Le Vent de la Chine Numéro 14 (2020)

du 12 au 18 avril 2020

Editorial : 76 jours plus tard

Après 76 jours, Wuhan était enfin libérée. Le 8 avril marquait la fin d’une quarantaine stricte pour la mégalopole de 11 millions d’habitants. Pour l’occasion, la « ville héroïque », telle que surnommée par le Président Xi Jinping, avait préparé un show lumineux sous le clair de la super lune rose, tandis que les habitants sortaient leur drapeau et entonnaient l’hymne national. Ceux pouvant prouver qu’ils sont en bonne santé par un code QR « vert » pouvaient enfin quitter la ville, rejoindre leurs proches et leur travail. Dans la journée, ils furent au moins 55 000 à se ruer à la gare et au moins 10 000 à l’aéroport. Même Chen Yixin, lieutenant du Président Xi Jinping envoyé superviser la bataille, pliait bagage, laissant derrière lui la vice-première ministre Sun Chunlan se charger des derniers efforts de lutte épidémique. Pourtant l’accueil réservé à ces « revenants » du Hubei n’est pas forcément chaleureux : ils sont évités comme la peste, discriminés à l’emploi. D’ailleurs, toutes les villes hôtes exigent à nouveau un test nucléique (voire deux) une fois à destination. C’est ce qui a conduit la CCTV à lancer une campagne : « les gens du Hubei ne sont pas des virus ». « Ne les discriminez pas, mais montrez-leur plutôt votre compassion » pouvait-on entendre à la télévision.

Le journal du Parti, le Quotidien du Peuple, rappelait toutefois qu’il était nécessaire de rester sur ses gardes. Et pour cause : en une interview (supprimée a posteriori) du Dr Yang Jiong de l’hôpital de Zhongnan (Wuhan), accordée au Health Times, le médecin affirmait qu’il reste encore 10 000 à 20 000 cas asymptomatiques en ville, faisant craindre une seconde vague de contaminations. Début avril, le statut de 70 résidences « sans épidémie » était révoqué après que plusieurs habitants testent positifs au virus, sans développer de symptômes. Cette délivrance de Wuhan est donc avant tout éminemment symbolique, puisque le contrôle reste strict dans les résidences, et que toute sortie ou voyage superflu est déconseillé.

Pour beaucoup, ce 8 avril était l’heure de faire le bilan de ces 11 dernières semaines. Ce drame a bousculé leur manière de voir les choses : la famille et la santé d’abord, le travail après… Durant le confinement, le journal intime le plus marquant a probablement été celui de la célèbre écrivaine de 64 ans, Wang Fang. Entre le 25 janvier et le 25 mars, Fang Fang (方方) de son nom de plume, partagea en 60 lettres, ses doutes, ses peurs, son indignation, sa colère. En refermant ce chapitre de l’histoire de Wuhan, cette « correspondante de guerre » redoute que ceux qui ont survécu oublient pourquoi ceux qui ont disparu sont décédés. « S’il n’y a pas de travail de mémoire, ils seront morts en vain » confiait-elle dans une interview. Quoique l’ancienne présidente de l’Association des écrivains du Hubei ait ses fans et ses détracteurs, c’est l’annonce de la publication à l’étranger de son journal qui déchirait les réseaux sociaux. La légitimité de son témoignage était remise en cause : Fang Fang ne représente pas les 11 millions d’habitants de Wuhan. Le personnel médical oui, mais pas elle depuis son canapé ! Sa décision de le faire traduire en anglais et en allemand lui valut d’être traitée de « traître ». C’est bien connu : on lave son linge sale en famille : « informer la Chine d’accord, mais c’est impardonnable d’inviter ainsi le monde extérieur à interférer dans les affaires domestiques de la Chine ». Hu Xijin, rédacteur en chef du quotidien nationaliste Global Times, reconnaissait que « le journal avait une certaine valeur lorsque Wuhan était confiné, mais retiré de son contexte et publié hors frontières, c’est une autre affaire ». C’est un sujet brûlant qui ne mettra personne d’accord : ceux qui soutiennent Fang Fang seront qualifiés d’« anti-patriotiques », et ceux qui la condamnent seront « des radicaux sans conscience morale ». Même les modérés seront dénigrés pour ne pas prendre position. Certains dénoncent l’instrumentalisation de ce journal : si les détracteurs de Fang Fang gagnent la bataille de l’opinion en Chine, ses supporters utiliseront cette condamnation pour blâmer le gouvernement chinois.

