Editorial : Branle-bas de combat à Pékin

Dans la capitale chinoise, les habitants avaient repris goût à la vie normale, repris le chemin du bureau, de l’école, des restaurants et centres commerciaux, s’octroyant même des sorties près de la Grande Muraille le temps d’un week-end. Organisée la dernière semaine de mai, la session du Parlement avait pris fin sans avoir été émaillée par un seul cas de Covid-19. Soulagée, la municipalité abaissait son niveau d’alerte le 5 juin.

Pourtant, une semaine plus tard, un nouveau cas de Covid-19 détecté dans le district de Xicheng venait troubler cette insouciance retrouvée et mettre un terme à une série de 55 jours sans nouvelle infection en ville. Le malade n’ayant pas quitté Pékin les deux dernières semaines, il était rapidement soupçonné d’avoir menti sur son historique de voyage. 48h plus tard, plusieurs autres cas étaient identifiés dans le district de Fengtai. Rapidement, les enquêteurs remontèrent la piste jusqu’au marché de Xinfadi, le plus grand marché de gros de la ville.

Sans perdre une minute, les autorités lancèrent une campagne de dépistage massif (46 000 tests) des commerçants, des clients, et des voisins du marché. Et les premiers résultats confirmèrent leurs soupçons : sur les 517 tests réalisés le 13 juin, 45 cas asymptomatiques étaient détectés. Le lendemain, 36 cas supplémentaires étaient identifiés. Les responsables du district de Fengtai, aux 2 millions d’habitants, annoncèrent aussitôt la mise en place d’un « mécanisme de guerre » pour affronter cette nouvelle vague de contaminations. Ainsi, 11 quartiers résidentiels repassèrent en confinement strict. Trois écoles primaires et six jardins d’enfants étaient fermés, tandis que la rentrée scolaire des petites classes, prévue pour le 15 juin, était repoussée. Toute personne ayant été en contact avec le marché de Xinfadi depuis le 30 mai était priée de se signaler à son comité de quartier.

Chaque jour au marché de Xinfadi, 1 500 tonnes de poissons et fruits de mer, 18 000 tonnes de légumes et 20 000 tonnes de fruits sont vendues. Ce « Rungis » chinois fournit 90% des fruits et légumes de la ville, la majeure partie des restaurateurs venant s’y approvisionner. Sur les 5624 échantillons (aliments, produits de nettoyage, poignées de porte…) prélevés sur les lieux, le virus était détecté dans 40 d’entre eux dont des planches servant à découper du saumon, souvent importé de Norvège (8 628 cas recensés) et des îles Féroé (187 cas). Selon les scientifiques du CDC, la souche du virus serait différente de celle de Wuhan et serait semblable à celle retrouvée en Europe (aussi retrouvée dans les récents clusters du Nord de la Chine, réintroduit via la Russie). Alors le Covid-19 retrouvé au marché de Xinfadi aurait-il été réimporté par l’emballage d’un saumon congelé manipulé par un préparateur de commande européen infecté ? Quoiqu’originale, c’est la thèse qui se dessine, dédouanant ainsi les autorités locales de toute accusation de laxisme dans la lutte épidémique et collant à la ligne officielle voulant que le virus vienne de l’étranger. L’autre explication consistant en une transmission locale par une personne ayant visité le marché, probablement asymptomatique, a moins la cote…

Immédiatement, le poisson à la chair rose était traqué dans toute la ville. Il disparaissait des étals des supermarchés et des menus des restaurants. Dans la foulée, les autorités ordonnèrent des inspections sanitaires à travers la ville entière. Cinq autres marchés fermèrent leurs portes après qu’un vendeur du district de Haidan teste positif au Covid-19. Tous les événements sportifs étaient suspendus et les voyages interprovinciaux provisoirement interdits, les personnes en provenance de Pékin se voyant refuser l’entrée. De plus, quelques nouveaux cas asymptomatiques, en lien avec le foyer d’infection pékinois, étaient identifiés dans la province du Liaoning, du Hebei, et dans le Sichuan, laissant craindre de nouveaux « clusters » aux quatre coins du pays.

Comparé au dernier foyer d’infection recensé dans la capitale en avril dernier (un étudiant revenu des États-Unis qui avait contaminé trois membres de sa famille après ses deux semaines d’isolement), l’ampleur de ce « cluster » est beaucoup plus large, impliquant un marché très fréquenté. Un scénario qui n’est pas sans rappeler celui du marché de Huanan à Wuhan. Là encore, le marché n’était qu’une « victime du Covid-19 », seuls les échantillons environnementaux et non d’origine animale testant positif au virus… En tout cas, ce nouvel épisode fait craindre aux 20 millions d’habitants de la capitale le retour de mesures plus drastiques voire un reconfinement imminent. « Courage, Pékin » (北京,加油), pouvait-on lire sur les réseaux sociaux…

Toutefois, le Dr Zhang Wenhong, expert de la lutte contre le Covid-19 basé à Shanghai, appele la population à garder la tête froide, dédramatisant la situation  : « la résurgence de nouveaux cas n’est pas surprenante. Le virus n’est pas prêt de disparaitre complètement, il faudra donc s’habituer à ce « nouveau normal » sans interrompre l’activité économique, ni baisser sa garde afin de contenir rapidement tout nouvelle vague d’infections ».

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