Diplomatie : La surenchère estivale

La trêve à la guerre commerciale entre Chine et Etats-Unis, conclue fin juin au G20 d’Osaka, n’aura pas fait long feu.

Alors que les rencontres se déroulaient habituellement entre Pékin et Washington, le 12ème round de négociations eut lieu à Shanghai le 31 juillet. Malgré des échanges qualifiés de « constructifs » par la Maison-Blanche, Donald Trump décida de pousser un cran plus loin sa stratégie de « pression maximale » sur la Chine. Dans un « tweet » le 1er août, le Président annonça l’application au 1er septembre d’une « petite » taxe de 10% sur 300 milliards de produits chinois, encore non touchés par les précédentes vagues de rétorsion. Elle devrait frapper principalement des produits de consommation de masse, comme les téléphones portables, ordinateurs, consoles de jeux, vêtements et chaussures…

Du tac-au-tac, la Chine promit de ne pas se laisser faire.

Et de fait, dès le 5 août, la Banque Centrale chinoise laissait sa monnaie franchir le seuil symbolique des 7 yuans pour 1 dollar – une première depuis la crise de 2008. L’institution avait déjà prévenu qu’elle ne se battrait pas pour maintenir le yuan au-dessus de ce niveau si les tensions s’intensifiaient avec les USA. En effet, cette baisse du yuan permet de réduire l’impact des taxes douanières américaines. Sans tarder, le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, accusait Pékin de « manipuler sa monnaie ». Depuis, la monnaie chinoise a continué de se déprécier (7,15 CNY pour 1 USD).

Pékin suspendait également toute nouvelle commande de produits agricoles venus des USA. Également sur les rangs depuis quelques mois, 300 firmes chinoises productrices de terres rares se déclaraient « prêtes à passer à l’offensive ».

Moins par état d’âme que pour éviter à ses électeurs un Noël chiche en cadeaux, Trump finissait le 13 août par reporter au 15 décembre les 10% de taxes sur 300 milliards de $ d’imports chinois. Dans la foulée, le Département du Commerce US accordait à Huawei 90 jours de répit sous forme d’une licence temporaire d’achats de fournitures made in USA.

Restant fidèle à la loi du Tallion, Pékin réagissait le 23 août par une taxe compensatoire en deux temps (selon un échéancier calqué sur celui des taxes américaines) sur les 75 milliards de $ de produits américains encore exemptés. C’est sa dernière cartouche douanière, la Chine ayant déjà taxé toutes les autres importations venues des Etats-Unis (soit 185 milliards de $).

Ulcéré, Trump se défoula sur Twitter : les 10% de taxes passeraient à 15%, et les 25% de tarifs existants sur 250 milliards de $ de produits chinois se transformeraient en 30% au 1er octobre. Un tel échange de rétorsions causa un coup de noroît sur les bourses mondiales. Interrogé à ce sujet, Trump émit un regret inattendu : ne pas avoir augmenté les taxes davantage ! Sanguin, il taxa même Xi Jinping « d’ennemi » (hier encore son « grand ami ») et appela les compagnies américaines à quitter la Chine au plus vite. Oublieux du fait que pour l’instant, celles des firmes US désertant la Chine, le font pour l’Asie du Sud-Est et rarement pour un retour à la mère patrie… 

Puis les choses s’apaisèrent : Trump virevolta, qualifiant Xi de « grand dirigeant » et louant le vice-Premier ministre Liu He pour son appel à résoudre leurs différends « dans le calme ».

Le locataire de la Maison-Blanche souffle ainsi le chaud et le froid. Sa campagne électorale étant déjà engagée, il peut en espérer le renforcement de son image de l’homme « America first ». Le charme n’opère pas auprès de 150 associations industrielles américaines qui l’exhortent à revoir ses sanctions, estimant qu’elles arrivent « arrivent au pire moment ». En effet, certains instituts escomptent une hausse de 1000 $ par an pour chaque ménagère américaine. Ce qui pose implicitement la question de la durabilité de la stratégie guerrière de Trump. 

La situation n’est guère plus florissante dans l’autre camp : la banque d’investissement chinoise CICC imputait au conflit commercial la perte de 1,9 million d’emplois industriels en Chine.

Ces signaux contradictoires de Trump exaspèrent à Zhongnanhai, et entament fortement sa crédibilité auprès des négociateurs chinois, qui perdent patience. Ils ne veulent pas se risquer à suggérer à Xi Jinping de signer un accord que le fantasque Président pourrait rompre par la suite, sur un coup de tête. Ils sont d’ailleurs de moins en moins nombreux à croire en la possibilité d’un deal avant les élections américaines de 2020. Pékin se prépare donc à l’éventualité d’un scenario « sans accord », qui consiste à « blacklister » les entreprises américaines, stimuler son économie et poursuivre le divorce économique, industriel et technologique avec les USA.

Mais en  Chine aussi, on pratique l’art de la volte-face et du coup de théâtre : le 29 août, le ministère du Commerce chinois affirmait que la Chine ne répliquerait pour l’instant pas aux dernières taxes de Trump. Tout se passe comme si l’Etat-major chinois, ayant obtenu de la face suite à la reculade du Président américain, pouvait à son tour lâcher du lest. Surtout, il n’a pas plus que Trump les moyens d’une politique « oeil pour oeil ». Paraître conciliant avec les Etats-Unis est une prise de position risquée pour Xi Jinping face à son opposition interne, les « faucons » du Parti. Le Président chinois doit effectuer un véritable exercice d’équilibriste, dans lequel il doit mater les broncas de ses adversaires à chaque foucade de Trump, tout en s’efforçant d’arracher à cette lutte délétère avec le Nouveau Monde. Au moins, ce tournant positif ravive les chances de succès lors de la prochaine ronde de palabres à Washington mi-octobre. Et alors qu’auparavant une trêve était nécessaire pour que la négociation ait lieu, les deux parties semblent s’être accommodées à l’idée de dialoguer et se battre, en même temps.

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