Petit Peuple : Mianyang (Sichuan)—La liberté d’une trop belle fille (2ème partie)

Résumé de la 1ère partie : trop belle, Jingjing a eu la vie facile. Après une scolarité ratée, elle perd son premier emploi, pour n’avoir pas cédé aux avances du patron…

Congédiée à Mianyang (Sichuan),  Jingjing resta quelques mois repliée sur elle-même, pleine d’amertume, à faire son bilan. Même à supposer qu’elle n’ait plus à souffrir un harcèlement comme celui qu’elle venait de vivre, elle savait désormais que cette vie dans un bureau n’était pas pour elle. Elle ne supporterait plus cette ambiance hypocrite, ces sourires doucereux, ces couteaux dans le dos. Elle était trop fière et spontanée pour cela. Furieuse du tort qu’on lui avait fait, Jingjing en voulait à la société entière. En même temps, elle restait très consciente de ses pouvoirs de séduction, de ses moyens d’en tirer une vie facile : elle était déterminée à s’en servir, au nom de sa vengeance sur les hommes. De plus, il était temps de reprendre l’initiative : elle n’avait plus un sou en poche, et serait bientôt à la rue…

Jingjing alla retrouver deux ex-complices de ses 400 coups du temps du lycée. Ensemble, elles préparèrent leur stratégie, leurs règles du jeu. Pour se rendre moins repérables, elles vivraient séparées, et n’amèneraient jamais les clients chez elles. Tous les soirs, elles iraient chacune dans un nouveau bar, une nouvelle boite, sans y revenir avant au moins un mois. Elles prendraient un client par soir, dans une alcôve – les gars ne demandaient que ça. Plus tard dans la soirée, quand il s’éloignerait, elles verseraient discrètement dans leur verre un somnifère à assommer un bœuf. Quand il serait dans les vapes, elles le soulageraient de son portefeuille, puis s’éclipseraient. Chaque midi, on se retrouverait pour partager le butin, sauf une part qui irait à la banque, pour les mauvais jours.

Les premiers mois, l’équipe eut un succès inespéré. Après le 1er soir, elles se distribuaient à chacune 3000¥. De bar d’hôtel en KTV, elles écumaient ces lieux de solitude masculine, balançaient des œillades à tout va, dansaient, se lovaient dans des bras, commandaient des shots… Tous les soirs, le même scenario se reproduisait : leurs victimes se laissaient plumer sans méfiance.

Elles étaient sans pitié—même si elles savaient que ces pauvres types avaient une épouse, un enfant qui les attendaient à la maison, tandis qu’elles leur fauchaient leur paie. C’était elles ou eux, pas de sentiment ! Les pires des clients, étaient ceux à l’alcool triste, ceux qui s’épanchaient sur leurs épaules et prétendaient les revoir, les épouser. Mais ce n’était pas du tout le sujet ! Jingjing et ses complices savaient bien qu’ils leur mentaient, ou se mentaient à eux-même: s’ils cherchaient vraiment une âme sœur, que faisaient-ils bien là, aux 3/4 saouls à bredouiller des calembredaines ? Pas d’histoire, elles les dérobaient comme les autres…

Les affaires marchaient si bien qu’elles avaient coopté 4 autres filles. La police cependant avait fini par repérer l’existence de leur gang : elle  bouillait sous les plaintes, sans trouver de piste. Prudentes, les filles s’en tenaient à leurs règles, et se gardaient aussi de claquer leur argent au grand jour, au risque de se faire remarquer par un train de vie anormal.

Mais leur chance tourna mi-novembre 2018, quand les inspecteurs reçurent les confessions du milieu. Depuis plusieurs mois, d’autres qu’eux recherchait les filles : une triade locale, furieuse de la concurrence déloyale. Or, cette société de l’ombre était sur la piste. A ce qu’elle savait, les filles étaient sept, et leur cheftaine s’appelait Qingchen Jingjing. En bonne citoyenne, la triade considérait de son devoir citoyen de fournir ces tuyaux à la police—à charge de revanche ! Nantie d’un tel renseignement, les forces de l’ordre pouvaient agir. Le 16 novembre, elles publièrent un avis de recherche, immédiatement répercuté à la TV, sur internet : ça sentait le roussi…

Certes, à la réunion du lendemain, une Jingjing au moral de battante, exhorta ses troupes à ne pas baisser les bras. Il n’y avait qu’à se planquer en attendant des jours meilleurs -après tout, on avait assez d’argent pour tenir cachées le temps de l’alerte. Mais deux des filles, fichées de longue date, avaient plus à perdre que les autres. En se rendant spontanément, elles pouvaient espérer l’indulgence du juge. Lors de leur interrogatoire, donc, elles dirent tout, et jusqu’à l’existence du compte bancaire secret, mettant les gendarmes sur une piste désormais brûlante. Dès lors, toute résistance perdait son sens : Jingjing se rendit à son tour, le 28 novembre dernier, après 12 jours de cavale.

Mais voilà, divine surprise : à peine son arrestation publiée, la toile chinoise tout entière s’émeut pour Jingjing , et s’emballe sur son destin de «  la plus belle fugitive » du pays. On déterre ses images, on retrouve ses parents, ses amis, et toute la Chine ne jure plus que par elle. Voyant sa photos, des hommes, de Harbin à Chengdu, déclarent être volontaires pour se faire plumer par elle. D’autres vont jusqu’à prédire, qu’après avoir purgé sa peine, deux années tout au plus, Jingjing verra se disputer les plus grandes marques, anxieuses de recruter comme mannequin une telle championne, si à la mode, la beauté du diable…

Derrière ses barreaux, Jingjing attend son procès, rassérénée : elle n’a plus la rage au cœur. Ce qu’elle veut à présent, est payer sa dette et réussir dans la vie, cette fois, à la loyale. Maintenant, elle a confiance en son intelligence. Elle veut étudier en prison, conquérir un diplôme. Après tout, elle n’a encore que 19 ans, et tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Comme dit le proverbe, « plongé dans la mer amère, il suffit de tourner la tête, pour voir le rivage » (苦海无边,回头是岸 – kǔ hǎi wúbiān, huí tóu shì’àn ) !

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