Mais Wang Fang n’est pas la seule femme dont la reconnaissance à l’international lui vaut les foudres des internautes chinois : Hu Shuli, fondatrice du magazine Caixin, était accusée de salir la réputation de la Chine par ses reportages d’investigation, comme celui sur les files d’attente aux crématoriums de la ville. « Nous avons pu reconstituer 80% du fil des événements, mais n’avons pu publier que 40% de nos enquêtes », confiait un de ses reporters. Avec la libération de Wuhan, l’état de grâce accordé à Caixin semble prendre fin.


Agriculture : Une épidémie peut en cacher une autre

« Cette épidémie est aussi dévastatrice qu’une guerre », déplore Qiu Huaji, expert en maladies infectieuses. Le Dr Qiu ne parle pas du Covid-19, mais des dégâts infligés par la peste porcine africaine (PPA) au cheptel chinois. Comme pour le coronavirus, la PPA a provoqué une onde de choc dans le monde entier, s’étant propagée dans 10 autres pays asiatiques, moins bien préparés que la Chine, tandis que l’effondrement du cheptel chinois a fait exploser les prix du porc. Selon la banque hollandaise Rabobank, la fièvre porcine aurait emporté près de la moitié des cochons en Chine, soit plus de 200 millions de têtes. En septembre dernier, les pertes économiques étaient évaluées à un trillion de yuans (130 milliards d’€) par Li Defa, doyen de l’université de l’Agriculture de Pékin.

Il est bon de rappeler que la PPA n’affecte pas les humains (qui peuvent toutefois être porteurs sains) et que le Covid-19 ne touche pas les porcs. Par contre, la fièvre porcine est mortelle à tous les coups, tandis que le Covid-19 n’est fatal que dans une minorité des cas.

Face aux deux épidémies, la réaction initiale a été la même dans le monde entier. Au début, ce n’était qu’un virus inconnu émergeant à l’autre bout de la planète : « cela ne peut pas être si grave », « n’en font-ils pas trop ? », « la même chose n’arriverait jamais chez nous » ! Puis les pays se retrouvèrent très vite rattrapés par la réalité : « pourquoi n’avons-nous pas vu cela venir », « existe-t-il un vaccin » ?  Malheureusement non, aucun vaccin n’est pour l’instant disponible. Pour le Covid-19, des dizaines d’équipes de chercheurs à travers le monde y travaillent jour et nuit. Cela n’a pas été le cas pour la PPA : le virus porcin est connu depuis 100 ans, mais n’a jusqu’à présent pas été la priorité. Début mars, l’Institut vétérinaire de Harbin (disposant lui aussi d’un laboratoire P4) aurait mis au point un vaccin, deux mois après un institut américain lié à l’ARS (Agricultural Research Service). Car pour la Chine, le développement d’un vaccin contre la PPA est une priorité après que de faux sérums ont semé le chaos dans certaines régions. Malgré des résultats encourageants, des doutes subsistent : le vaccin dans lequel le virus a été atténué restera-t-il inoffensif sur le long terme ?

Autre facteur déterminant dans un contexte épidémique : les déplacements. Si le confinement strict du pays entier a sensiblement réduit la propagation du Covid-19, dans le cas de la PPA, diverses politiques ont en fait accéléré sa diffusion, notamment celle contre la pollution des cours d’eau. En effet, en 2015, le gouvernement a banni les élevages porcins dans de nombreuses régions du sud du pays. Au lieu de leur donner les moyens de se moderniser et d’améliorer le traitement de leurs déjections, les fermes ont été purement et simplement fermées. Or le porc est la viande préférée des Chinois avec 33 kg consommés par personne chaque année. Craignant une pénurie, l’Etat a mis en place un plan nommé « Elever dans le nord, consommer dans le sud » (南猪北养). C’est ainsi que près de 15%, des 689 millions de porcs élevés dans le pays en 2017, ont été transportés vivants dans des camions, sur des milliers de kilomètres du nord vers le sud, une pratique posant des risques importants de biosécurité. Résultat : alors que la PPA a mis plus d’une décennie à traverser la Russie, elle s’est répandue à travers le territoire chinois en neuf mois seulement.

