xi Jinping ; de l’autre, en laissant son administration mener une offensive inédite et nouvelle de « containment » de la République populaire, il a permis aux pays de l’OTAN, de l’OCDE ou du QUAD (alliance entre les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, et l’Australie) d’unifier leurs stratégies envers la Chine, vue comme le « rival n°1 » aux États-Unis, au Japon, en Inde, en Australie, voire en Europe.
Sortie du mandat Trump renforcée intérieurement (grâce à sa gestion de la Covid-19) mais isolée extérieurement (seul signe contraire : l’annonce d’un accord entre Pékin et Bruxelles sur les investissements étrangers – lequel pourrait toutefois ne pas être ratifié par le Parlement européen), la Chine de Xi Jinping se trouve face à une nouvelle administration Biden dont elle aurait pu espérer un assouplissement dans la lignée de l’ère Obama.

En réalité, il n’est en rien. C’est ce que montrent les déclarations des nouveaux responsables de la politique étrangère du Président Joe Biden en ce qui concerne Pékin.

Dès avant l’élection, celui qui était pressenti comme Secrétaire d’État et qui occupe désormais cette fonction, à savoir Antony Blinken dans son dialogue avec Walter Russell Mead en juillet 2020, disait : « Il y a un consensus croissant entre les partis sur le fait que la Chine pose une série de nouveaux défis et que le statu quo n’est pas tenable, en particulier en ce qui concerne les pratiques commerciales et économiques… » Blinken ne remettait pas en cause la vision de l’administration Trump de la Chine mais seulement la manière de s’y prendre – annonçant les premiers décrets signés par Biden pour renouer les liens avec les alliés (notamment l’annonce d’un retour à l’OMS et dans les Accords de Paris) : « La façon dont le président Trump a dirigé le pays a affaibli, et non pas renforcé, nos alliances, en particulier en Asie (…) La Chine vise à affirmer son propre leadership dans les institutions internationales à nos dépens. Or notre retrait de presque toutes les institutions auxquelles vous pouvez penser a été une opportunité pour la Chine. »

Lors de son audience de confirmation au Sénat du 20 janvier, Blinken a déclaré n’avoir « aucun doute » sur le fait que, de toutes les nations, la Chine est celle qui pose le défi le plus important aux États-Unis. La continuité avec l’administration Trump est claire : selon Blinken, en effet, « une base très solide existe pour construire une politique bipartisane pour contenir Pékin ».

C’est à propos de Taïwan que les propos du nouveau Secrétaire d’État étaient les plus attendus. En effet, les États-Unis sous Trump avaient apporté un soutien à la République de Chine qui dénotait par rapport à l’implication plus mesurée de ses prédécesseurs, Barack Obama ou George Bush Jr : essor exceptionnel des ventes d’armes (système de missile Harpoon, chars Abrams, F-16…), arsenal juridique renforcé avec le « Travel Act » qui permet les rencontres de haut niveau (matérialisé par la visite en 2020 d’Alex Azar, secrétaire américain à la santé et aux services sociaux, et de Keith Krach, sous-secrétaire d’État pour la croissance économique, l’énergie et l’environnement) et le « Taipei Act » qui vise à soutenir les alliés diplomatiques de Taïwan pour stopper l’hémorragie de la rupture des relations diplomatiques (7 alliés repris par la Chine, lors de la première présidence de Tsai Ing-wen). Or, là aussi, il y a continuité stratégique : selon Blinken, « Taïwan devrait jouer un plus grand rôle dans le monde ». Plus encore, se disant en faveur d’un plus grand engagement avec Taïwan, Blinken a approuvé la décision de Mike Pompeo d’assouplir les restrictions sur les relations officielles avec Taipei : « Je veux voir ce processus aller jusqu’à sa conclusion s’il n’est pas achevé, pour m’assurer que nous agissons conformément au mandat du Taiwan Assurance Act ».

La manifestation symbolique de ce soutien réaffirmé fut l’invitation de l’ambassadeur de facto de Taïwan à Washington, Hsiao Bi-khim, à la prestation de serment de Biden. Comme le résume Emily Horne, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche : l’engagement des États-Unis envers Taiwan est « solide comme un roc ». Pékin est prévenu.

Par Jean-Yves Heurtebise

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1 Commentaire
  1. severy

    Il serait largement temps que les pays occidentaux reprennent leurs relations diplomatiques avec la plus vivante et probablement la moins corrompue des démocraties asiatiques. Le courage des Taïwanais qui tiennent tête aux pressions du régime dictatorial chinois doit être récompensé.

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