Santé : Quanjian, malade sans remède

Semelles orthopédiques pour cardiaques, serviettes iodées anti-cancer de la prostate… L’inventaire des produits de Quanjian (权健), le groupe géant de Tianjin, est long comme le bras. Jusqu’à hier, ils se vendaient comme des petits pains, lui valant 2,6 milliards de $ de revenu en 2018. Fondé en 2004, le conglomérat avait su attirer 7000 salons franchisés à travers le pays, tout en rachetant toutes sortes d’actifs – hôtels, écoles, centres hippiques, même le club de foot de la ville, rebaptisé Tianjin Quanjian. Reconnu en Chine comme l’inventeur d’une certaine thérapie par le feu (火疗), son PDG-fondateur Shu Yuhui, était au firmament, membre depuis 12 mois, de la CCPPC, l’organe consultatif national.

Tout cela, c’était avant que ne soit révélé le 25 décembre 2018 le cas de Zhou Yang, fillette de 4 ans. Diagnostiquée en 2012 d’une forme rare de cancer, elle avait subi quatre opérations en six mois, 23 séances de chimiothérapie – ce qui avait stabilisé son état. En 2012, Quanjian présenta alors à ses parents paysans un traitement à base de poudre de jujube et d’huile de racine de grémil. Un remède miracle, à condition d’abandonner le traitement prescrit par l’équipe soignante – ils acceptèrent. Très rapidement, Quanjian lança une publicité pour son produit, à l’effigie de la petite malade (cf photo).

Au bout de quatre mois cependant,  Zhou Yang rechuta et dut retourner à l’hôpital début 2013. Le père, dès lors, porta plainte contre Quanjian et coupa tous les liens. Mais ce fut pour constater avec stupéfaction que le groupe poursuivait sa campagne publicitaire à l’image de sa fille, même après son décès en décembre 2015…  Face à Quanjian, groupe capable de s’offrir les meilleurs avocats, le père était débouté par la justice en avril 2015, par « manque de preuves »…

Révélé à présent par le forum médical en ligne DXY.com Docteur girofle », plante de la pharmacopée chinoise), ce scandale déclencha des milliers de réactions indignées, et inspira d’autres dénonciations contre Quanjian.

L’un de ses procédés consistait à recruter des vendeurs à travers la Chine entière, attirés par les profits promis et les primes pour recrutement de tout autre revendeur, moyennant paiement d’un droit d’entrée « pour formation ». Un journal évoquait un cas de thérapie par le feu ayant causé la mort du patient. Lors du procès cependant, Quanjian fut épargné : il n’avait fait que vendre la licence, et c’est le « soignant » qui avait été condamné…

Alertée par le cas de Zhou Yang, la justice de Tianjin, inculpa le groupe pour publicité mensongère et vente pyramidale, une pratique prohibée par la loi du pays. Le 7 janvier 2019, Shu Yuhui et 17 de ses employés furent arrêtés. Pour protéger sa réputation, le club de foot obtint en catastrophe de changer de nom pour celui de Tianjian Tianhai. Le logo du groupe fut retiré des TGV Pékin-Shanghai, et le Bouddha doré ornant le parvis du luxueux hôtel Quanjian de Tianjin fut démantelé sur ordre du bureau local des affaires religieuses, découvrant soudain une infraction aux règlements… A travers le pays, une campagne de 100 jours est lancée, avec comme cible les produits médicinaux aux prétentions mensongères.

Force est de le constater, loin d’être unique en Chine, ce genre d’affaires  foisonne. Telle celle, en 2014, du groupe privé Putian ayant vendu un traitement expérimental à un étudiant atteint d’un cancer, qui l’avait envoyé ad patres en deux ans. Le moteur de recherche Baidu, qui avait publié la publicité du traitement, fut condamné.

De même, début 2018, le groupe de  Mongolie intérieure Hongmao, proposait à prix d’or sa liqueur aux 67 plantes, supposée tout soigner. Un médecin consciencieux constata un danger pour le 3ème âge. Pour avoir osé alerter l’opinion sur ce « poison », il fut incarcéré 100 jours, puis relâché suite au tapage médiatique.

Cette affaire pose la question de la capacité d’un simple citoyen à dénoncer les méfaits de groupes charlatans. Sur le site DXY.com en tout cas, les médecins auteurs du rapport, sont prêts à prendre le risque : signant de leurs vrais noms, renonçant au pseudo, ils se disent prêts à affronter les avocats de Quanjian.

Mais pourquoi de tels scandales récurrents ? Tout d’abord, hôpitaux publics comme cliniques privées, débordés par l’immense demande et en proie à une corruption endémique, déçoivent la population, dont une partie (souvent les plus pauvres, et les moins éduqués) « succombe » à la fausse médecine faute de mieux, à prix exorbitants.

Se pose naturellement la question de la supervision : elle est éclatée en plusieurs branches, et donc inefficace. La CFDA (China Food and Drug Administration) surveille les soins ; la SAIC (State Administration for Industry and Commerce) gère les publicités des soins en hôpitaux publics. Sauf dans le cas où la pub est diffusée à la TV ou sur internet, elle est alors du ressort du MIIT (Ministry of Industry and Information Technology). Divers remaniements ont déjà été tentés par le passé, en 2013 et 2018, sans grand résultat. C’est l’indice qu’il reste beaucoup à faire pour remettre sur les rails ces entreprises dont les produits s’inspirent de la TCM (médecine traditionnelle chinoise). Une telle révision sera probablement déchirante pour l’administration, contrainte à plus de sévérité envers ses industries locales de la santé, les plus chinoises entre toutes.

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