![La fin du mythe chinois de non-ingérence : quand la Chine soutient le séparatisme philippin](https://www.leventdelachine.com/wp-content/uploads/bfi_thumb/e02duterte26-Mindanews-Photo-by-Keith-Bacongco-qppxkeppyje1c2pshurr0z1o2al7aysvcmxec3dj3c.jpg?x58463)
En 2012, le ministre chinois des Affaires étrangères, Yang Jiechi, soulignait à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies la nécessité de garantir que les relations internationales soient strictement fondées sur le principe de « non-ingérence » : « La Chine n’interfère pas dans les affaires intérieures des autres pays ni n’impose sa volonté aux autres, et la Chine ne permet pas aux forces extérieures d’interférer dans ses affaires intérieures ».
En tant que principe fondamental de la politique étrangère de la RPC, les responsables chinois défendent ce concept de « non-ingérence » à l’étranger, le qualifiant d’« arme magique » pour les pays en développement. Dans les faits, le principe de non-ingérence permet à la Chine de faire des affaires avec les régimes les moins regardants en termes de droits humains, ceci profitant surtout à la caste au pouvoir des pays concernés. Au nom de la « non-ingérence », Pékin s’oppose aux conditions sociales et écologiques requises par d’autres investisseurs internationaux, dits « occidentaux ». Ainsi, l’habileté de la Chine consiste à faire passer une demande de financement plus propre et plus juste de la part des bailleurs de fonds globaux (FMI, Banque mondiale, EU…) pour un « diktat néocolonial » qui irait à l’encontre de la prétendue volonté des populations des pays en voie de développement.
Depuis 2022, année de l’amitié « sans limite » entre la Chine et la Russie et de l’invasion de l’Ukraine, ce principe de « non-ingérence » a fini par perdre toute sa légitimité. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, un pays souverain, viole clairement ce principe. Or, non seulement les responsables chinois ont refusé de condamner Poutine, mais dans le discours de Pékin, le principe de « non-ingérence » serait moins pertinent pour l’Ukraine en raison des « préoccupations légitimes de la Russie en matière de sécurité ».
A l’inverse, la Chine n’hésite pas à interférer dans les affaires d’autres pays, comme le montre ses actions dans l’Indopacifique, que ce soit dans les Maldives ou, plus directement encore, dans les îles Salomon. En échange d’une aide financière et sécuritaire de la part de Pékin, ces deux pays ont pris leurs distances vis-à-vis des puissances du QUAD (Inde, Japon, Australie, Etats-Unis).
Le cas le plus préoccupant et, sans doute le moins connu, concerne les actions en sous-main de la Chine à Mindanao, deuxième plus grande île des Philippines, après Luzon, et la septième île la plus peuplée au monde. Située dans la région sud de l’archipel, l’île est sujette à une double tension séparatiste : islamiste et marxiste. En 2017, bientôt rejoint par l’Union Européenne, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, le président philippin Rodrigo Duterte désignait la Nouvelle Armée Populaire (NAP), l’aile armée du Parti Communiste des Philippines installée sur Mindanao, comme une organisation terroriste.
Mais depuis que celui-ci est passé dans l’opposition, sa position a radicalement changé. Lors d’une diffusion en direct le 30 janvier 2024 de son talk-show populiste « Gikan sa Masa, Para sa Masa » (« De la masse, pour la masse »), Duterte a révélé qu’il avait chargé l’un de ses proches associés, le député Pantaleón Álvarez, de regrouper ses alliés pour poursuivre une tentative de sécession de Mindanao.
On le sait, le clan Duterte tire son pouvoir politique de Davao, la plus grande ville de Mindanao. On le sait aussi : Duterte a, durant tout son mandat, tenté de prendre de la distance vis-à-vis des Etats-Unis et de se rapprocher de la Chine, lui laissant au passage la main libre en mer de Chine du Sud et dans les parages de sa Zone Économique Exclusive (ZEE). Ce faisant, il sabordait la légitimité que lui avait donné la décision de la Cour internationale de La Haye de considérer comme illégitime les prétentions « historiques » de la Chine sur 87% de la zone.
Il n’est donc pas étonnant que la sinosphère ait cherché à relayer les fausses informations de sécession de Mindanao. La campagne coordonnée par la Chine visant à répandre des rumeurs de conflit imminent aux Philippines a démarré quelques jours après que Alvarez ait publié en novembre 2023, une déclaration appelant à rendre l’île indépendante en raison des politiques de l’actuel Président, Marcos, dans la mer des Philippines occidentale. En quelques jours, plus de 60 articles sur la campagne d’indépendance de Mindanao ont été publiés sur des plateformes chinoises, partageant majoritairement le même argument selon lequel la politique favorable de Marcos à l’égard des États-Unis incitait Mindanao à envisager de se séparer du pays.
Autrement dit, alors que la Chine critique de façon agressive quiconque ose mettre en doute le « rattachement » de Taïwan à la Chine au nom du principe de « non-ingérence », elle incite le sud des Philippines au séparatisme, pour punir le gouvernement Marcos de résister frontalement et ouvertement à son hégémonie « pacifique » en mer de Sud de Chine.
Sommaire N° 21 (2024)