Diplomatie : Sous Biden, Pékin s’attend au « trumpisme » sans Trump

Sous Biden, Pékin s’attend au « trumpisme » sans Trump

Il n’aura fallu attendre que quelques minutes après la prestation de serment du 46ème Président des États-Unis, Joe Biden (乔·拜登 Qiáo Bàidēng), pour qu’un premier accrochage ait lieu entre Pékin et la nouvelle administration américaine.

Juste après l’évocation par Joe Biden d’une conversation avec Xi Jinping en 2011 (cf photo) dans laquelle il présentait les États-Unis comme « le pays de toutes les possibilités », Pékin choisissait de règler ses comptes avec 28 responsables de l’administration Trump, accusés « d’avoir gravement entravé les affaires intérieures chinoises et sérieusement perturbé les relations entre la Chine et les États-Unis ».

En décembre, l’administration Trump avait interdit l’accès du territoire américain et gelé les éventuels avoirs aux États-Unis de 14 responsables chinois impliqués dans la mise en place de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong. Une douzaine d’autres cadres du Parti avaient également fait l’objet de sanctions similaires pour leur implication dans la répression de la minorité ouïgoure au Xinjiang en juillet dernier.

Parmi les dirigeants américains ciblés par Pékin, figure sans surprise l’ex-secrétaire d’État Mike Pompeo, qui, le 19 janvier, avait accusé la Chine de mener un « génocide » contre les Ouïghours au Xinjiang – une position partagée par son successeur, Anthony Blinken. Les 28 personnalités concernées ne pourront plus entrer sur le territoire chinois. « Les entreprises et les institutions associées à ces personnes seront également interdites de relations commerciales avec la Chine », précise le communiqué. Ces sanctions résonnent comme un avertissement aux membres de la nouvelle administration Biden, qui n’a pas tardé à dénoncer une décision « cynique et contre-productive ». « Imposer ces sanctions le jour de la prestation de serment ressemble à une tentative de jouer sur les divisions politiques. Cela ne fonctionnera pas », a indiqué Emily Horne, porte-parole du Conseil de sécurité nationale.

Cette altercation ne devrait pas contribuer à la « réinitialisation » des relations sino-américaines, à leur niveau le plus bas depuis 1979, année de l’établissement des liens diplomatiques entre les 2 pays. Pourtant, à Pékin, les dirigeants ont tendu à plusieurs reprises des branches d’olivier à la nouvelle administration. Lors d’une conférence de presse, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hua Chunying s’est même déclarée « quelque peu émue » par la cérémonie d’investiture, espérant « qu’avec des efforts conjoints, les anges de la relation sino-américaine triompheront sur les forces maléfiques ».

Pourtant à Pékin, personne ne se fait d’illusions. Certes, l’arrivée de Joe Biden au pouvoir devrait amener un changement dans la forme, mais pas sur le fond. Le nouveau Président américain pourrait même se montrer plus ferme sur certaines questions comme les droits de l’Homme ou les différends commerciaux et technologiques. Il devrait surtout se montrer plus cohérent que son prédécesseur et ne pas changer fréquemment d’attitude vis-à-vis de la Chine comme en était coutumier D. Trump. « Même sous la présidence de J. Biden, la Chine va faire face au trumpisme sans Trump », déclare Wang Jisi, président de l’Institut des relations internationales et stratégiques, au magazine Caixin.

De fait, le futur chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, 58 ans, a déjà affiché sa fermeté : « nous pouvons remporter la compétition face à la Chine », a-t-il déclaré le 20 janvier. La prochaine secrétaire au Trésor Janet Yellen elle, compte bien « contrer les pratiques abusives, injustes et illégales de la Chine ». Il est clair qu’un retour à une politique d’engagement semble définitivement enterré, chaque pays percevant désormais l’autre comme une menace. Trop de dégâts ont été faits de part et d’autre pour qu’un retour en arrière soit possible.

Par ailleurs, Joe Biden a été clair : la situation sanitaire et économique de son pays nécessitant toute son attention, la relation avec la Chine ne sera pas sa priorité, préférant d’abord s’atteler à ressouder les alliances mises à mal sous Trump et à réintégrer les organisations internationales (l’OMS et son initiative Covax, l’accord de Paris sur le climat…) de manière à récupérer le terrain abandonné à la Chine.

Mais le nouveau Président a-t-il véritablement le loisir d’attendre plusieurs mois ? Les dossiers urgents s’accumulent. L’administration Biden hérite déjà d’un problématique accord commercial signé avec la Chine il y a exactement un an, avec le choix d’inciter Pékin à tenir ses engagements (à ce jour, la Chine a seulement acheté 58% des produits convenus), renégocier l’accord, ou simplement ignorer le fait que la Chine n’ait pas tenu ses promesses pour cause de pandémie. Biden doit également prendre une décision sur les tarifs douaniers imposés par Trump : faut-il lever sans tarder ceux qui pénalisent le plus les importateurs américains ? Sans parler de l’interminable liste de compagnies chinoises inscrites sur liste noire du département du Commerce américain… Faut-il en retirer, et contre quelles concessions de la part de Pékin ? Quid de la réouverture des consulats (Chengdu, contre Houston) ? Que faire du CPTPP, successeur du partenariat transpacifique (TPP) initié par l’administration Obama, sur lequel lorgne Pékin ? Et bien sûr Taïwan. Traditionnellement, Pékin sollicite toujours de la part des Présidents américains une réaffirmation d’un principe « d’une seule Chine » – exercice qui s’est souvent avéré une formalité. Mais depuis l’entretien téléphonique entre Trump et Tsai Ing-wen en 2016, les cartes ont été rebattues…

Face à tant d’enjeux, les premiers contacts – sommets internationaux, appels téléphoniques entre les deux Présidents, visites officielles – donneront sans aucun doute le ton.

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La passation de pouvoir à Washington, vue par les internautes chinois

Il n’y a pas qu’à Zhongnanhai que le changement d’administration américaine a été suivi de près. Sur la toile, la lettre laissée dans le Bureau ovale à destination de Joe Biden par un Donald Trump refusant de reconnaitre sa défaite, a beaucoup amusé les internautes chinois qui se sont amusés à deviner son contenu : « voici le code du wifi » ou encore « Biden, Twitter va t’empêcher de gouverner correctement, ne passe pas trop de temps sur ton téléphone ». Ils ont été nombreux à déplorer le départ de Donald Trump, affirmant que sa « comédie internationale » allait leur manquer. D’autres s’inquiètent pour l’âge avancé du nouveau Président : « Biden a tellement de problèmes à régler, c’est un travail exigeant pour quelqu’un de 78 ans ». Un internaute se soucie plutôt de l’avenir de son pays : « un loup s’en va, un tigre prend sa place. Les attaques de Biden envers la Chine seront bien pires que celles de Trump ». Au contraire, un autre ne se sent absolument pas concerné par la passation de pouvoir à Washington : « je veux juste rentrer chez moi pour le Nouvel An lunaire »…

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