Le Vent de la Chine Numéro 3-4 (2021)

du 25 au 31 janvier 2021

Editorial : L’économie chinoise dans la bonne direction ?
L’économie chinoise dans la bonne direction ?

Première touchée par l’épidémie de la Covid-19, la Chine a aussi été la première à s’en défaire. Grâce à des mesures sanitaires drastiques ayant permis de juguler rapidement le virus, elle est le seul grand pays à avoir échappé à la récession en 2020. Après un effondrement historique de son PIB au 1er trimestre 2020 (-6,8%), la croissance est remontée à 6,5% au dernier trimestre, reprenant son rythme pré-Covid. Ce beau score de fin d’année permet au pays d’afficher officiellement une croissance de +2,3% pour l’ensemble de 2020, son PIB dépassant pour la première fois la barre des 100 000 milliards de yuans (101 598 milliards).

La tentation politique d’afficher une croissance vigoureuse, reste forte – particulièrement lorsque le rival américain est en position de faiblesse . Le leadership chinois pourrait renouer avec sa tradition d’annoncer un objectif de croissance pour l’année lors de la prochaine session du Parlement, pour l’instant programmée au 4 mars, sauf si le virus vient à nouveau empêcher sa tenue. Pour 2021, l’OCDE anticipe un rebond du PIB chinois de 8%, avant de ralentir à 4,9% en 2022.

Au plan international, cette croissance a permis à la Chine de grignoter 1,1 point du PIB mondial pour la seule année 2020 – du jamais-vu – pour représenter 16,8 % de l’économie globale (contre environ 22,3 % pour les États-Unis). Selon Feng Xuming, chercheur à l’Académie des sciences sociales (CASS), l’économie chinoise équivalait en 2020 à 70,8% de l’américaine, contre 66,7% en 2019. L‘écart entre les deux premières puissances mondiales s’est donc resserré plus rapidement que prévu. Et si la Chine continue sur cette lancée, son économie pourrait dépasser le PIB américain en 2028 (cinq ans plus tôt que prévu), voire même dès 2026, selon diverses estimations.

« Malgré des circonstances exceptionnelles, l’économie chinoise a réalisé un tour de force », s’est enthousiasmé Ning Jizhe, directeur du Bureau des statistiques, le 18 janvier. « C’est une performance satisfaisante pour le peuple, observée par le monde entier, et qui peut rentrer dans les annales de l’histoire ». Sur Weibo, les comptes officiels des organes du Parti et des médias d’État se sont empressés de célébrer cet accomplissement, sous le hashtag : « regardez cette belle reprise en V ». Toutefois, certains commentateurs attirent l’attention sur la récente révision par le Bureau des statistiques des données de référence de 2019, de manière à obtenir des pourcentages de croissance encore meilleurs que prévu. La réalité serait moins reluisante. « Si notre société est toujours plus prospère chaque année, pourquoi ai-je l’impression que la vie est de plus en plus difficile ? », interroge un internaute en réaction à l’annonce du PIB pour 2020. « Si l’on regarde les chiffres, tout à l’air d’aller pour le mieux, mais en réalité, c’est très dur de trouver un travail décent », confesse un autre. Officiellement, le taux de chômage urbain est revenu à son niveau pré-Covid-19 (5,2% en décembre) et 11,86 millions d’emplois ont été créés l’an dernier (30% de plus que l’objectif). Cependant, un index mis au point par des chercheurs de l’université Renmin, basé sur les offres d’emploi mises en ligne sur la plateforme Zhaopin, révèle que leur nombre a chuté de 17% au dernier trimestre, particulièrement au sein des entreprises étrangères et des JV.

En y regardant de plus près, la croissance a été principalement alimentée en 2020 par l’activité industrielle (+2,8%), indicateur qui jauge également la production minière (1 milliard de tonnes d’acier produites en 2020 – un record) et manufacturière. Ce rebond est essentiellement lié à l’accélération fortuite des exports chinois (+18,2% en décembre), conduisant l’excédent commercial de la Chine avec le reste du monde à 535 milliards de $ (+27 %), son plus haut niveau depuis 2015. En effet, faute d’avoir pu endiguer la maladie, de nombreux pays étrangers passent commande en Chine, notamment en équipements médicaux (+13% pour les EPI) et produits électroniques (+54,5% pour les ordinateurs), renforçant ainsi la position chinoise « d’usine du monde » dont le leadership aimerait tant se débarrasser.

