Editorial : Mystère au marché de Xinfadi

Son nom était de bien mauvais augure : « Xinfadi » (新发地) signifiant « nouveau lieu d’infection » en abrégé… En effet, tous les cas de Covid-19 récemment découverts à Pékin (250 cas au 23 juin) sont liés au « panier à légumes » de la capitale, le plus grand marché alimentaire de gros du pays, voire d’Asie.

Ouvert il y a 30 ans, ce marché, situé à 20 km au sud-ouest de la Cité interdite, s’étend sur une surface équivalente à 157 terrains de football, soit 20 fois plus que le marché de Huanan à Wuhan, où a débuté la pandémie. Chaque jour, 15 000 personnes et 3 000 camions de livraison transitent par ce « Rungis » chinois. 1 500 tonnes de poissons et fruits de mer, 18 000 tonnes de légumes et 20 000 tonnes de fruits y sont écoulées toutes les 24h, fournissant ainsi plus de 80% des produits maraîchers de la ville. Tout comme le marché de Wuhan est situé près de la gare de Hankou, le marché de Xinfadi avoisine une station de bus longue distance.

Le 11 juin, M. Tang, 52 ans, était diagnostiqué de la maladie après avoir visité Xinfadi sept jours plus tôt. Surnommé le « papi du district de Xicheng » (où il vit), il confessait sur son lit d’hôpital « avoir seulement voulu acheter du poisson pour ses enfants ». Le marché fermait ses portes 48h plus tard. 

Une fois le marché rendu inaccessible au public, les scientifiques ont pu y effectuer des prélèvements par trois fois, à l’inverse du marché de Huanan à Wuhan, qui a été consciencieusement désinfecté avant même que les experts ne puissent y accéder. « La forte concentration du virus retrouvé au marché de Xinfadi dans les zones humides et froides vendant du poisson et de la viande, peut être expliquée par la présence de nombreux cas asymptomatiques ou légers au marché dès le mois précédent », explique Gao Fu, directeur controversé du CDC. Une conclusion qui rejoint celle des experts européens et américains qui ont constaté, face à une recrudescence des cas dans les abattoirs et usines de transformation de viande, que le virus résiste bien au froid.

Quelques jours plus tôt, les premières constatations quant à l’origine du virus retrouvé à Pékin pointaient vers les importations de saumon, des traces du virus ayant été retrouvées sur des planches à découper ce poisson à la chair rose. « Pourtant aucune contamination n’a eu lieu dans des restaurants à sushis ni dans d’autres villes de Chine », a déclaré Zhong Kai, directeur du Centre d’information alimentaire chinois. Il est donc improbable que le saumon lui-même soit un hôte intermédiaire du Covid-19.

Pour autant, la thèse voulant que le virus vienne de l’étranger n’a pas été écartée. Les analyses du génome du virus retrouvé à Pékin, dont trois séquences ont été partagées sans délai avec l’OMS et sur une base de données internationale (GISAID), ont révélé une souche courante en Europe. «Étant donné que la souche européenne circule désormais partout dans le monde [et dans le nord-est de la Chine, venue de Russie], cela ne veut pas forcément dire que le virus retrouvé à Xinfadi vienne d’Europe », a rappelé le CDC européen. D’après Zhang Yong, chercheur à l’institut national de virologie, la souche détectée à Xinfadi n’est pas la plus courante en Europe aujourd’hui

Comment l’expliquer ? Liu Jun, également chercheur à l’institut, s’étant rendu 20 fois au marché de Huanan pour mener l’enquête, avance deux hypothèses : la première est celle d’un virus présent durant un certain temps à Xinfadi sans infecter personne, et qui aurait resurgi sans avoir muté. La seconde possibilité est celle d’un virus arrivé à Xinfadi par un produit importé congelé, qui n’aurait pas muté durant le transport et le stockage. Si c’est le cas, le fait de retrouver le virus à l’intérieur ou à l’extérieur d’un produit scellé donnerait des indices supplémentaires sur le lieu et la période de contamination.

Pour écarter la première hypothèse, 15 600 prélèvements ont été effectués à travers le pays entier sur des produits importés de pays « à risque », emballages y compris. Tous sont revenus négatifs. S’interrogeant sur la possibilité que le virus ait été introduit au marché de Huanan à Wuhan par des poissons ou fruits de mer importés, leurs étals étant les plus proches de ceux vendant de la viande sauvage, les autorités du Hubei ont effectué 3 000 prélèvements au sein de 114 marchés et 107 supermarchés. Aucune trace du virus… 

En attendant de déterminer avec certitude l’origine du virus de Xinfadi, les autorités pékinoises veulent démontrer leur sérieux et leur transparence, qui ont tant fait défaut à Wuhan. Les meilleurs experts du pays mènent l’enquête et communiquent quotidiennement, tandis que la Commission centrale d’Inspection de la Discipline (CCID) veille au grain. Chargée de trouver des responsables à cette résurgence du virus dans la capitale, elle punissait le directeur de Xinfadi et prenait en grippe ces marchés de gros : « ce nouveau foyer d’infection reflète non seulement l’insalubrité et le désordre régnant dans ces marchés, mais aussi leur gestion plus que médiocre ». L’organe chargé de la lutte anticorruption notait également que « ces marchés ont été bâtis il y a 20 ou 30 ans, et leur système de retraitement des eaux usées est vieillissant ». « Le manque d’hygiène et les vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement doivent être réglés en urgence », concluait la CCID.

Quatre mois plus tôt, la découverte du Covid-19 au marché de Huanan avait poussé la Chine à interdire la consommation et le commerce des animaux sauvages. Aujourd’hui, les experts s’interrogent. Aucune viande exotique n’étant vendue à Xinfadi, les scientifiques auraient-ils fait fausse route ? Le fait que deux marchés soient touchés par le Covid-19 à quelques mois d’intervalle est-il vraiment une coïncidence ? Fallait-il attendre que le « cœur politique » du pays soit touché pour que la menace sanitaire que représentent ces marchés, dont l’environnement est favorable à la prolifération des virus, soit prise en compte ? Cette prise de conscience en haut lieu suffira-t-elle à remettre en cause ces marchés « humides », culturellement appréciés pour la « fraîcheur » de leurs produits ? Autant de questions soulevées par la mystérieuse affaire du marché « Xinfadi ».

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