Petit Peuple : Taizhou (Zhejiang) – Les fiançailles aveugles de Xiao Liu et Xiao Niao (3ème Partie)

Taizhou (Zhejiang) – Les fiançailles aveugles de Xiao Liu et Xiao Niao (3ème Partie)

Pour leurs fiançailles arrangées et leur première rencontre, Xiao Liu (le garçon) et Xiao Niao (la fille) allaient diner ensemble. Maldonne : Xiao Niao arrive, flanquée de 24 invités.

A peine Xiao Niao, ses copains et proches, débarqués du bus, tout partit en vrille. A la grande table dressée à la hâte, ses invités s’assirent à la sauvage, chacun voulant être à côté de leur héroïne. Parlant haut et fort, deux bellâtres prirent possession des places à sa gauche et à sa droite, et un vieillard sourd comme un pot prétendit s’asseoir face à elle, ce dont Xiao Liu, le fiancé, eut toutes les peines du monde à le dissuader, afin d’occuper lui-même la place.

Mise en verve par deux coupes, sure de sa beauté dans sa robe longue, Xiao Niao fit tinter son verre pour réclamer le silence : « vive l’égalité des sexes », déclara-t-elle, « et les qualités qui permettront au couple de vivre heureux ». Ce qui comptait le plus, selon elle, était leur capacité à tous deux à tout partager, le meilleur comme le pire. Ce soir, Xiao Liu allait devoir payer le banquet : ce serait le sens de l’épreuve à laquelle elle le soumettait, pour mettre au test son amour (疾风劲草, jí fēng jìng cǎo : la tempête met la solidité de l’herbe à l’épreuve). Le discours fut suivi d’un « ganbei » général – tandis que le fiancé, blanc comme un linge, ne trouvait rien de spirituel à répondre.

Les plats commencèrent à défiler, tous plus chers les uns que les autres. Tout le monde s’amusait – sauf Xiao Liu qui angoissait sur l’addition.

Arrivèrent enfin les assiettes de fruits annonçant la fin du dîner. Le maître d’hôtel porta à Xiao Liu la note qu’à la dérobée, 25 paires d’yeux cherchaient à décrypter. Le bilan dépassait ses pires cauchemars : 20 000 yuans, une somme gigantesque pour cette ville provinciale. Mais Xiao Liu avait eu le temps de passer ses options en revue. Arborant une sérénité qu’il était loin de ressentir, il se leva en souriant à la cantonade, comme pour aller régler. Mais au bout de la salle, sans prévenir, au lieu de poursuivre vers la caisse, il bifurqua abruptement vers la sortie. Une fois dehors, il courut vers sa voiture et démarra sur les chapeaux de roue dans la nuit !

Scandale, quand on s’aperçut de la supercherie. Ayant perdu toute sa superbe, Xiao Niao se lança à sa recherche et, revenant bredouille, fondit en larmes. Parmi ses invités, pas un seul ne s’avançait pour la tirer de cette situation embarrassante, fut-ce pour payer sa part – après tout, dit un de ses « ex », une invitation était une invitation. Ferme, le maître d’hôtel ne permit pas à la jeune femme de repartir pour « revenir discuter le lendemain matin ». Un à un, sans honte, les convives louvoyèrent vers la sortie. Finalement, ce fut un des frères de Xiao Niao qui dut extraire de son portefeuille une carte de crédit pour dépanner sa sœur : elle qui avait voulu montrer à la face du monde son émancipation, voyait – mais un peu tard – sa soirée se terminer en désastre !

Le lendemain, sa famille vint assiéger celle de Xiao Liu : le banquet devait être remboursé, c’était la règle. Mais ayant passé la nuit à aiguiser ses arguments, Xiao Liu s’expliqua, tranchant comme une lame. Le piège tendu la veille lui avait ouvert les yeux : pas question de payer et même, dans ces conditions, plus question d’une telle union. Elle avait fait la bêtise : elle n’avait qu’à l’assumer tandis que lui se désengageait du mariage – il n’en avait plus envie.  C’est seulement quand le père de l’ex-future mariée menaça de porter plainte, que Xiao Liu, conseillé par ses parents, accepta de régler un quart des fredaines de la veille.

Et ce fut cela. Pour son pari raté, Xiao Niao se retrouvait la risée de la ville. Xiao Liu lui, avait gagné dix années en maturité. Plus question à l’avenir de confier sa destinée à ses parents, ni à une marieuse, ni à un maître du Fengshui. Il lui fallait faire par lui-même ses gammes de l’amour et pour commencer, apprendre à vivre seul. Une semaine plus tard, il avait troqué le nid paternel pour un logis en ville, premier pas vers la vie adulte. 

Cette aventure, qu’on ne s’y trompe pas, a résonné comme un coup de gong à travers la Chine – peut-être comme échappatoire aux affres quotidiennes de la COVID-19. La presse locale (le « Soir de Taizhou », le « Soir de Qilu ») en fit ses choux gras sous forme d’éditions spéciales qui furent épuisées en quelques heures, tandis que pas moins de 320 millions de Chinois, 20% de la population cliquaient et commentaient l’incident sur le portail Weibo, les uns pour la tradition, les autres pour la libération, les uns pour la fille et les autres pour le garçon. C’était le signe que le pays en pleine effervescence avait entamé sa mue sous l’angle du sens de la famille, des rapports homme-femme, des rapports parents-enfant, de la morale et de la juste façon de mener sa vie !

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1 Commentaire
  1. severy

    Bref, tout est bien qui finit bien… mal… bien… mal… enfin, ça finit, quoi.
    Cette histoire se passe avant la pandémie, je suppose…

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