Les dépenses en infrastructures (+0,9%), et en immobilier (+7%) ont également tiré la croissance vers le haut. « C’est exactement le type de croissance non productive que la Chine a essayé de limiter ces dernières années », commente Michael Pettis, professeur d’économie à l’université de Pékin. « Bien sûr, l’activité économique a repris, mais d’autres indicateurs ont effectué de bien piètres performances ». C’est le cas de la consommation. Le climat d’incertitude économique pesant sur le portefeuille des foyers – particulièrement des plus modestes -, les ventes au détail ont chuté de 3,9% par rapport à 2019, marquant la première contraction depuis 1968. Le niveau de la dette a également augmenté, celle des entreprises à 127% du PIB (+10%) et celle des gouvernements locaux à 25% du PIB. Les ménages aussi se sont davantage endettés (de 55,6% à 58,3% en 2020).

Ce bilan économique, aussi remarquable soit-il, va donc dans la direction opposée décrétée par le Président Xi Jinping, consistant à donner moins d’importance aux exportations dans l’économie et davantage à la consommation intérieure (la fameuse stratégie de « circulation duale »). Un rééquilibrage qui devrait être encore plus difficile à effectuer dans un contexte post-Covid-19.


Diplomatie : Sous Biden, Pékin s’attend au « trumpisme » sans Trump
Sous Biden, Pékin s’attend au « trumpisme » sans Trump

Il n’aura fallu attendre que quelques minutes après la prestation de serment du 46ème Président des États-Unis, Joe Biden (乔·拜登 Qiáo Bàidēng), pour qu’un premier accrochage ait lieu entre Pékin et la nouvelle administration américaine.

Juste après l’évocation par Joe Biden d’une conversation avec Xi Jinping en 2011 (cf photo) dans laquelle il présentait les États-Unis comme « le pays de toutes les possibilités », Pékin choisissait de règler ses comptes avec 28 responsables de l’administration Trump, accusés « d’avoir gravement entravé les affaires intérieures chinoises et sérieusement perturbé les relations entre la Chine et les États-Unis ».

En décembre, l’administration Trump avait interdit l’accès du territoire américain et gelé les éventuels avoirs aux États-Unis de 14 responsables chinois impliqués dans la mise en place de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong. Une douzaine d’autres cadres du Parti avaient également fait l’objet de sanctions similaires pour leur implication dans la répression de la minorité ouïgoure au Xinjiang en juillet dernier.

Parmi les dirigeants américains ciblés par Pékin, figure sans surprise l’ex-secrétaire d’État Mike Pompeo, qui, le 19 janvier, avait accusé la Chine de mener un « génocide » contre les Ouïghours au Xinjiang – une position partagée par son successeur, Anthony Blinken. Les 28 personnalités concernées ne pourront plus entrer sur le territoire chinois. « Les entreprises et les institutions associées à ces personnes seront également interdites de relations commerciales avec la Chine », précise le communiqué. Ces sanctions résonnent comme un avertissement aux membres de la nouvelle administration Biden, qui n’a pas tardé à dénoncer une décision « cynique et contre-productive ». « Imposer ces sanctions le jour de la prestation de serment ressemble à une tentative de jouer sur les divisions politiques. Cela ne fonctionnera pas », a indiqué Emily Horne, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.

Cette altercation ne devrait pas contribuer à la « réinitialisation » des relations sino-américaines, à leur niveau le plus bas depuis 1979, année de l’établissement des liens diplomatiques entre les 2 pays. Pourtant, à Pékin, les dirigeants ont tendu à plusieurs reprises des branches d’olivier à la nouvelle administration. Lors d’une conférence de presse, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hua Chunying s’est même déclarée « quelque peu émue » par la cérémonie d’investiture, espérant « qu’avec des efforts conjoints, les anges de la relation sino-américaine triompheront sur les forces maléfiques ».

