Santé : La médecine traditionnelle chinoise au-dessus de tout soupçon ?

« Croyez-vous aux vertus de la médecine traditionnelle chinoise (MTC) » ? En Chine, la réponse sera probablement positive, avec plus ou moins de conviction selon l’interlocuteur. Cependant, pour les personnes doutant de son efficacité, la situation pourrait bientôt devenir plus délicate.

Selon une nouvelle réglementation soumise au public jusqu’au 28 juin par la Commission de Santé de la ville de Pékin et l’administration municipale de la MTC, « quiconque diffamera la MTC pourra être poursuivi pénalement pour avoir troublé l’ordre public ». Cette formulation vague est habituellement utilisée par les autorités pour sanctionner les auteurs de commentaires « déviants » sur la toile. Ce texte est donc susceptible d’envoyer devant la justice toute personne insinuant que l’actuelle pandémie a été provoquée par le trafic d’animaux sauvages utilisés en MTC, condamnant la MTC pour cruauté envers des espèces en voie de disparition, ou encore soulignant que l’efficacité de la MTC contre le Covid-19 n’a été démontrée par aucune étude scientifique sérieuse…

Cette annonce a fait bondir les internautes : « comment un département chargé de la supervision de la MTC a le droit de restreindre ma liberté d’expression sur internet ? » , s’indignait l’un d’entre eux. « Je suis convaincu par la MTC, mais cette règle va trop loin. Ce sont les faux remèdes et des praticiens incompétents qui entachent sa réputation, pas les calomnies », analysait un autre. « Est-ce ainsi que l’on renforce la « fierté culturelle » (prônée par le Président Xi Jinping) ? », interrogeait un utilisateur de Weibo. « En matière scientifique, la diffamation n’existe pas. Si les autorités reconnaissent la MTC comme une science, alors ils doivent accepter les critiques. Si on ne peut plus librement discuter de la MTC, alors elle ne sera rien de plus qu’une affaire de superstition ou de culte », commentait un blogueur influent.

Déjà début 2018, le Dr Tan Qindong, 39 ans, avait payé au prix fort le fait d’avoir qualifié sur internet le tonique « Hongmao » de « poison ». A base de 66 plantes et d’os de léopard, il est censé soulager les rhumatismes et traiter la maladie d’Alzheimer. La composition de cette décoction, datant de 1739, étant « protégée », le fabricant n’est donc pas tenu de publier les résultats de ses essais cliniques. Après avoir été arrêté chez lui à Canton par des policiers en civil, le Dr Tan fut détenu plus de 100 jours en Mongolie Intérieure pour avoir « propagé de fausses rumeurs ayant sérieusement porté atteinte à la réputation du groupe ». L’affaire ayant attiré l’attention des médias, il fut finalement relâché. Toutefois, cette affaire sonnait comme un avertissement à tous les scientifiques osant remettre en question les vertus des remèdes issus de la MTC.

Plus récemment, fin avril dernier, Yu Xiangdong, chef de service de l’hôpital central de Wuhan (où travaillait le « lanceur d’alerte » Li Wenliang), était relevé de ses fonctions après avoir publié des commentaires ironiques à propos de la MTC sur son compte Weibo.

En effet, ces critiques font désordre alors que le gouvernement chinois veut démontrer que cette médecine antique a été d’une grande aide durant l’épidémie. Différentes formulations à base de plantes pour atténuer les symptômes de la maladie, comme la fièvre ou les difficultés respiratoires, étaient d’ailleurs incluses dès le 18 février dans la liste des traitements recommandés contre le Covid-19, tandis qu’au sein du panel d’experts chargés de la lutte contre le coronavirus, plusieurs spécialistes en MTC siégeaient aux côtés de virologistes et pneumologues de renom.

Extrêmement populaire en Chine, l’industrie de la MTC devrait peser 420 milliards de $ d’ici fin 2020, selon un document blanc publié en 2016. Mais la pandémie a représenté une occasion de la mettre en avant sur la scène internationale. Cela fait déjà plusieurs années que le gouvernement chinois et son Président font la promotion de « ce trésor de la civilisation chinoise ». Son dernier succès en date, la Chine le doit à l’ancienne directrice de l’OMS, Margaret Chan qui avait obtenu l’ajout en 2018 d’un chapitre sur la MTC dans la classification internationale des maladies (CIM). Une décision qui poussa plusieurs médecins européens à réclamer une meilleure supervision de la MTC. De fait, cette médecine ancestrale manque d’essais cliniques sérieux pour prouver son efficacité. « Il est logique que des études cliniques manquent à cette médecine puisqu’elle agit préventivement et de manière personnalisée en rééquilibrant les énergies corporelles », répondent ses partisans.

Finalement, au lieu de protéger davantage les consommateurs face aux abus de certaines firmes peu scrupuleuses ou contre les effets secondaires de ces remèdes populaires, la nouvelle réglementation proposée par Pékin interdit à la population de mettre en doute la valeur de la MTC. En traitant la MTC comme une affaire purement politique (représentant donc une menace potentielle si mal contrôlée), elle démontre bien le manque d’assurance et le malaise du gouvernement à son sujet, préférant remplacer l’aspect scientifique par des directives, des dogmes, et des sanctions. Ainsi, alors que ce texte vise en premier lieu à standardiser l’usage de la MTC, il pourrait avoir l’effet inverse : en dissuadant la population d’exprimer ses doutes, il ne ferait que renforcer la suspicion existante. Certes, cette réglementation est encore au stade de projet et applicable uniquement à l’échelle municipale. Cependant, cette initiative est un indicateur de la manière dont la médecine traditionnelle chinoise est perçue en haut lieu. Ainsi sacralisée, elle devrait rejoindre la liste toujours plus longue de sujets considérés comme « sensibles » pour le régime. Mais à force de voir ses libertés d’expression restreintes et de subir des injections régulières de nationalisme, le risque de réaction épidermique de la population n’est pas à exclure.

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