Sous l’angle de la déclaration des cas, la ressemblance entre la PPA et le Covid-19 est frappante. Dans les deux cas, il existe des sites web proposant un suivi quotidien des foyers officiels. Comme pour le coronavirus, le nombre de cas de PPA dépend de nombreux facteurs : disponibilités des tests, subventions accordées aux fermiers, accès à l’information, attitudes culturelles face à la transparence… Voilà qui explique des bilans sensiblement différents selon les pays.  

En Chine : les indemnités promises aux paysans ont eu un effet pervers. En effet, le gouvernement central a promis des compensations (de 800 à 1200 yuans par tête), dont il supporterait la charge – à 40% à 80% selon les provinces – avec les gouvernements locaux, notoirement endettés. Or, pour éviter de payer la somme aux éleveurs, les autorités locales ont préféré passer sous silence les nouveaux foyers épidémiques, se refusant de tester les bêtes. Les cadres encouragèrent les éleveurs à ne rien dire, un seul cas de PPA entraînant l’abattage de tous les porcs à 3 km à la ronde, condamnant ainsi leurs proches voisins.

Cette divergence entre intérêts politiques de l’Etat central et ceux des gouvernements locaux a conduit à un nombre de cas sous-déclarés. C’est ainsi que les plus grandes provinces productrices n’ont recensé que quelques foyers depuis août 2018 : un seul pour le Hebei et le Shandong, et trois dans le Henan. De même pour les plus gros producteurs porcins qui avouent à demi-mot avoir été touchés par la maladie au sein de leurs exploitations, mais leurs cas n’ont pas été enregistrés. Ainsi, les éleveurs ont enterré leurs animaux morts et se sont dépêchés de vendre les survivants (malades ou non) à prix cassés à des « spéculateurs de porcs ». Ces derniers profitèrent de l’épizootie pour acheter ces porcs moins chers, puis les revendre à meilleur prix dans d’autres régions. Certains d’entre eux seraient même allés jusqu’à propager volontairement le virus (par drone) pour faire de bonnes affaires.

Depuis juillet 2019, les abattoirs sont contraints de tester tous les porcs qu’ils reçoivent. Pourtant, le ministère de l’Agriculture constatait que 7% des 2 000 échantillons prélevés en novembre testaient positif à la PPA. Trois mois plus tôt, les douanes australiennes dévoilaient que 48% des produits confisqués aux voyageurs chinois contenaient le virus… On le voit, la Chine n’a jamais été véritablement transparente sur l’ampleur des ravages provoqués par la PPA dans ses élevages. Officiellement le ministère de l’Agriculture a recensé 172 foyers épidémiques jusqu’à ce jour, ayant causé la mort de 1,2 million de porcs. Pourtant, le ministère reconnaissait en septembre dernier que le cheptel chinois avait rétréci de 41% par rapport à 12 mois plus tôt.

Courant janvier, le ministre Han Changfu déclarait que la situation s’était stabilisée. Pas par hasard, entre le 24 décembre et le 3 mars (période coïncidant avec le pic de l’épidémie de Covid-19), aucun nouveau foyer de PPA n’a été officiellement déclaré en Chine. Cependant, les professionnels du secteur n’ont cessé d’en observer sur le terrain. Preuve qu’elle n’a jamais disparu, la PPA a officiellement resurgi depuis le 3 mars : 8 nouveaux foyers ont été détectés du Sichuan à la Mongolie intérieure. L’écrasante majorité des cas concerne le transport illégal de bêtes entre différentes provinces, conduisant les autorités à lancer une campagne de répression de 60 jours de ce genre de délit (jusqu’au 1er juin).

