Economie : Jiashan (Zhejiang) : En route vers le paradis socialiste, version Xi Jinping

Jiashan (Zhejiang) : En route vers le paradis socialiste, version Xi Jinping

Quand Xi Jinping en août 2021 annonça son programme de « prospérité commune » et son idéal de supprimer les écarts entre riches et pauvres, le monde chinois dans son ensemble, fut partagé entre espoir et scepticisme. Serait-il enfin possible de répartir les ressources de manière équitable entre tous, citadins comme paysans, et de voir la fin de la désespérante course à la fortune pour une poignée de cadres suivant des voies invariablement douteuses ou illégales ? A partir des années 80, l’écart des richesses n’a cessé de s’accroître, après que Deng Xiaoping ait proclamé qu’il était légitime que certains puissent s’enrichir avant les autres. De ce fait, l’enrichissement inéquitable atteignait un point critique, compromettant la stabilité sociale. Dès son accession au pouvoir en 2012, Xi Jinping commençait à s’en inquiéter et à chercher les moyens de sortir de la spirale infernale. Le XXème Congrès semble alors annoncer une accélération de la rectification, en fixant l’objectif d’atteindre « graduellement une prospérité commune pour tous ». 

Mais comment le régime compte-t-il s’y prendre ? Depuis 2015, Xi Jinping commençait à retirer la faveur aux milliardaires et aux groupes privés, tout en annonçant des « contrôles plus sévères sur les voies empruntées pour accumuler la richesse dans le pays » – euphémisme pour préparer la confiscation des fortunes mal acquises. C’étaient les « tigres », hauts cadres du Parti, qui perdirent leur patrimoine avec leur liberté.

C’était le retour à la méthode de Mao dans les années 50, contre les magnats ruraux, industriels ou d’affaires. Mais pour éviter la rupture de la croissance, voire une crise politique majeure, Xi ne pouvait frapper qu’une infime minorité des grands corrompus – essentiellement parmi ses rivaux et ennemis – et cette méthode « passive » (punir les riches) ne pouvait régler le problème, il fallait trouver quelque chose pour enrichir les pauvres tout en protégeant la pompe de création de richesse et d’emplois. 

La NDRC, le super ministère chef d’orchestre de l’économie chinoise, tente une expérience inédite en désignant le 2 novembre une zone pilote d’une expérience de prospérité commune. D’ici 2035, le district de Jiashan (Zhejiang) doit faire passer 82% de sa population de 648 000 habitants dans la catégorie de la « moyenne aisance ». Pour ce faire, des règles et outils seront déployés à travers ses six villes et 146 villages. A l’évidence, la zone pilote a fait l’objet d’une sélection rigoureuse, histoire de se donner les meilleures chances de réussir. Situé aux portes de Shanghai, doté de terres fertiles, d’innombrables industries rurales, de foires et d’investissements locaux et étrangers, le district compte parmi les plus prospères du pays. Ici, l’écart de revenu entre ville et campagne s’élevait en juin à 1,35 – d’emblée inférieur à l’objectif national de 2 contre 1.

Le plan de la NDRC pour parvenir à combler les écarts de richesse à l’intérieur du territoire, nous laisse à vrai dire sur notre faim, étant court et vague. L’enrichissement doit d’abord provenir de la recherche et développement qui doit d’ici 2035 atteindre en investissement 4% du PIB local. Il doit être servi par « l’intégration accélérée des villes et villages » – sans doute par un maillage plus dense des transports, « l’approfondissement de la réforme des coopératives rurales », et par un programme-pilote de « partenariat limité étranger qualifié », pour attirer des projets technologiques de production ou transformation agricole. Le territoire bénéficiera aussi d’exemptions au cadre national d’approbation des investissements

Parmi les « gadgets envisagés » pour améliorer le niveau de vie moyen, devraient aussi figurer ces « cantines » et « cafétérias publiques » dont on parle fort ces temps-ci, omniprésentes dans les années 80, que Xi Jinping souhaiterait réintroduire en version modernisée. 

A Jiashan, se retrouve aussi un autre leitmotiv cher à Xi Jinping : la satisfaction des besoins « spirituels » du district. Déjà en place depuis 2015, la « banque de crédit culturel » va être développée, consistant en un système de points et de petits cadeaux offerts aux habitants, en échange de leur participation entre autres aux représentations d’opéra « Wei », très populaires au Zhejiang, chanté en dialecte.

Liu Shangxi, président de l’Académie nationale des sciences fiscales, précise une condition essentielle au succès du projet : que soient éliminées les causes structurelles de l’appauvrissement des campagnes. Le professeur Liu veut parler du « hukou » (document administratif) qui rive le paysan à sa campagne, et le lie à la faiblesse des services sociaux (école, hôpital, retraite, couverture maladie…) au village, lui rendant difficile de vendre sa terre ou de la transmettre à ses enfants en héritage, la quasi-interdiction de crédits dans les banques rurales…  

Egaliser les chances entre ville et campagne, signifierait donc aussi harmoniser les couvertures sociales et le droit du sol à travers la nation. Autant dire qu’une tâche immense de modernisation reste à faire à travers le pays, dont Jiashan pourrait être une première étape, avant de pouvoir espérer reproduire l’expérience sur d’autres zones tests, puis à l’ensemble du territoire national – à condition qu’elle soit une réussite ! 

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