Diplomatie : Séquelles des opérations d’une Chine « combattante »

En faisant souffler un vent d’incertitude sur le monde entier, le Covid-19 a mis à vif  les rapports de force internationaux et les relations entre partenaires. Le gouvernement chinois ayant fort à faire sur le plan domestique pour atténuer les dégâts économiques provoqués par la pandémie, on aurait pu s’attendre à ce que la Chine lâche du lest à l’international, évitant toute friction inutile avec ses rivaux et resserrant les liens avec ses alliés. Ce n’est pourtant pas le chemin qu’elle prend…

– Avec le grand adversaire américain, tout est sujet à discorde depuis quelques années déjà : la balance commerciale, la 5G et les nouvelles technologies, le Xinjiang, Hong Kong, Taïwan, les journalistes, le coronavirus (son origine, son vaccin), les entreprises chinoises cotées sur les marchés américains… Entre les deux plus grandes puissances mondiales, le dialogue n’est pas interrompu, mais Chine et États-Unis semblent au bord d’une nouvelle guerre froide. Auparavant, Pékin aurait sûrement tenté un rapprochement avec les alliés de Washington, comme le Japon, l’Australie et d’autres pays en Asie du Sud-Est afin de créer un fossé entre les USA et ses partenaires en Asie-Pacifique. Pourtant, c’est tout le contraire qui se produit.

– Dans la vallée de la rivière Galwan, à 4 300m d’altitude au Ladakh, territoire sous contrôle indien, mais revendiqué par la Chine, les tensions étaient ravivées début mai autour de la ligne de contrôle effectif (LAC) convenue en 1962, qui tient lieu de démarcation entre les deux pays. Six semaines plus tard, et malgré des pourparlers « encourageants » entre des officiers des deux camps, un affrontement à mains nues, jets de pierres, barres de fer et bâtons de bambou enroulés de barbelés, dans des températures glaciales, a provoqué la mort de 20 soldats indiens. La presse indienne a évoqué 43 victimes côté chinois, un chiffre réfuté par Pékin qui s’est pour l’instant refusé à publier le nombre de soldats ayant péri au combat. Malgré « un accord tacite » stipulant que les deux camps n’aient pas recours à des armes de guerre, c’est la première fois depuis 1975 que le sang coule, les derniers affrontements (en 2014 et en 2017) n’ayant fait aucune victime. Si les deux pays s’accordent sur le fait que la dispute ne doit pas dégénérer en conflit militaire, chacun se rejette la faute, se reprochant de bâtir de part et d’autre de la ligne de contrôle effectif des infrastructures qui pourraient faciliter une intervention armée. Les tensions sino-indiennes ne se limitent pas à la démarcation de leurs territoires. Récemment, New Delhi a vivement critiqué le manque de transparence de la Chine dans la gestion du Covid-19, attisant le sentiment antichinois en Inde. Opposée aux « nouvelles routes de la soie» (BRI) et refusant de signer l’accord de libre-échange régional (RCEP) proposé par la Chine, cet affrontement sanglant pourrait inciter l’Inde à coopérer plus étroitement avec les autres puissances d’Asie-Pacifique, États-Unis inclus.

– Dans les eaux de mer de Chine du Sud, la situation n’est guère plus rassurante. L’expansion chinoise lui vaut des disputes avec les Philippines, l’Indonésie, le Vietnam. Hanoi envisagerait même de porter plainte contre Pékin devant une cour internationale, comme l’avait fait Manille en 2016…

– De l’autre côté du détroit de Taïwan, le dialogue est rompu depuis l’élection de Tsai Ing-wen en 2016 (réélue en janvier). Depuis lors, Pékin n’exclut plus le scénario d’une réunification avec l’île par la force.