Fort heureusement, la Chine a réussi à maintenir l’approvisionnement pendant l’épidémie de Covid-19, notamment en boostant ses importations,et en décongelant plusieurs milliers de tonnes de porc de ses réserves. Les deux premiers mois de 2020, la Chine en importait 560 000 tonnes, un boom de 158% par rapport à 2019, tandis que la production chinoise en 2019 chutait de 21% – la plus basse depuis 16 ans. L’Association des producteurs allemands (ISN) estime à 10 millions le nombre de tonnes importées par la Chine en 2020, ce qui n’empêchera pas un déficit de 12 millions de tonnes. Cette année, la Chine devrait produire 35 millions de tonnes, contre 54 millions avant la PPA.

Il devient donc urgent pour la Chine de repeupler son cheptel. Alors, un véritable « pont aérien porcin » est mis en place depuis la France pour envoyer en Chine les meilleurs verrats et truies. Plus de 4 000 de ces champions de la reproduction se sont déjà envolés vers Taiyuan (Shanxi) depuis le début de l’année, selon le spécialiste en génétique porcine Axiom. Six autres vols sont programmés en 2020. Nucléus, autre firme spécialisée (filiale de la Cooperl), a également envoyé 1020 porcs à Kunming (Yunnan) début mars – cinq autres vols sont prévus cette année. Il reste encore de la marge : la Chine aurait besoin d’au moins 150 avions pour repeupler son cheptel !

Dans le sens inverse, le gouvernement chinois incite ses entreprises à se lancer dans l’élevage porcin hors frontières, de préférence dans des pays aux relations stables avec la Chine et sans PPA. La tutelle de l’économie (NDRC) vient également d’autoriser fin mars les petits paysans (ils seraient 200 millions) à offrir leurs porcs en garantie pour souscrire à des prêts bancaires, visant à augmenter leur production. Mais il est peut-être trop tard, de nombreux petits fermiers ont jeté l’éponge et se sont reconvertis dans la volaille… Sur une note plus optimiste, une compagnie du Shandong aurait réussi à élever des “super-cochons » résistants à la PPA. On n’arrête pas le progrès !


Société : Poussée de fièvre xénophobe

Depuis quelques semaines, les comportements discriminatoires à l’égard des étrangers en Chine se multiplient. Simple loi du talion d’une réaction anti-asiatique à travers le monde ? Pas exactement. Cette xénophobie n’est pas tout à fait nouvelle en Chine : des ressortissants africains dénoncent depuis longtemps le racisme à leur égard, souvent excusé par une « méconnaissance » de l’autre. Toutefois, un sentiment anti-étranger plus général émerge dans le contexte pandémique actuel, accentuant les peurs des populations. En effet, une théorie soutenue à haut niveau voudrait que des militaires américains auraient importé le virus à Wuhan. Autre idée largement répandue : les étrangers seraient responsables du retour du Covid-19 en Chine, des nouveaux cas étant détectés chaque jour aux frontières chinoises. Une fausse impression puisque 90% de ces cas importés sont détenteurs d’un passeport chinois, dont presque la moitié d’étudiants. Qu’importe, les étrangers sont devenus des boucs émissaires tout trouvés en cas de nouvelle vague de contaminations. Ils sont implicitement accusés d’avoir manqué de solidarité en quittant la Chine, d’avoir abandonné le pays à la première difficulté. Les locaux s’indignent : « pas question de laisser ces « laowai » (老外, étrangers) venir gâcher tous nos efforts contre le virus ». C’est ainsi que lors de la fermeture des frontières aux étrangers fin mars, la Chine poussait un soupir de soulagement. Ce sentiment est alimenté par des incidents largement médiatisés, impliquant des étrangers qui se comportent mal et ne respectent pas les règles de quarantaine (un délit puni de 1 an à 10 ans d’interdiction de territoire). Une bande dessinée publiée sur WeChat allait même jusqu’à comparer certains étrangers à des « ordures à trier » (洋垃圾 yáng lājī – cf photo). La controverse poussait l’auteur – et non pas la censure, d’ordinaire très active – à retirer sa BD de la toile, quatre jours plus tard.

