Spatial : Tiangong, la station spatiale arche de Noé

Tiangong, la station spatiale arche de Noé

Le 24 octobre, sur la base de Wenchang (Hainan), une fusée Long March 5B se lançait vers l’espace, emportant Mengtian, un cylindre d’acier de 18 mètres de longueur pour 22 tonnes de poids. Six heures plus tard à 380km de la Terre, Mengtian s’arrimait à Tiangong, la station orbitale, sous la supervision des trois astronautes (parmi lesquelles une femme) à bord depuis juin. Par coïncidence, ce jour très symbolique marquait le 13ème anniversaire de la disparition de Qian Xuesen, le père fondateur du programme spatial chinois. 

Après quelques heures, par un bras articulé de 5,2m de long, les trois modules de Tiangong étaient positionnés sous leur structure définitive en forme de « T », et une fois l’étanchéité de Mengtian vérifiée, les trois cosmonautes pouvaient prendre possession de leur salle supplémentaire. Avec 101m3 de volume rempli d’équipements de pointe, Mengtian est le laboratoire de la station.

L’énergie du module est fournie par 56m² de panneaux solaires. A l’intérieur, un circuit atomique de production de froid refroidit des atomes par rayonnement laser jusqu’à 10 pico kelvins de froid : c’est quasiment le zéro absolu à -273°C, et un nouveau record. Mengtian abrite également trois pendules atomiques dont une optique (d’une précision d’une seconde sur un milliard d’années), 20 mini-laboratoires à centrifugeuses et un four à haute température. Avec ces outils, la station se donne les moyens de tester, entre autres, diverses méthodes de prévention des incendies, et l’effet sur les cosmonautes du confinement de longue durée en orbite terrestre basse. 

La station a la capacité de relâcher dans l’espace des minisatellites et petits vaisseaux spatiaux. A l’extérieur, 37 alvéoles sont là pour recevoir diverses plantes et organismes, histoire d’étudier sur eux l’effet de l’espace.

Déjà depuis juin, 12 000 graines de plantes aussi diverses que celles d’alfalfa, d’avoine, de melon, d’aubergine et des spores de champignons sont exposées pour six mois aux rayonnements cosmiques et à la microgravité, attendant le retour sur Terre à terme, pour y être cultivés et observés.

A bord de Tiangong, des plants de cresson et de riz ont déjà commencé leur germination. D’autres expériences portent sur la cristallisation de protéines, l’effet de la microgravité sur diverses masses osseuses et musculaires. Deux cabines de tests biologiques vont aussi permettre de faire se reproduire des algues, des poissons et des escargots, mais aussi des souris et des macaques – toute cette faune et flore devant donc être embarquée et entretenue durant une ou plusieurs rotations de navettes terrestres.

Cette expérience est étrange et inédite : après près d’un demi-siècle de présence humaine dans l’espace, on ignore toujours si la reproduction de mammifères y est possible. Une rare expérience tentée sur des souris par une mission russe à l’époque soviétique s’était soldée par un échec, les rayonnements cosmiques étant cités comme la cause la plus plausible.

Au total durant les 10 ans de vie de la station, plus de mille expériences seront réalisées, sélectionnées par la CMSA (l’Agence nationale de l’habitat spatial), la quasi-totalité proposées par une centaine de chercheurs locaux,  sauf neuf venues de l’étranger, proposées par le bureau des affaires spatiales de l’ONU. 

Bon nombre de ces expériences ont déjà été effectuées à bord de l’ISS, la station spatiale internationale. Loin d’être un doublon, ce travail sera précieux à la communauté spatiale mondiale, dit Paulo de Souza, astrophysicien australien, en permettant de vérifier si les premiers résultats sont reproductibles. 

Pour créer la station orbitale, neuf fusées Long March ont été lancées depuis avril 2021. Deux autres rejoindront Tiangong d’ici décembre, pour acheminer vivres et matériels, et assurer une rotation d’équipe. La CMSA annonce pour début 2024 la prochaine étape dans l’équipement, avec l’arrivée de Xunjian, télescope de classe Hubble (2m d’ouverture, caméra de 2,5 de 2,5 milliards de pixels) avec pour mission, d’ici 2032, de photographier jusqu’à 40% de l’univers.  

Résultat de 30 ans de préparation, cette station chinoise est déjà reconnue comme une brillante réussite, et va s’insérer naturellement dans le courant international de recherche sur l’univers.

La recherche spatiale chinoise comporte d’autres facettes aussi ambitieuses, telle l’implantation « d’ici 2032 » d’une station scientifique au pôle sud de la Lune (bassin Aitken), la création d’une station solaire sur orbite d’1 km² « au moins », pour une capacité de 10 000 MW, et la conquête de Mars, entamée en mai 2021 par l’atterrissage d’un véhicule d’exploration sur la planète. 

De tels projets d’envergure devraient normalement resserrer les liens avec les autres nations impliquées dans la recherche spatiale – et vu leur intérêt brûlant, un témoin comme le spationaute français Thomas Pesquet estime le rapprochement inéluctable, notamment pour lancer l’humanité à la conquête de Mars.

Aujourd’hui pourtant, on en est loin. Depuis des décennies, les Etats-Unis s’interdisent par la loi toute coopération avec la Chine dans ce domaine. La confiance manque. Ici, le fait que ce programme soit sous la tutelle directe de l’Armée Populaire de Libération, et l’orientation ombrageusement nationaliste du pouvoir chinois, ne permettent malheureusement pas d’augurer d’un rapprochement avant sans doute des années avec les autres puissances spatiales, Russie exceptée – sous réserve ! 

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1 Commentaire
  1. severy

    Fantastique avancée de la Chine dans le domaine spatial. On ne peut que se réjouir des très nombreuses avancées scientifiques auxquelles ce nouveau venu ne devrait pas manquer de contribuer grâce à cette réalisation typiquement … pacifique.

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