Société : Poussée de fièvre xénophobe

Depuis quelques semaines, les comportements discriminatoires à l’égard des étrangers en Chine se multiplient. Simple loi du talion d’une réaction anti-asiatique à travers le monde ? Pas exactement. Cette xénophobie n’est pas tout à fait nouvelle en Chine : des ressortissants africains dénoncent depuis longtemps le racisme à leur égard, souvent excusé par une « méconnaissance » de l’autre. Toutefois, un sentiment anti-étranger plus général émerge dans le contexte pandémique actuel, accentuant les peurs des populations. En effet, une théorie soutenue à haut niveau voudrait que des militaires américains auraient importé le virus à Wuhan. Autre idée largement répandue : les étrangers seraient responsables du retour du Covid-19 en Chine, des nouveaux cas étant détectés chaque jour aux frontières chinoises. Une fausse impression puisque 90% de ces cas importés sont détenteurs d’un passeport chinois, dont presque la moitié d’étudiants. Qu’importe, les étrangers sont devenus des boucs émissaires tout trouvés en cas de nouvelle vague de contaminations. Ils sont implicitement accusés d’avoir manqué de solidarité en quittant la Chine, d’avoir abandonné le pays à la première difficulté. Les locaux s’indignent : « pas question de laisser ces « laowai » (老外, étrangers) venir gâcher tous nos efforts contre le virus ». C’est ainsi que lors de la fermeture des frontières aux étrangers fin mars, la Chine poussait un soupir de soulagement. Ce sentiment est alimenté par des incidents largement médiatisés, impliquant des étrangers qui se comportent mal et ne respectent pas les règles de quarantaine (un délit puni de 1 an à 10 ans d’interdiction de territoire). Une bande dessinée publiée sur WeChat allait même jusqu’à comparer certains étrangers à des « ordures à trier » (洋垃圾 yáng lājī – cf photo). La controverse poussait l’auteur – et non pas la censure, d’ordinaire très active – à retirer sa BD de la toile, quatre jours plus tard.

Symptômes de cette poussée de fièvre xénophobe, les étrangers se voient interdits d’entrée dans certaines boutiques, restaurants, hôtels, salles de gym, voire de certaines rues. Des ressortissants rencontrent aussi des difficultés à rentrer chez eux ou à louer un appartement. Le pouvoir des comités de quartiers leur serait-il monté à la tête ? S’ils font preuve d’autant de zèle, c’est qu’ils craignent de porter la responsabilité, en cas de nouveaux cas de la maladie… Créés sous Mao dans les années 1950 pour assurer un suivi local dans les quartiers, ces comités sont composés d’habitants « activistes faisant preuve d’un soutien dynamique pour assurer l’ordre moral et politique auprès du voisinage ». Ils sont 4 millions aux avant-postes de 650 000 communautés rurales et urbaines à travers le pays. Une instance qui a pris du galon au fil des années, et, en cette période de crise, elle s’est vue chargée de nombreuses responsabilités : prise de température aux entrées des résidences, recensement des allées et venues, distribution des livraisons, filtrage des personnes extérieures, supervision des quarantaines à domicile… Et même si le virus bat en retraite, cette mobilisation ne semble pas faiblir…  

En creusant, on s’aperçoit que la différence de traitement entre Chinois et étrangers est un point sensible. Le cas d’étrangers chouchoutés en quarantaine à Nanjing faisait scandale alors qu’une Chinoise se voyait lynchée pour avoir osé demander une bouteille d’eau à Shanghai. En temps normal, le traitement préférentiel des étrangers, notamment sur les campus universitaires (les étudiants étrangers bénéficiant de plus beaux dortoirs et de bourses), a déjà fait l’objet de polémiques.

On le voit, le fond du problème ne vient pas tellement du traitement réservé aux étrangers, mais plutôt des libertés que le régime refuse à ses propres citoyens, leur interdisant par exemple de s’installer librement dans les villes de leur choix (des limitations encadrées par le « hukou ») ou de donner naissance à autant d’enfants qu’ils le souhaitent (le planning familial n’en autorisant que deux par couple). Les Chinois ne sont également pas tendres entre eux. Par exemple, le rapatriement des étudiants coincés aux Etats-Unis durant la pandémie a suscité de nombreux débats, certains y voyant un traitement préférentiel réservé aux privilégiés. De manière générale, les Chinois originaires de la campagne restent considérés comme des « citoyens de seconde zone » par les élites des grandes villes. Un sentiment accru par la montée des inégalités sociales …