Pourtant à Pékin, personne ne se fait d’illusions. Certes, l’arrivée de Joe Biden au pouvoir devrait amener un changement dans la forme, mais pas sur le fond. Le nouveau Président américain pourrait même se montrer plus ferme sur certaines questions comme les droits de l’Homme ou les différends commerciaux et technologiques. Il devrait surtout se montrer plus cohérent que son prédécesseur et ne pas changer fréquemment d’attitude vis-à-vis de la Chine comme en était coutumier D. Trump. « Même sous la présidence de J. Biden, la Chine va faire face au trumpisme sans Trump », déclare Wang Jisi, président de l’Institut des relations internationales et stratégiques, au magazine Caixin.

De fait, le futur chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, 58 ans, a déjà affiché sa fermeté : « nous pouvons remporter la compétition face à la Chine », a-t-il déclaré le 20 janvier. La prochaine secrétaire au Trésor Janet Yellen elle, compte bien « contrer les pratiques abusives, injustes et illégales de la Chine ». Il est clair qu’un retour à une politique d’engagement semble définitivement enterré, chaque pays percevant désormais l’autre comme une menace. Trop de dégâts ont été faits de part et d’autre pour qu’un retour en arrière soit possible.

Par ailleurs, Joe Biden a été clair : la situation sanitaire et économique de son pays nécessitant toute son attention, la relation avec la Chine ne sera pas sa priorité, préférant d’abord s’atteler à ressouder les alliances mises à mal sous Trump et à réintégrer les organisations internationales (l’OMS et son initiative Covax, l’accord de Paris sur le climat…) de manière à récupérer le terrain abandonné à la Chine.

Mais le nouveau Président a-t-il véritablement le loisir d’attendre plusieurs mois ? Les dossiers urgents s’accumulent. L’administration Biden hérite déjà d’un problématique accord commercial signé avec la Chine il y a exactement un an, avec le choix d’inciter Pékin à tenir ses engagements (à ce jour, la Chine a seulement acheté 58% des produits convenus), renégocier l’accord, ou simplement ignorer le fait que la Chine n’ait pas tenu ses promesses pour cause de pandémie. Biden doit également prendre une décision sur les tarifs douaniers imposés par Trump : faut-il lever sans tarder ceux qui pénalisent le plus les importateurs américains ? Sans parler de l’interminable liste de compagnies chinoises inscrites sur liste noire du département du Commerce américain… Faut-il en retirer, et contre quelles concessions de la part de Pékin ? Quid de la réouverture des consulats (Chengdu, contre Houston) ? Que faire du CPTPP, successeur du partenariat transpacifique (TPP) initié par l’administration Obama, sur lequel lorgne Pékin ? Et bien sûr Taïwan. Traditionnellement, Pékin sollicite toujours de la part des Présidents américains une réaffirmation d’un principe « d’une seule Chine » – exercice qui s’est souvent avéré une formalité. Mais depuis l’entretien téléphonique entre Trump et Tsai Ing-wen en 2016, les cartes ont été rebattues…

Face à tant d’enjeux, les premiers contacts – sommets internationaux, appels téléphoniques entre les deux Présidents, visites officielles – donneront sans aucun doute le ton.

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La passation de pouvoir à Washington, vue par les internautes chinois

Il n’y a pas qu’à Zhongnanhai que le changement d’administration américaine a été suivi de près. Sur la toile, la lettre laissée dans le Bureau ovale à destination de Joe Biden par un Donald Trump refusant de reconnaitre sa défaite, a beaucoup amusé les internautes chinois qui se sont amusés à deviner son contenu : « voici le code du wifi » ou encore « Biden, Twitter va t’empêcher de gouverner correctement, ne passe pas trop de temps sur ton téléphone ». Ils ont été nombreux à déplorer le départ de Donald Trump, affirmant que sa « comédie internationale » allait leur manquer. D’autres s’inquiètent pour l’âge avancé du nouveau Président : « Biden a tellement de problèmes à régler, c’est un travail exigeant pour quelqu’un de 78 ans ». Un internaute se soucie plutôt de l’avenir de son pays : « un loup s’en va, un tigre prend sa place. Les attaques de Biden envers la Chine seront bien pires que celles de Trump ». Au contraire, un autre ne se sent absolument pas concerné par la passation de pouvoir à Washington : « je veux juste rentrer chez moi pour le Nouvel An lunaire »…


