Défense : Au Dialogue de « Shangri-La », l’amiral Dong sonne le rappel

Au Dialogue de « Shangri-La », l’amiral Dong sonne le rappel

Cela va finir par devenir une habitude : lors du 21ème Dialogue de sécurité dit de « Shangri-La » (SLD) – du nom de l’hôtel dans lequel où il se tient à Singapour depuis 2002 – qui s’est tenu du 31 mai au 2 juin, la Chine était une nouvelle fois au cœur de toutes les discussions. Plus encore, elle était le point focal de la plupart des débats et des frictions.

Le dialogue réunit généralement les ministres de la Défense et les chefs militaires de la plupart des États d’Asie-Pacifique. Avec le temps, ce forum de rencontre d’experts des questions de défense au niveau international est devenu un sommet informel entre les principaux pays ayant des intérêts sécuritaires, militaires et économiques vitaux dans la région Indo-Pacifique et au-delà.

Surtout, depuis plusieurs années, c’est devenu l’un des rares lieux où les responsables de la défense américaine et chinoise se rencontrent, ou du moins se retrouvent pour exposer leurs visions de plus en plus divergentes du monde, et définissent le périmètre de plus en plus large de leurs désaccords.

Cette édition 2024 fut remarquable à plusieurs égards. D’abord, par l’intervention inattendue de Volodymyr Zelensky, le Président ukrainien qui osa qualifier la Chine d’« instrument entre les mains de Poutine » pour que se perpétue la guerre dans son pays. Ensuite, par la participation de l’amiral chinois Dong Jun, la première depuis qu’il a été nommé ministre de la Défense en décembre 2023.

Ce rendez-vous a également donné lieu à la première rencontre officielle entre Dong Jun et Lloyd Austin, le secrétaire à la Défense américain. Les deux hommes sont souvent présentés comme des homologues. Or, la position d’Austin est la deuxième plus élevée militairement après celle du Président des États-Unis, tandis que celle de Dong, est placée sous l’autorité des membres de la Commission Militaire Centrale (CMC), présidée par Xi Jinping. Ainsi, le rôle principal de Dong est de représenter l’APL à l’international, et plus particulièrement dans les interactions avec les armées étrangères.

Toutefois, ses paroles doivent être scrutées avec attention car elles reflètent précisément la position de ses chefs. En outre, l’expérience de Dong en tant que commandant de marine reflète l’importance accordée par Xi Jinping aux questions interarmées et navales, avec des applications potentielles croissantes relatives aux revendications de souveraineté contestées dans les mers de Chine orientale et méridionale, dont la plus importante est celle de Taïwan.

Et pour sa première prise de parole à l’international en tant que ministre, l’amiral Dong Jun n’a pas mâché ses mots. Un discours qui rappelle celui des diplomates « loups combattants », mais émanant cette fois-ci du haut commandement militaire.

S’exprimant tout juste une semaine après la démonstration de force « punitive » de l’APL autour de Taïwan après l’investiture de son nouveau président, Lai Ching-te du DPP (parti pro-souverainiste qui vise à maintenir une distance durable face à Pékin), Dong a défendu avec ferveur la position de la Chine : « Quiconque ose séparer Taïwan de la Chine sera écrasé en morceaux et subira sa propre destruction ». Visant à la fois les États-Unis et Taïwan, il a ajouté : « La perspective d’une réunification pacifique avec Taïwan est de plus en plus érodée par les séparatistes taïwanais et les forces extérieures ».

Alors que le Président Lai appelait la Chine à respecter la paix dans la région pour garantir sa prospérité et a dit vouloir le dialogue avec Pékin, Dong a condamné « des déclarations séparatistes fanatiques et traîtresses envers la nation chinoise et ses ancêtres, qui seront clouées au pilier de la honte de l’histoire ».

C’est maintenant une constante du discours chinois de dire que l’histoire est du côté de Pékin et de Xi, d’affirmer que tout ce qui est bon pour la Chine est bon pour l’Humanité et que tout ce qui s’oppose à « l’essor pacifique » de la Chine est mauvais pour l’Homme. Un tel discours semble servir de justification après coup aux récentes manœuvres militaires d’encerclement, censées démontrer la détermination de la Chine à régler seule le « problème taïwanais », qu’elle estime être une question de politique intérieure.

Ces mots durs de Dong se sont heurtés à ceux de Ferdinand « Bongbong » Romualdez Marcos Jr. en discours d’ouverture – la première prise de parole d’un président philippin à Shangri-La. Sans nommer de pays en particulier, mais alors que la Chine et les Philippines sont en conflit au sujet des récifs qui se trouvent dans la zone économique exclusive (ZEE) des Philippines, Marcos a condamné « les actions autoritaires qui visent à propager des revendications excessives et sans fondement par la force, l’intimidation et la tromperie ».

En adoptant un ton lyrique, le président philippin a souligné que « les eaux vivifiantes de la mer des Philippines occidentales coulent dans le sang de chaque Philippin, nous ne pouvons permettre à quiconque de les détacher de la totalité du domaine maritime qui fait l’unité de notre nation ». Plus encore, lorsqu’un membre de l’auditoire lui a demandé si une « ligne rouge » serait franchie si les garde-côtes chinois tuaient un Philippin, le président a répondu : « Si un citoyen philippin est tué par un acte délibéré, cela se rapprocherait d’un acte de guerre et nous réagirons donc en conséquence. Et nos partenaires du traité [les Etats-Unis], je crois, ont également la même attitude ».

Au lieu de chercher l’apaisement avec Manille, et alors même que les agissements chinois en mer de Chine du Sud inquiètent tous les riverains, l’amiral Dong Jun a affirmé que les Philippines se livraient à des « provocations préméditées » pour empiéter sur le territoire chinois en mer de Chine méridionale, ajoutant qu’il y avait des « limites » à la « retenue » dont la Chine a fait preuve envers les navires philippins lors des récentes confrontations.

Mais le plus préoccupant, et le moins relevé par les commentateurs, reste le fait que Dong a déclaré que les Etats-Unis cherchaient à établir une Alliance Atlantique (OTAN) du Pacifique. Pourquoi le plus préoccupant ? Parce que la Chine soutient le narratif russe affirmant que l’agression de l’Ukraine est une réponse à une provocation de l’élargissement de l’OTAN. Autrement dit, en définissant les alliances entre les Etats-Unis, les Philippines, le Japon et la Corée du Sud comme une tentative « d’otaniser » la région, la Chine pourrait chercher à se justifier par avance d’envahir Taïwan ou de provoquer plus encore les Philippines.

Par Jean-Yves Heurtebise

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