Petit Peuple : Shanghai : Zhu Xiaodong et son mariage de glace (1ère partie)

A Shanghai, le 31 décembre 2015, Yang Liping (27 ans), en robe blanche, épousa Zhu Xiaodong (28 ans) en smoking, au son de fifres et tambours. Tout comme le jour de la cérémonie, c’était un mariage arrangé. La mère de Liping avait soigneusement choisi le mari, d’une classe sociale légèrement supérieure à la sienne (père membre du Parti, mère fortunée, fils diplômé). Cette famille avait d’ailleurs payé fort cher le droit d’entrée pour cette alliance : le bel appartement dans l’excellent quartier de Hongkou, le setter irlandais au poil roux éclatant dont rêvait Liping, et surtout la dot de deux millions de yuans destinée à ses parents. Liping elle, avec l’aide de son clan, fournissait la Buick Excelle et le mobilier tape-à-l’œil. C’était pour la jeune femme le plus beau jour de sa vie, même si elle s’inquiétait de ne pas mieux connaître son futur mari, rencontré trois fois lors de séances formelles.

Le jeune couple avait passé sa lune de miel sur l’île coréenne de Jeju – époque facile, état de grâce. Les choses sérieuses commencèrent de retour à Shanghai, au travail, lui dans son magasin de motos et elle à l’école où elle officiait comme institutrice. Au bout du premier mois, Xiaodong réclama de sa femme sa paie, afin d’investir en bourse. Zhu voulait avec elle passer à la retraite à 40 ans, et jouir d’une vie oisive grâce aux rentes accumulées. En soi, Liping n’aurait rien eu contre, mais déjà lui manquait la confiance. A plusieurs reprises, retournant de l’école, elle avait trouvé l’appartement vide, y compris la cassette où elle serrait l’argent du ménage. Aux petites heures, il était de retour, grognant et titubant avant de s’affaler sur le lit tout habillé. Le fouillant, elle trouvait son portefeuille vide, et sur lui, des odeurs de femme. Et si elle s’enhardissait à le réveiller pour réclamer des comptes, il portait sur elle une main pesante, lui laissant partout sur son corps bleus et ecchymoses. Il ronflait encore quand elle partait pour l’école, poudrée comme une cocotte pour tenter de cacher les traces de la correction. Le soir quand elle revenait, il était de nouveau prévenant, l’attendant avec un bouquet, et l’invitant au restaurant, jouant au prince charmant, façon Dr Jekyll et Mr Hyde.

Au fil des mois, les incidents se multiplièrent, sur des prétextes futiles. Mais ce qu’il lui reprochait en réalité était sa liberté. Liping avait son indépendance économique, et un large cercle d’amis et amies, qu’elle continuait à voir. Il avait beau se défausser sur elle de toutes les corvées, elle trouvait toujours le moyen de sortir, de lui échapper. A la maison désormais, ils vivaient dans un silence lourd, sans rien avoir à se dire. Même au cinéma leurs goûts divergeaient, lui se droguant au kungfu quand elle préférait la comédie de mœurs et les films romantiques.

Au bout de quelques mois, elle s’était mise à sortir davantage. Persuadé qu’elle avait un amant, il la frappait à son retour. Il lui présentait aussi, chaque jour plus d’exigences, sur son corps, sur son emploi du temps, sur son droit même à la parole.
Il lui interdisait tout, et s’autorisait tout. Comme nouveau hobby, en plus du chien qu’il tentait en vain de dresser, il élevait des petits serpents dans un vivarium. Un jour, sous prétexte de stocker la nourriture de ses reptiles, il commanda un grand congélateur, stocké sur le balcon. Furieuse, elle remarqua que c’en était fini des bains de soleil sur cette surface devenue exiguë – mais il répondit par une gifle sonore.

Début octobre, le rythme des événements s’accéléra. Elle osa parler de séparation : il lui flanqua une correction pour lui faire oublier à jamais telle pensée. Au même moment, il lui cachait qu’il venait de perdre son emploi, conséquence logique de ses frasques et de son manque de résultats. Au contraire, il lui affirma qu’il venait d’être promu à Hong Kong, où tous les deux allaient refaire leur vie. En attendant leur grand départ, il la força à démissionner de son école, ce qu’elle osa malgré tout préciser dans sa lettre à la direction. Son attitude à elle était dès lors ambivalente, complètement sous sa coupe à lui, privée de parole, contrainte à lui obéir en tout et même se reprochant les défauts imaginaires dont il l’accusait – justification des volées quotidiennes. Hélas, les voisins faisaient la sourde oreille, au nom du proverbe selon lequel « on lave son linge sale en famille » (家丑不可外传, jiā chǒu bù kě wài chuan), et les parents de Liping, s’ils se doutaient de quelque chose, faisaient semblant de rien, par peur du scandale.

Et puis le 17 octobre à midi, après une nuit blanche passée en disputes, il l’étrangla -sa supériorité physique ayant eut raison des efforts de Liping pour sauver sa vie. Enfermé dans la chambre qu’ils avaient prévu longtemps avant comme celle du bébé, le setter hurlait à la mort. Quand elle eut rendu son dernier soupir, il sortit sans hésiter l’édredon rouge qu’ils avaient étrenné la nuit des noces. Il l’en enveloppa, et la plaça en position fœtale dans le congélateur. Liping disparaissait après 290 jours de vie commune, en un féminicide qui allait défrayer la chronique chinoise durant les années à venir.

Histoire glauque, mais fait de société très réel, le féminicide envahissant la Chine comme le reste du monde. La suite qui va défier les imaginations les plus vives, est pour la semaine prochaine, ami lecteur !

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