Tribune : Relations entre Taïwan et les Etats-Unis sous Biden, une continuité stratégique
Relations entre Taïwan et les Etats-Unis sous Biden, une continuité stratégique

Le passage de l’ère Trump à l’ère Biden ne s’est pas fait sans heurts.

De fait, l’assaut du Capitole par les supporters de Trump, au moment de l’officialisation de la victoire de Joe Biden à la présidence des États-Unis, a été le cadeau d’adieu de l’ancien Président aux propagandistes de la Chine de Xi Jinping. Les éditorialistes chinois « du déclin de l’Occident » et de « la grandeur de la Chine », des « faillites de la démocratie libérale » et des « mérites de l’autoritarisme socialiste » ont su y trouver un ultime prétexte à leur glose nationaliste.

Cependant, malgré leur rhétorique, on peut se demander en quoi l’irruption, dans un bâtiment public peu protégé, d’une centaine de personnes aux affiliations diverses (suprématistes, néo-confédérés, néonazis…) devrait être le signe « d’un déclin des institutions démocratiques ». De fait, la procédure du Collège électoral n’a pas été empêchée, et les émeutiers ainsi que leur meneur ont fait l’objet d’une condamnation unanime.

Quant à la comparaison entre l’assaut du Capitole et les émeutes à Hong Kong, rendue populaire sur Weibo par un article du Global Times, elle ne fait guère sens : condamner ceux qui s’opposent à Washington par la force au résultat légitime d’un vote populaire, et soutenir ceux qui à Hong Kong désirent à tout prix que leurs voix soient reconnues par un processus électoral n’est pas contradictoire. Nul deux poids, deux mesures ici – contrairement à ce qui est dit. Ne sont-ce pas plutôt les commentateurs officiels chinois qui font preuve de « double standard » ? Si l’on veut voir dans l’irruption des partisans de Trump dans le Capitole une « preuve » du déclin de l’Amérique ou de la démocratie, alors toute émeute devrait pareillement révéler la vacuité du pouvoir auquel il s’oppose – ce qui vaudrait donc aussi pour les millions de personnes à Hong Kong qui ont manifesté contre la loi sur l’extradition…

Le bilan de Trump eu égard à la Chine est paradoxal. D’un côté, en décrédibilisant la fonction présidentielle et en attisant les tensions, Trump a permis aux idéologues chinois de vanter l’ordre et la stabilité du régime de Xi Jinping ; de l’autre, en laissant son administration mener une offensive inédite et nouvelle de « containment » de la République populaire, il a permis aux pays de l’OTAN, de l’OCDE ou du QUAD (alliance entre les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, et l’Australie) d’unifier leurs stratégies envers la Chine, vue comme le « rival n°1 » aux États-Unis, au Japon, en Inde, en Australie, voire en Europe.
Sortie du mandat Trump renforcée intérieurement (grâce à sa gestion de la Covid-19) mais isolée extérieurement (seul signe contraire : l’annonce d’un accord entre Pékin et Bruxelles sur les investissements étrangers – lequel pourrait toutefois ne pas être ratifié par le Parlement européen), la Chine de Xi Jinping se trouve face à une nouvelle administration Biden dont elle aurait pu espérer un assouplissement dans la lignée de l’ère Obama.

En réalité, il n’est en rien. C’est ce que montrent les déclarations des nouveaux responsables de la politique étrangère du Président Joe Biden en ce qui concerne Pékin.

