C’est une tendance qui inquiète les industriels et confirmée par un rapport officiel publié par le bureau des statistiques le 28 avril : la baisse de mobilité des travailleurs migrants, ces petites mains à qui la Chine doit son miracle économique. En 2022, un peu plus de 70 millions de Chinois ont quitté leur province d’origine pour aller travailler ailleurs. C’est 690 000 de moins que l’année précédente, soit une baisse de 1%. Il faut dire que la période a été marquée par les restrictions sanitaires liées à la politique « zéro Covid », limitant leurs déplacements de manière intermittente.
Il ne s’agit pourtant pas d’un phénomène ponctuel, puisque le nombre de ces travailleurs quittant leur province d’origine n’a cessé de diminuer depuis 2015 (-8,8%). Cette tendance de fond, appelée à perdurer, fait craindre une pénurie de main d’œuvre peu qualifiée. La situation est telle que certains employeurs envoient même des bus en province pour aller recruter des ouvriers !
En temps normal, les travailleurs originaires des provinces moins développées du centre et de l’ouest de la Chine, migrent vers l’est à la recherche d’un boulot mieux payé. Sauf que ces dernières années, ils sont de plus en plus nombreux à rester près de chez eux. C’est particulièrement vrai chez les jeunes ruraux qui boudent désormais les grandes villes qui faisaient tant rêver leurs aînés.
Dans un article sur le sujet, le journal économique Caixin interprète cette tendance comme le signe d’une mobilité sociale en déclin. D’autres analystes affirment que cette baisse est la conséquence de différents freins à la mobilité, tel que le système de « hukou » (permis de résidence), qui empêche les travailleurs migrants et leurs familles d’avoir accès aux services publics (santé, éducation…) dans les villes où ils travaillent.
Il y a cependant une autre raison à cette baisse de mobilité des « mingong » (民工, « travailleurs migrants » venus des campagnes), à savoir qu’ils n’ont plus besoin de voyager à l’autre bout du pays pour trouver un emploi. C’est le fruit d’années d’efforts des gouvernements locaux pour que les industriels transfèrent leurs usines dans les terres, au détriment des riches provinces côtières.
Il y a également le développement de « l’économie de plateforme » et le boom des emplois flexibles tels que chauffeurs de VTC (Didi et consorts) ou livreurs (Meituan, Ele.me ..), qui permettent aux travailleurs de gagner mieux ou aussi bien leur vie qu’à l’usine et d’être maîtres de leur emploi du temps.
En 2022, 51% des « mingong » travaillaient dans le secteur des services (+0,8%), un chiffre en constante augmentation ces dernières années. Le secteur industriel, lui, employait 27,4% d’entre eux (+0,3% par rapport à 2021) contre 17,7% pour le bâtiment (-1,3%, suite au ralentissement du marché immobilier).
Au-delà de l’aspect professionnel, le coût de la vie est souvent moins cher dans les petites villes que dans les grandes métropoles. Rester près de son « laojia » (老家, « village natal ») présente également l’avantage pour ces travailleurs de pouvoir voir leur famille régulièrement et pas uniquement lors du Nouvel An chinois.
La conséquence directe de cette baisse de la main-d’œuvre disponible dans les provinces côtières est bien sûr une hausse des salaires, ce qui vient inévitablement renchérir les coûts de production. Les industriels qui peuvent se le permettre seront tentés d’investir dans des machines pour remplacer leurs ouvriers et automatiser tant que possible leur production, tandis que les usines manufacturières de moindre qualité chercheront à se relocaliser à l’intérieur du pays ou hors frontières…
Sommaire N° 18-19 (2023)