Symptômes de cette poussée de fièvre xénophobe, les étrangers se voient interdits d’entrée dans certaines boutiques, restaurants, hôtels, salles de gym, voire de certaines rues. Des ressortissants rencontrent aussi des difficultés à rentrer chez eux ou à louer un appartement. Le pouvoir des comités de quartiers leur serait-il monté à la tête ? S’ils font preuve d’autant de zèle, c’est qu’ils craignent de porter la responsabilité, en cas de nouveaux cas de la maladie… Créés sous Mao dans les années 1950 pour assurer un suivi local dans les quartiers, ces comités sont composés d’habitants « activistes faisant preuve d’un soutien dynamique pour assurer l’ordre moral et politique auprès du voisinage ». Ils sont 4 millions aux avant-postes de 650 000 communautés rurales et urbaines à travers le pays. Une instance qui a pris du galon au fil des années, et, en cette période de crise, elle s’est vue chargée de nombreuses responsabilités : prise de température aux entrées des résidences, recensement des allées et venues, distribution des livraisons, filtrage des personnes extérieures, supervision des quarantaines à domicile… Et même si le virus bat en retraite, cette mobilisation ne semble pas faiblir…  

En creusant, on s’aperçoit que la différence de traitement entre Chinois et étrangers est un point sensible. Le cas d’étrangers chouchoutés en quarantaine à Nanjing faisait scandale alors qu’une Chinoise se voyait lynchée pour avoir osé demander une bouteille d’eau à Shanghai. En temps normal, le traitement préférentiel des étrangers, notamment sur les campus universitaires (les étudiants étrangers bénéficiant de plus beaux dortoirs et de bourses), a déjà fait l’objet de polémiques.

On le voit, le fond du problème ne vient pas tellement du traitement réservé aux étrangers, mais plutôt des libertés que le régime refuse à ses propres citoyens, leur interdisant par exemple de s’installer librement dans les villes de leur choix (des limitations encadrées par le « hukou ») ou de donner naissance à autant d’enfants qu’ils le souhaitent (le planning familial n’en autorisant que deux par couple). Les Chinois ne sont également pas tendres entre eux. Par exemple, le rapatriement des étudiants coincés aux Etats-Unis durant la pandémie a suscité de nombreux débats, certains y voyant un traitement préférentiel réservé aux privilégiés. De manière générale, les Chinois originaires de la campagne restent considérés comme des « citoyens de seconde zone » par les élites des grandes villes. Un sentiment accru par la montée des inégalités sociales …

Autre expression de ce sentiment anti-étranger : fin février, le gouvernement avait sollicité l’avis du public au sujet des conditions d’attribution du permis de résidence permanente, accordé au compte-goutte depuis 16 ans. Depuis 2004, un peu plus de 10 000 « titres de séjour permanent » ont été accordés. Même si ces nouvelles mesures ne concernent qu’une toute petite minorité d’immigrants hautement qualifiés ou de riches investisseurs, de nombreux internautes s’inquiétèrent d’une vague d’immigration, particulièrement de musulmans ou d’Africains, redoutant selon leurs dires que « la Chine ne devienne la nouvelle France », compromettant « la pureté de la race chinoise, descendante de l’Empereur jaune ». En termes de chiffres, la Chine compte seulement 1 million d’étrangers sur 1,4 milliard d’habitants, soit 0.07% de sa population. A titre de comparaison, 2,2 millions d’étrangers résident au Japon (traditionnellement réticent à l’immigration), dont 320 000 de manière permanente, sur une population de 127 millions. Les USA comptent quant à eux, 44 millions d’étrangers, dont 13,2 de permanents, sur 327 millions d’habitants…

Face à cette montée du racisme, quelle est la réaction du gouvernement chinois ? Interrogé sur la stigmatisation des Africains à Canton (après que 5 Nigérians testent positifs), le porte-parole Zhao Lijian se contentait d’affirmer que le pays accorde une grande attention à ces incidents ponctuels et malentendus occasionnés durant la lutte anti-épidémique. Il ajoutait que le pays rejette tout traitement différencié et ne tolère pas la discrimination. De fait, la Chine ne manque pas une occasion de dénoncer la sinophobie à l’étranger.