Dès avant l’élection, celui qui était pressenti comme Secrétaire d’État et qui occupe désormais cette fonction, à savoir Antony Blinken dans son dialogue avec Walter Russell Mead en juillet 2020, disait : « Il y a un consensus croissant entre les partis sur le fait que la Chine pose une série de nouveaux défis et que le statu quo n’est pas tenable, en particulier en ce qui concerne les pratiques commerciales et économiques… » Blinken ne remettait pas en cause la vision de l’administration Trump de la Chine mais seulement la manière de s’y prendre – annonçant les premiers décrets signés par Biden pour renouer les liens avec les alliés (notamment l’annonce d’un retour à l’OMS et dans les Accords de Paris) : « La façon dont le président Trump a dirigé le pays a affaibli, et non pas renforcé, nos alliances, en particulier en Asie (…) La Chine vise à affirmer son propre leadership dans les institutions internationales à nos dépens. Or notre retrait de presque toutes les institutions auxquelles vous pouvez penser a été une opportunité pour la Chine. »

Lors de son audience de confirmation au Sénat du 20 janvier, Blinken a déclaré n’avoir « aucun doute » sur le fait que, de toutes les nations, la Chine est celle qui pose le défi le plus important aux États-Unis. La continuité avec l’administration Trump est claire : selon Blinken, en effet, « une base très solide existe pour construire une politique bipartisane pour contenir Pékin ».

C’est à propos de Taïwan que les propos du nouveau Secrétaire d’État étaient les plus attendus. En effet, les États-Unis sous Trump avaient apporté un soutien à la République de Chine qui dénotait par rapport à l’implication plus mesurée de ses prédécesseurs, Barack Obama ou George Bush Jr : essor exceptionnel des ventes d’armes (système de missile Harpoon, chars Abrams, F-16…), arsenal juridique renforcé avec le « Travel Act » qui permet les rencontres de haut niveau (matérialisé par la visite en 2020 d’Alex Azar, secrétaire américain à la santé et aux services sociaux, et de Keith Krach, sous-secrétaire d’État pour la croissance économique, l’énergie et l’environnement) et le « Taipei Act » qui vise à soutenir les alliés diplomatiques de Taïwan pour stopper l’hémorragie de la rupture des relations diplomatiques (7 alliés repris par la Chine, lors de la première présidence de Tsai Ing-wen). Or, là aussi, il y a continuité stratégique : selon Blinken, « Taïwan devrait jouer un plus grand rôle dans le monde ». Plus encore, se disant en faveur d’un plus grand engagement avec Taïwan, Blinken a approuvé la décision de Mike Pompeo d’assouplir les restrictions sur les relations officielles avec Taipei : « Je veux voir ce processus aller jusqu’à sa conclusion s’il n’est pas achevé, pour m’assurer que nous agissons conformément au mandat du Taiwan Assurance Act ».

La manifestation symbolique de ce soutien réaffirmé fut l’invitation de l’ambassadeur de facto de Taïwan à Washington, Hsiao Bi-khim, à la prestation de serment de Biden. Comme le résume Emily Horne, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche : l’engagement des États-Unis envers Taiwan est « solide comme un roc ». Pékin est prévenu.

Par Jean-Yves Heurtebise


Technologies & Internet : Jack Ma réapparaît
Jack Ma réapparaît

Il était attendu depuis près de trois mois, le revoilà : Jack Ma, en chair et en os ! Enfin, plutôt en entretien préenregistré, et à l’occasion d’un évènement virtuel organisé par sa fondation le 20 janvier, jour auspicieux marquant le début des célébrations du Nouvel An chinois (腊八节).

Le fondateur du géant du e-commerce Alibaba n’avait plus été vu en public depuis son rappel à l’ordre par les régulateurs le 2 novembre, suite à un discours donné dix jours plus tôt durant lequel il accusait les banques traditionnelles d’avoir « une mentalité de prêteurs sur gages », et la tutelle financière « d’étouffer l’innovation ». S’ensuivit la suspension à la dernière minute par les autorités de l’introduction en bourse d’Ant, le bras financier d’Alibaba, puis un mois plus tard, une enquête pour pratiques monopolistiques. Même si Jack Ma a officiellement pris sa retraite en 2019, il conserve 4,8% des parts d’Alibaba, et surtout reste le principal actionnaire d’Ant (32,65%).

