Petit Peuple : Les montagnes célestes comme sépulture

Les montagnes célestes comme sépulture

Les médias n’ont parlé que de ça, « l’exploit » : gravir les cinq montagnes sacrées de Chine en cinq jours, « pari relevé pour Zhang Haifeng, un homme d’une trentaine d’années originaire de la ville de Chengdu ». Zhang s’amuse en découvrant le buzz soulevé par son idée. Un ami a dû faire fuiter l’information car lui n’a rien dit. Tout y est : le mois de préparations, son goût des randonnées sportives, son excellente condition physique, le coût total du voyage (4 000 yuans), l’itinéraire emprunté, les trains pris… Qu’ils causent donc, tout y est sauf le principal.

Oui, il est parti le 28 avril de Chengdu en avion pour Changsha, puis en train jusqu’à Hengshan, à l’assaut de la première montagne sacrée, le mont Heng du Sud, dans la province du Hunan et son sommet, le pic Zhurong à 1 300 mètres. Il n’a pas eu le temps de s’arrêter au temple du Mont Heng, le plus grand du sud de la Chine, construit au pied de la montagne.

Vite, il a sauté dans un train retour pour Changsha puis un train de nuit pour Zhengzhou dans le Henan. Au petit matin, le voici à l’assaut des 5 654 marches à flanc de montagne du mont Song, la montagne du Centre, qui symbolise la terre parmi les cinq éléments du taoïsme. Brume matinale, personne sur le chemin, paysage à couper le souffle, 1 491 mètres avalés dans le silence, un luxe pour Zhang le citadin. Pas de visite du temple Shaolin non plus, chaque minute compte.

Le voici à nouveau dans un train à grande vitesse pour Tai’an dans le Shandong, vers le mont Tai (cf. photo), la plus importante des montagnes sacrées du taoïsme en Chine. Pas question de prendre un minibus ou les télésièges, ni un cheval ou une chaise à porteur comme les empereurs venus ici quelques siècles plus tôt prier le ciel et la terre, c’est à pied que Zhang monte vers le sommet, passant par les trois portes célestes puis par les 6 660 marches finales. Au sommet, à 1 545 mètres, perdu au milieu des nuages, Zhang contemple l’un des plus beaux panoramas de Chine, sombres forêts de pin sur des falaises rocheuses gigantesques. Mais là encore, le temps presse, l’œil rivé sur sa montre comme Phileas Fogg dans un autre temps, Zhang ne s’attarde pas, il sera à Pékin le soir même puis dans un train couchette en route vers Datong dans le Shanxi.

Au matin, l’incroyable mont Heng du Nord lui offre ses 108 pics et Zhang choisit le Pic du Sommet céleste bien sûr, le plus haut, qui culmine à 2 017 mètres d’altitude. Personne le long des sentiers accidentés, Zhang passe des temples, des rochers aux formes étranges et des grottes, puis arrive au sommet, les jambes un peu raides et un genou douloureux.

Il faut tout redescendre, reprendre des forces avant de partir à l’assaut du mont Hua dans le Shaanxi, la grande montagne de l’Ouest avec ses chemins de planches branlantes au-dessus du vide et ses échelles à flanc de falaise. Montée ardue avec des chemins où la paroi s’escalade presque, d’où son appellation de sentier de randonnée le plus dangereux du monde. Avec ses sommets inaccessibles, le mont Hua est devenu le lieu de retraite des ermites, venus là pour mourir tranquille. Zhang souhaitait finir par cette ascension de 2 154 mètres.

Tout en haut, avec le souvenir de tous ces moines qui risquaient leur vie pour grimper ici en pèlerinage et ainsi prétendre à l’immortalité, Zhang, pour la 5e et dernière fois en 5 jours, a sorti une petite boîte de son sac à dos et, les yeux humides, a ouvert le couvercle, laissé la poudre grise qui y restait s’éparpiller dans le ciel.

Son père, comme les empereurs, comme les moines, avait droit lui aussi à l’immortalité. Il avait trimé toute sa vie, s’était occupé d’un frère handicapé, aimait la randonnée et la nature, et caressait le rêve, depuis des années, de gravir les cinq monts sacrés, ces lieux proches du Ciel, demeure des dieux. Un AVC ne lui en a pas laissé le temps. Quand, saturés par l’épidémie de Covid, les cimetières de Chengdu ont refusé la demande d’inhumation et proposé l’incinération, Zhang a su tout de suite ce qu’il fallait faire.

Au bout de ces cinq jours, usé par le voyage et couvert de poussière (风尘仆仆, fēng chénpúpú), il s’est incliné devant sa mère, sa mission accomplie. L’urne funéraire remise après la crémation contient un peu des cendres de son père. Suffisamment, sa mère y tenait, pour pouvoir l’honorer chaque année à Chengdu. Mais le reste, dispersé au-dessus des cinq monts sacrés, fait de son père, comme les sages et les mystiques qui s’y abritaient, un « immortel ».

Par Marie-Astrid Prache

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