Autre expression de ce sentiment anti-étranger : fin février, le gouvernement avait sollicité l’avis du public au sujet des conditions d’attribution du permis de résidence permanente, accordé au compte-goutte depuis 16 ans. Depuis 2004, un peu plus de 10 000 « titres de séjour permanent » ont été accordés. Même si ces nouvelles mesures ne concernent qu’une toute petite minorité d’immigrants hautement qualifiés ou de riches investisseurs, de nombreux internautes s’inquiétèrent d’une vague d’immigration, particulièrement de musulmans ou d’Africains, redoutant selon leurs dires que « la Chine ne devienne la nouvelle France », compromettant « la pureté de la race chinoise, descendante de l’Empereur jaune ». En termes de chiffres, la Chine compte seulement 1 million d’étrangers sur 1,4 milliard d’habitants, soit 0.07% de sa population. A titre de comparaison, 2,2 millions d’étrangers résident au Japon (traditionnellement réticent à l’immigration), dont 320 000 de manière permanente, sur une population de 127 millions. Les USA comptent quant à eux, 44 millions d’étrangers, dont 13,2 de permanents, sur 327 millions d’habitants…

Face à cette montée du racisme, quelle est la réaction du gouvernement chinois ? Interrogé sur la stigmatisation des Africains à Canton (après que 5 Nigérians testent positifs), le porte-parole Zhao Lijian se contentait d’affirmer que le pays accorde une grande attention à ces incidents ponctuels et malentendus occasionnés durant la lutte anti-épidémique. Il ajoutait que le pays rejette tout traitement différencié et ne tolère pas la discrimination. De fait, la Chine ne manque pas une occasion de dénoncer la sinophobie à l’étranger.

Cette tendance xénophobe est révélatrice d’un mélange de complexes d’infériorité et de supériorité face à l’étranger. Lorsque la Chine s’est réouverte sur le monde, l’étranger était admiré, désiré… Depuis son arrivée aux affaires, Xi Jinping a mis l’accent sur la notion de « fierté culturelle » : les Chinois doivent être fiers de leur pays, des progrès accomplis ces dernières décennies, voire reconnaissants de la manière dont le Parti a protégé sa population contre le virus, soulignant la réaction tardive des pays étrangers et la jugeant à leur tour avec un brin de supériorité. Mais cette propagande nationaliste n’est pas sans effets secondaires… Le régime subit les conséquences de sa propre rhétorique : lui qui voulait attirer les meilleurs talents étrangers pour stimuler l’innovation du pays, il se retrouve en porte-à-faux avec l’opinion publique qu’il a lui-même poussée.  

Enfin, pour les expatriés qui envisageaient déjà de partir, cela peut être un argument de plus. Toutefois, pas sûr que ceux qui partent seront remplacés par de nouveaux venus… Même si les réactions racistes s’estompent après l’épidémie, globalement, ce n’est pas un signal positif pour les relations de la Chine avec le reste du monde.

Avec Caroline B.

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1 Commentaire
  1. severy

    Soyons honnête. La Chine, comme l’Occident, comme d’autres pays du monde, n’échappe pas à la tentation de masquer ses propres carences sous un vernis de suffisance voire un soupçon de supériorité. Il est toujours réconfortant pour un peuple qui a été si longtemps sous le joug de puissances étrangères (mongole, mandchoue, européenne, japonaise…) d’agiter d’une main fébrile le chiffon poussiéreux du nationalisme pour se remonter le moral. Ne faisons-nous pas de même lorsque nous mettons nos drapeaux au balcon en tâchant – sans grand succès – de nous rappeler les paroles de notre hymne national ? Combien pathétique paraît cette coutume qui nous divise plus qu’elle nous unit à nos voisins continentaux. La fierté d’appartenir à une grande puissance (l’Égypte de Ramsès, la Grèce d’Alexandre, la Rome d’Auguste, l’Europe de Charlemagne, l’empire ottoman, la Chine des Ming, la France de Napoléon, l’Angleterre de Victoria, et j’en passe) ne peut susciter que les ricanements de Chronos. Les périodes de grandeur sont inmanquablement suivies par la décadence et la destruction des fiers-à-bras de l’histoire. Il n’y a qu’à regarder ce que devient la dernière grande puissance en titre, les États-unis, qui craque de toutes parts après avoir semé la terreur partout depuis 75 ans.

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