Dans une vidéo de 48 secondes, l’ancien professeur d’anglais s’adresse, en tenue décontractée, à 100 enseignants en zones rurales, auxquels il était censé remettre un prix en main propre. Pour justifier le fait qu’il n’ait pas pu se déplacer à Sanya comme les autres années, le milliardaire invoque la pandémie, quoique l’île de Hainan n’ait souffert d’aucun nouveau cas de Covid-19 récemment… Le clip contient également une courte séquence datée du 10 janvier d’une visite du patron dans une école primaire de campagne dans les environs de Hangzhou, ville où Alibaba et Ant ont leur siège.

En plus du court clip, le Tianmu News, filiale du Zhejiang Daily, a fourni une transcription plus étoffée des propos du 19ème homme le plus riche au monde (60,7 milliards de $) : « mes collègues et moi-même avons passé du temps à réfléchir et à apprendre (…) Il est de la responsabilité des patrons d’entreprise comme moi de soutenir les professeurs en zones rurales, d’œuvrer à la revitalisation des campagnes et à la prospérité pour tous ».

Ce ton conciliant, louant la campagne anti-pauvreté chère au Président Xi Jinping, et le fait qu’il n’ait pas présenté d’excuses publiques (comme l’avait fait l’actrice Fan Bingbing en 2018, accusée de fraude fiscale), peut suggérer qu’un accord ait été trouvé, ou serait sur le point de l’être, avec les régulateurs. Les pires scénarios, tel l’emprisonnement de Jack Ma ou la mise sous tutelle de tout ou partie de son empire – peuvent donc à priori être exclus. Cela a suffi aux investisseurs pour pousser un soupir de soulagement, Alibaba regagnant en l’espace d’une journée, 8,5 points en bourse de Hong Kong (soit 58 milliards de $ en valeur).

Pour les autorités, cette vidéo doit démontrer que la campagne anti-monopole ne cible pas spécifiquement Jack Ma, et que le gouvernement chinois ne réprime pas les entreprises privées. Cependant, son format inhabituel, ressemblant étrangement aux confessions télévisées de suspects réalisées sous la contrainte, ne fait qu’attiser les soupçons sur la situation de Jack Ma, alors qu’elle était censée couper court aux spéculations… D’ailleurs, le lendemain de la mise en ligne de la vidéo, Ant se voyait contraint de démentir la rumeur selon laquelle le fondateur d’Alibaba aurait consenti à céder 10% des parts du groupe à la caisse de sécurité sociale de la province du Zhejiang…

Rien ne garantit donc que le milliardaire soit sorti d’affaire, et sa prochaine apparition médiatique devrait être au moins aussi scrutée que la première.


Politique : Le maire de Wuhan prend la porte
Le maire de Wuhan prend la porte

Ce n’était qu’une question de temps. Un an jour pour jour après le confinement de la ville de Wuhan (Hubei) le 23 janvier 2020, son maire Zhou Xianwang (周先旺) prend la porte. Même si son départ n’est pas encore officiel et que la nomination de son successeur devra être approuvée par le parlement local, un communiqué de la municipalité ne le présente déjà plus comme tel, mais comme membre de la Conférence consultative du peuple du Hubei.

Au début de l’épidémie, le maire s’était retrouvé sous le feu des critiques pour avoir tardé à communiquer sur le virus et à décréter des mesures sanitaires, ainsi que pour avoir autorisé une fête de quartier rassemblant 40 000 personnes, ou encore pour avoir mis son masque à l’envers lors d’une conférence de presse…

Le 27 janvier 2020, lors d’une interview à la CCTV qui restera dans les mémoires, il avait déclaré assumer pleinement l’impopulaire mise en quarantaine de la ville et proposait sa démission (d’ailleurs réclamée par des millions d’habitants sur internet) ainsi que celle du secrétaire du Parti de la ville Ma Guoqiang (qui sera lui limogé un mois plus tard et remplacé par Wang Zhonglin). Surtout, Zhou Xianwang avait ajouté : « si nous n’avons pas communiqué plus tôt sur l’épidémie, c’est que nous n’avions pas eu l’autorisation de le faire de la part de notre hiérarchie ». En rejetant ainsi ouvertement la faute sur le gouvernement central, le maire devait savoir que ses jours étaient comptés…

