Hong Kong : Un mois de septembre déterminant

Manifestations massives, blocage à l’aéroport, affrontements avec la police… la situation s’enlise à Hong Kong. Trois mois après le début du conflit, Pékin n’a toujours pas repris la main sur son île « rebelle », et ni les protestants, ni les autorités ne semblent disposés à faire des compromis.

Ce mouvement protestataire est mieux organisé qu’en 2014 lors de la « révolution des Parapluies » : pas de leader désigné, des sit-in qui ne se font plus toujours au même endroit, des manifestations qui ont surtout lieu le week-end et dans différents districts, et des actions qui prennent différentes formes (chaîne humaine, murs de post-its…). Il frappe aussi de par la diversité de ses partisans : professeurs, comptables, banquiers, pilotes de ligne, et étudiants bien sûr… Ces derniers n’ont pourtant pas connu l’ancienne puissance coloniale britannique et ont grandi sous le leadership de Donald Tsang, CY Leung et Carrie Lam. Il y a encore cinq ans, une telle mobilisation était inimaginable. Mais à mesure qu’approche 2047, date à laquelle le principe « un pays, deux systèmes » expirera, ces jeunes voient croître et mûrir leur conscience politique et citoyenne. Ils ne veulent donc pas attendre d’avoir 50 ans ou compter sur leurs enfants pour se battre contre la lente érosion de leurs libertés.

Adieu l’idéalisme naïf de 2014. En s’adressant au gouvernement de la Région Administrative Spéciale (SAR), un manifestant déclarait : « Vous êtes ceux qui m’ont appris que les manifestations statiques étaient inutiles », une allusion aux six membres d’Occupy Central ayant remporté un siège au Parlement local (le « Legco ») en 2016, qui furent finalement disqualifiés par Pékin. La crise couvait depuis lors, n’attendant qu’une étincelle pour s’embraser : le projet de loi d’extradition.

L’ampleur de la contestation de ces dernières semaines a pris de court le monde entier, et surtout Pékin qui n’a pas su l’anticiper. Or le régime est notoirement plus à l’aise dans la planification que dans la gestion de conflits inopinés.

Alors qu’en juin, rien ne filtrait sur le continent à propos des manifestations hongkongaises, la mise à sac du Legco fut le point de bascule. La propagande s’empara alors du sujet pour attiser la flamme patriote de ses concitoyens. Afin de partager avec le monde sa version des faits, elle s’activait aussi sur les réseaux sociaux censurés en Chine comme Facebook, Twitter ou YouTube. Ces derniers suspendirent alors plus de 200.000 comptes, accusés de campagnes de désinformation soutenues par le gouvernement chinois. Pékin s’indigna que soit ainsi restreinte la « libre expression » de ses 1,4 milliard de citoyens.

A Pékin, le Bureau central des Affaires de Hong Kong finit par sortir de son mutisme le 29 juillet et donna une conférence de presse – une première depuis la rétrocession en 1997 – qui affirma son soutien à la police hongkongaise, « dernier rempart avant que l’île ne tombe dans l’anarchie ». Le message implicite était le suivant : « gérez la situation vous-même, sinon on le fera pour vous. »

Se refusant donc pour l’instant à intervenir par la force, Pékin préfèrerait recourir à des moyens indirects : organiser des manifestations pro-Pékin, forcer les entreprises hongkongaises à interdire à leurs employés de participer aux marches, et renforcer l’arsenal policier. Les agressions et les arrestations le 29 août de cinq activistes pro-démocratie (dont Joshua Wong, le leader d’« Occupy Central ») vont également dans ce sens.

Après avoir rencontré à huis clos une vingtaine d’étudiants triés sur le volet par le Bureau de Liaison, Carrie Lam prenait à nouveau la parole le 27 août, mais rejetait toujours catégoriquement les cinq revendications des manifestants : le retrait définitif du projet de loi d’extradition (malgré sa suspension, il reste valide jusqu’à la fin de l’exercice législatif en juillet 2020) ; une commission d’enquête indépendante sur les brutalités policières ; l’abandon des poursuites à l’encontre des manifestants arrêtés ; sa démission ; et davantage de démocratie pour Hong Kong (suffrage universel direct). Certaines de ces concessions attendues seraient pourtant objectivement profitables au régime : enterrer cette loi dès le début de la crise lui aurait évité bien des soucis. Une enquête sur les violences policières serait également un bon compromis pour apaiser les esprits, mais la cheffe de l’Exécutif s’y refuse, ne pouvant frapper ses meilleurs alliés…  Limoger Carrie Lam n’est pas non plus envisageable pour Pékin : le Parti ne fait jamais de concession qui puisse remettre en question son autorité. De plus, cela créerait des divisions au sein du camp pro-Pékin et alimenterait le désordre ambiant. Surtout, si le pouvoir central décidait de céder sur l’une de ces demandes, que faire si les manifestations continuaient ? Impossible de prendre ce risque…

Mme Lam ajoutait qu’elle « ne répondrait pas à la violence par la violence ». Cependant, elle n’excluait pas d’invoquer l’ordonnance sur les règlements d’urgence, une disposition qui lui accorderait de larges pouvoirs comme accentuer la répression en modifiant des lois, autoriser de nouvelles arrestations, ou censurer les médias. Même si certains affirment que, pour ce faire, Carrie Lam aurait besoin du feu vert des députés du Legco, c’est une nouvelle étape, et pas la moins périlleuse. Est-elle à interpréter comme le signe que Pékin perd patience ?

Depuis plusieurs semaines, Pékin laisse planer la menace d’une intervention de l’armée chinoise, à la demande du gouvernement de la SAR, comme prévue par l’article 14 de la Basic Law hongkongaise. En guise d’avertissement, circulaient sur internet photos et vidéos de la 22ème rotation annuelle de la garnison de l’APL postée à Hong Kong et des troupes de la Police Armée du Peuple (PAP) à Shenzhen. L’objectif est clairement d’intimider les manifestants mais il pourrait avoir l’effet inverse en favorisant les tendances les plus radicales à Hong Kong.

A ce stade, il parait donc improbable que Carrie Lam puisse régler la situation avant le 70ème anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine le 1er octobre. Or, aucun doute que les manifestants voudront exploiter cette tribune, tout comme celle du 5ème anniversaire du mouvement des Parapluies le 28 septembre, pour défendre leur cause. Autre sommet qui tombe mal : celui de l’initiative « Belt & Road » (BRI), qui doit accueillir 5000 participants étrangers le 11 et 12 septembre à Hong Kong.

Pékin a le choix entre trois scénarios : le premier consiste à mener une guerre d’attrition, comptant sur la lassitude des manifestants, frappés par le ralentissement économique qui plane déjà sur Hong Kong après trois mois d’agitation. Une option peu plausible au regard des 1,7 million qui défilaient encore le 18 août. Le second serait de restaurer coûte que coûte l’ordre avant le 1er octobre, y compris par une intervention militaire. Même si la Chine se refuse à le faire pour ne pas tuer « la poule aux œufs d’or » et ternir son image internationale, c’est une option qui ne peut être écartée de façon certaine. Enfin, elle choisira plus probablement que passe cette période brûlante pour prendre des décisions plus fermes, si besoin.

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