– Avec le Japon, ennemi d’hier, les relations peinent à se réchauffer. Outre le vieux conflit autour de la souveraineté des îles Diaoyu/Senkaku, le gouvernement de Shinzo Abe a décidé de prendre l’initiative d’un communiqué publié par les ministres des Affaires étrangères du G7 (États-Unis, Allemagne, Canada, France, Italie, Royaume-Uni, Union européenne) pour condamner la décision chinoise d’un passage en force d’une loi de sécurité nationale à Hong Kong. Mais la Chine semble bien déterminée à ne pas se laisser intimider : non annoncée à l’agenda, la dernière réunion du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire (18 au 20 juin) a peaufiné le très polémique texte de loi. L’intégralité du document n’a pas été dévoilée afin de pouvoir encore le modifier avant sa formulation finale (prochaine réunion du Comité Permanent de l’Anpe programmée dans le foulée, du 28 au 30 juin). Toutefois, plusieurs détails ont émergé afin de jauger la réaction du public : la non rétroactivité du texte, le nom de l’agence de sécurité publique chargée de son application dans la RAS, des juges nommés par le chef de l’exécutif, le fait que la Chine se garde le droit de juger elle-même certains cas, et l’ajout de la « collusion » avec les forces étrangères.

– Plus au sud, entre Canberra et Pékin, la relation est au plus bas depuis que l’Australie a osé réclamer à l’OMS une enquête sur les origines chinoises du coronavirus, inspirant à la Chine des sanctions tarifaires sur les produits australiens. Signe révélateur du mauvais état des relations sino-australiennes, un tribunal chinois vient de condamner à mort un ressortissant australien interpellé dans un aéroport en possession de 7,3 kg de méthamphétamine. Les liens avaient déjà commencé à se dégrader en 2018 après que le gouvernement australien ait banni la 5G du champion chinois Huawei.

– Avec le Canada, la situation est tout aussi inquiétante : fin 2018, l’arrestation de la directrice financière de Huawei Meng Wanzhou à la demande des États-Unis, jetait un froid avec la Chine. En représailles, la Chine arrêtait deux ressortissants canadiens, Michael Spavor et Michael Kovrig. Quelques jours après l’appel rejeté de Mme Meng, les deux Canadiens ont été officiellement inculpés le 18 juin pour « espionnage et fuite de secrets d’État »… Face au rouleau compresseur de la justice chinoise, les deux Michael ont toutes les chances d’être condamnés, les preuves contre eux seraient « abondantes ».

– À Bruxelles, le ton a changé en mars 2019, qualifiant la Chine de « rival systémique ». L’Union européenne s’équipe peu à peu d’un arsenal législatif pour défendre ses intérêts commerciaux face à la Chine. 2020, qui devait être l’année des relations sino-européennes, a mal débuté, la Chine étant accusée de mener une campagne de désinformation à travers le « Vieux Continent ».

– Avec le bloc africain, l’amitié de façade a été mise à mal par la discrimination et le racisme dont ont été victimes les ressortissants africains en Chine pendant l’épidémie. Dans ce contexte, difficile pour Pékin de paraître sincère aux yeux des partenaires africains en condamnant l’affaire George Floyd qui secoue les États-Unis.

Ainsi, le contraste entre le concept bienveillant de « communauté de destin pour l’humanité » prôné par le Président Xi Jinping, et le positionnement chinois toujours plus affirmé sur la scène internationale (en rupture avec la « montée en puissance discrète » prônée par Deng Xiaoping) est saisissant. Désormais, la Chine s’estime en droit et surtout en mesure de défendre ce qu’elle considère comme « ses intérêts légitimes ». L’attitude pugnace de ses diplomates est révélatrice de cet état d’esprit. Mais pour quels résultats ? Jusqu’à présent, cette rhétorique nationaliste fonctionne plutôt bien auprès de sa population, la distrayant de ses propres problèmes, et renforçant l’image de Xi Jinping, leader compétent et défendant bec et ongles une Chine trop longtemps victime des puissances étrangères. Pourtant, à l’étranger, cette attitude lui vaut bien des inimitiés. De même, l’image de la Chine en souffre, comme en témoignent les sondages réguliers réalisés par l’Institut Pew… Mais en maintenant cette posture passive agressive, il est peu probable qu’elle gagne sur les deux tableaux.

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