Maintenant que la situation sanitaire est sous contrôle à Wuhan et que le triomphe de la ville sur l’ennemi invisible est célébré, l’heure est donc venue pour Zhou de s’en aller. Un départ qui ne fait ni chaud ni froid aux habitants. « Que Zhou reste ou pas, cela ne change rien pour moi, lâche l’un d’entre eux. J’ai retenu la douloureuse leçon des 76 jours de confinement. Désormais, je n’attendrai plus que les autorités réagissent, j’irai au-devant, j’ai déjà fait des provisions pour m’auto-confiner ». Certains trouvent tout de même des excuses à l’ancien maire, expliquant que Zhou n’avait pas l’autorité nécessaire pour prendre des décisions à l’époque. Pourtant, dans la ville voisine de Qianjiang, les dirigeants avaient pris sur eux-mêmes de fermer la ville, sans attendre l’approbation du Hubei ou de Pékin…


Podcast : 6ème épisode des «Chroniques d’Eric» : La Chine toujours plus seule
6ème épisode des «Chroniques d’Eric» : La Chine toujours plus seule

Venez écouter le sixième épisode des « Chroniques d’Eric », journaliste en Chine de 1987 à 2019 et fondateur du Vent de la Chine.

La Chine, vue par satellite, vue d’ensemble de 2021 sous l’angle de la gouvernance politique. Il s’agit d’évoquer la conflagration de la COVID 19 avec ce pays qui l’a vu naître (et pourquoi), celle avec les États-Unis de Donald Trump, et la tentative du régime pour arracher la Chine à son isolation croissante, par un accord avec l’Union Européenne. 
Je décris ici à la fois ses forces et ses faiblesses, et cette partie spéciale et contestable qui envahit aujourd’hui toute la scène, le néo-stalinisme. En même temps, apparaît l’esquisse d’une Chine-bébé géant (très similaire à celui du grand film soviétique de science-fiction SOLARIS), encore inconscient de ses forces, mais dont les moindres mouvements effraient l’univers. 

Suivez dès à présent les « Chroniques d’Eric » via le flux RSS ou sur Apple Podcast !

6ème épisode :  » La Chine toujours plus seule « 


Petit Peuple : Taizhou (Zhejiang) – Les fiançailles aveugles de Xiao Liu et Xiao Niao (3ème Partie)
Taizhou (Zhejiang) – Les fiançailles aveugles de Xiao Liu et Xiao Niao (3ème Partie)

Pour leurs fiançailles arrangées et leur première rencontre, Xiao Liu (le garçon) et Xiao Niao (la fille) allaient diner ensemble. Maldonne : Xiao Niao arrive, flanquée de 24 invités.

A peine Xiao Niao, ses copains et proches, débarqués du bus, tout partit en vrille. A la grande table dressée à la hâte, ses invités s’assirent à la sauvage, chacun voulant être à côté de leur héroïne. Parlant haut et fort, deux bellâtres prirent possession des places à sa gauche et à sa droite, et un vieillard sourd comme un pot prétendit s’asseoir face à elle, ce dont Xiao Liu, le fiancé, eut toutes les peines du monde à le dissuader, afin d’occuper lui-même la place.

Mise en verve par deux coupes, sure de sa beauté dans sa robe longue, Xiao Niao fit tinter son verre pour réclamer le silence : « vive l’égalité des sexes », déclara-t-elle, « et les qualités qui permettront au couple de vivre heureux ». Ce qui comptait le plus, selon elle, était leur capacité à tous deux à tout partager, le meilleur comme le pire. Ce soir, Xiao Liu allait devoir payer le banquet : ce serait le sens de l’épreuve à laquelle elle le soumettait, pour mettre au test son amour (疾风劲草, jí fēng jìng cǎo : la tempête met la solidité de l’herbe à l’épreuve). Le discours fut suivi d’un « ganbei » général – tandis que le fiancé, blanc comme un linge, ne trouvait rien de spirituel à répondre.

