Petit Peuple : Shanghai – Lai Zhaoqian, faiseuse d’empereur (1ère partie)

En 1995, sans faire de bruit, Lai Zhaoqian démissionna de son poste de coordinatrice à la mairie de Shanghai. C’était pourtant un emploi que la ville entière lui jalousait, avec bon salaire, logement de fonction, chauffeur, et une position sociale exceptionnelle. Chaque jour un nombre de visiteurs venaient lui offrir des projets en tous domaines, de la musique à l’université, de la médecine à la transformation alimentaire, des satellites de télécoms à l’entraînement de football … Cela lui faisait connaître bien du monde, dans la plus haute société.

Quelques années plus tôt, Lai s’était battue pour atteindre cette position qui faisait d’elle, à 32 ans, un modèle de réussite sociale. Montée à Shanghai de son Shandong natal à la suite d’excellents résultats à son gaokao, elle avait fait ses études supérieures en économie à l’université de Jiaotong, qui avait été son premier vivier à amants, choisis en fonction de leur capacité à lui trouver ses premiers emplois et lui assurer ses premières promotions. L’un d’eux, membre du Parti, lui avait fait un enfant, à 24 ans. Elle s’en était laissée épouser puis, après la naissance de la fillette, l’avait quitté – possédant déjà un appartement et les moyens financiers de s’offrir les services d’une Ayi pour s’occuper du nourrisson.

Dès cette époque, elle commença à collectionner des objets d’arts qu’elle se faisait offrir par ses conquêtes. Personnalité chatoyante et forte, elle était aussi fervente pratiquante du bouddhisme : chaque semaine, elle faisait ses dévotions dans l’un des temples de la ville, pour y sacrifier un boisseau d’encens devant Bouddha ou Guanyin. Ce n’était pas désintéressé – elle leur faisait chaque fois une demande précise, celle de l’aider à atteindre le haut de l’échelle sociale.

Dotée d’une inextinguible ambition, Lai savait aussi que cette société machiste ne laisserait jamais une femme la diriger. Il ne lui restait donc qu’à espérer rencontrer un homme du sérail, grand opportuniste mais avec l’échine assez souple, auquel elle puisse s’associer : elle le formerait, le dirigerait et le porterait – si les Dieux étaient favorables – jusqu’au faîte de l’appareil. Cet énorme pari n’était bien sûr pas gagné d’avance, mais Lai avait pour elle de connaître parfaitement les codes et les hommes du système. Elle faisait confiance en son bon sens féminin et en sa capacité de séduction pour déjouer toutes les embûches et lui faire gravir toutes les marches du cursus. Et une fois son homme au sommet, Lai se savait capable de le garder sous sa coupe.

Le problème se résumait donc à trouver le bon candidat. C’est pourquoi dès 1995, à peine trentenaire, elle abandonnait sa planque rêvée pour se mettre à son compte. Sous des apparences souriantes et à la pointe de la mode, Lai cachait soigneusement son « cœur sauvage de louve » (lángzǐ yěxīn, 狼子野心) et ses ambitions illimitées.

Elle devint d’abord concessionnaire d’un grand groupe d’équipements électroniques. C’était le bon moment, alors que l’internet prenait son envol, soutenu en Chine par un gouvernement clairvoyant. La demande était inépuisable, et son carnet d’adresses lui ouvrait les portes des administrations et consortia. Toutefois ce succès commercial ne l’avançait pas dans la quête de son homme rêvé.

En 1998, elle changea d’industrie, quittant l’électronique pour l’agroalimentaire. Contractant en banlieue de Shanghai 15 hectares de terres, elle investit dans une plantation de carottes japonaises destinées au pressage en jus vitaminé, vendu en mini-briques à la jeunesse branchée. Un an plus tard, en 1999, elle se réinstalla dans un district voisin. La raison à ce nouveau départ était majeure : elle venait d’identifier « son » homme cible.

A 34 ans, Huang Taiyang, venait d’y être promu Secrétaire du Parti. C’était son premier poste dans cette fonction et il était le plus jeune cadre de ce rang dans tout le pays. C’était donc lui, celui qu’elle cherchait depuis si longtemps. Huang était un notoire coureur de jupons. Tel détail, en un sens, lui facilitait la tâche, car il lui était ainsi plus facile de l’attirer dans ses filets. Forte de son expérience, Lai avait su y faire dès leur première rencontre en ressortant tous ses trucs accumulés au fil de sa carrière amoureuse, le temps de forger avec lui une relation, sinon exclusive, du moins privilégiée. Tous leurs amis, par la suite, en témoigneraient, « la relation s’était approfondie en un temps record ».

Rapidement, dans l’exultation éblouie, il lui jurait fidélité éternelle – et peu importe s’il était déjà marié (à une universitaire pékinoise de bonne famille), et (comme tous les hauts cadres) interdit de divorce, pour sauvegarder l’image du régime. Lai le lui assurait, jamais elle n’objecterait à ce qu’il sorte avec quiconque lui plairait, pourvu qu’il ne remette pas en cause son rôle central, ni leur projet commun – elle-même d’ailleurs, ne se priverait pas davantage de cette liberté.

A tout hasard cependant, Lai lui avait fait rédiger et signer à l’encre rouge une lettre d’amour sirupeuse et échevelée, tamponnée de son timbre de Secrétaire du Parti. C’était sa garantie à elle : face à toute velléité de séparation, elle le menacerait de publier la preuve de sa frasque, et de son parjure avec pour conséquence inévitable la perte de son poste, la radiation des effectifs du PCC, et la fin de sa carrière et de ses privilèges. Tandis qu’en lui demeurant fidèle, il continuerait à s’enrichir et à monter en grade, avec l’industrieux génie et soutien de son amante qui partagerait dans l’ombre sa fortune… Ainsi tous deux étaient parés pour la grande aventure ! 

Que vont devenir les deux amants ambitieux ?  Suite de l’histoire la semaine prochaine !

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