Les plats commencèrent à défiler, tous plus chers les uns que les autres. Tout le monde s’amusait – sauf Xiao Liu qui angoissait sur l’addition.

Arrivèrent enfin les assiettes de fruits annonçant la fin du dîner. Le maître d’hôtel porta à Xiao Liu la note qu’à la dérobée, 25 paires d’yeux cherchaient à décrypter. Le bilan dépassait ses pires cauchemars : 20 000 yuans, une somme gigantesque pour cette ville provinciale. Mais Xiao Liu avait eu le temps de passer ses options en revue. Arborant une sérénité qu’il était loin de ressentir, il se leva en souriant à la cantonade, comme pour aller régler. Mais au bout de la salle, sans prévenir, au lieu de poursuivre vers la caisse, il bifurqua abruptement vers la sortie. Une fois dehors, il courut vers sa voiture et démarra sur les chapeaux de roue dans la nuit !

Scandale, quand on s’aperçut de la supercherie. Ayant perdu toute sa superbe, Xiao Niao se lança à sa recherche et, revenant bredouille, fondit en larmes. Parmi ses invités, pas un seul ne s’avançait pour la tirer de cette situation embarrassante, fut-ce pour payer sa part – après tout, dit un de ses « ex », une invitation était une invitation. Ferme, le maître d’hôtel ne permit pas à la jeune femme de repartir pour « revenir discuter le lendemain matin ». Un à un, sans honte, les convives louvoyèrent vers la sortie. Finalement, ce fut un des frères de Xiao Niao qui dut extraire de son portefeuille une carte de crédit pour dépanner sa sœur : elle qui avait voulu montrer à la face du monde son émancipation, voyait – mais un peu tard – sa soirée se terminer en désastre !

Le lendemain, sa famille vint assiéger celle de Xiao Liu : le banquet devait être remboursé, c’était la règle. Mais ayant passé la nuit à aiguiser ses arguments, Xiao Liu s’expliqua, tranchant comme une lame. Le piège tendu la veille lui avait ouvert les yeux : pas question de payer et même, dans ces conditions, plus question d’une telle union. Elle avait fait la bêtise : elle n’avait qu’à l’assumer tandis que lui se désengageait du mariage – il n’en avait plus envie.  C’est seulement quand le père de l’ex-future mariée menaça de porter plainte, que Xiao Liu, conseillé par ses parents, accepta de régler un quart des fredaines de la veille.

Et ce fut cela. Pour son pari raté, Xiao Niao se retrouvait la risée de la ville. Xiao Liu lui, avait gagné dix années en maturité. Plus question à l’avenir de confier sa destinée à ses parents, ni à une marieuse, ni à un maître du Fengshui. Il lui fallait faire par lui-même ses gammes de l’amour et pour commencer, apprendre à vivre seul. Une semaine plus tard, il avait troqué le nid paternel pour un logis en ville, premier pas vers la vie adulte. 

Cette aventure, qu’on ne s’y trompe pas, a résonné comme un coup de gong à travers la Chine – peut-être comme échappatoire aux affres quotidiennes de la COVID-19. La presse locale (le « Soir de Taizhou », le « Soir de Qilu ») en fit ses choux gras sous forme d’éditions spéciales qui furent épuisées en quelques heures, tandis que pas moins de 320 millions de Chinois, 20% de la population cliquaient et commentaient l’incident sur le portail Weibo, les uns pour la tradition, les autres pour la libération, les uns pour la fille et les autres pour le garçon. C’était le signe que le pays en pleine effervescence avait entamé sa mue sous l’angle du sens de la famille, des rapports homme-femme, des rapports parents-enfant, de la morale et de la juste façon de mener sa vie !


Rendez-vous : Semaines du 25 janvier au 21 février
Semaines du 25 janvier au 21 février

11-12 février : Nouvel An Chinois. Dans toute la Chine, les festivités du Nouvel an chinois célèbreront l’entrée dans l’année du Buffle (de Métal) qui commencera le 12 février 2021 pour se terminer le soir du 31 janvier 2022.