Cette tendance xénophobe est révélatrice d’un mélange de complexes d’infériorité et de supériorité face à l’étranger. Lorsque la Chine s’est réouverte sur le monde, l’étranger était admiré, désiré… Depuis son arrivée aux affaires, Xi Jinping a mis l’accent sur la notion de « fierté culturelle » : les Chinois doivent être fiers de leur pays, des progrès accomplis ces dernières décennies, voire reconnaissants de la manière dont le Parti a protégé sa population contre le virus, soulignant la réaction tardive des pays étrangers et la jugeant à leur tour avec un brin de supériorité. Mais cette propagande nationaliste n’est pas sans effets secondaires… Le régime subit les conséquences de sa propre rhétorique : lui qui voulait attirer les meilleurs talents étrangers pour stimuler l’innovation du pays, il se retrouve en porte-à-faux avec l’opinion publique qu’il a lui-même poussée.  

Enfin, pour les expatriés qui envisageaient déjà de partir, cela peut être un argument de plus. Toutefois, pas sûr que ceux qui partent seront remplacés par de nouveaux venus… Même si les réactions racistes s’estompent après l’épidémie, globalement, ce n’est pas un signal positif pour les relations de la Chine avec le reste du monde.

Avec Caroline B.


Portrait : Qui est le Dr Zhang Wenhong, la coqueluche du public ?
Qui est le Dr Zhang Wenhong, la coqueluche du public ?

A Shanghai, qui ne connait pas le Dr Zhang Wenhong (张文宏) ? Le directeur du département des maladies infectieuses de l’hôpital de Huashan est devenu l’idole du pays pour son franc-parler et ses métaphores colorées.

Le médecin de 51 ans et leader de l’équipe de 60 experts chargée de la lutte contre le coronavirus à Shanghai, attirait l’attention du public pour avoir appelé le 30 janvier les membres du Parti (dont il fait lui-même partie) à relayer les équipes de soignants sur le terrain. « Je m’en fiche s’ils ne veulent pas, ils doivent y aller sans discuter », affirmait-il. Une déclaration qui lui valut une ovation du public. Même si sa franchise et sa forte personnalité n’ont pas dû faire l’unanimité en haut lieu, les autorités trouvent en Zhang un bon porte-parole pour donner confiance au public. Et cela fonctionne ! Un internaute écrivait : « Je ne crois qu’une seule personne : le Dr Zhang ». Alors que la population était inquiète et épeurée, le diplômé en médecine de l’université Fudan s’attacha à communiquer sur l’épidémie de manière compréhensible pour tous – suite à quoi il était surnommé le « Zhong Nanshan n°2 » (en référence à l’expert du coronavirus de 83 ans). Ainsi, malgré une surcharge de travail, ne dormant que quelques heures par nuit, le spécialiste trouve toujours un peu de temps pour donner des interviews. Par contre, il est réticent à l’idée de créer un compte Weibo, qui ne serait qu’une distraction pour lui. Il préfère publier ses commentaires sur le compte officiel WeChat de l’hôpital.

Maîtrisant la langue de Shakespeare suite à ses passages à Harvard et à l’hôpital Queen Mary (Hong Kong), le Dr Zhang Wenhong a également donné plusieurs vidéoconférences pour partager l’expérience shanghaïenne (555 cas, 7 décès, 422 guéris au 10 avril) avec ses confrères (italiens, américains, français, allemands), mais aussi pour rassurer la diaspora chinoise à l’étranger. Le 4 avril, journée de deuil national en Chine, l’ambassade de la RPC en France sollicita le Dr Zhang pour répondre aux questions de six représentants de la communauté chinoise. Il se voulait rassurant : sur les 700 000 Chinois installés en France (dont 40 000 étudiants), seulement une douzaine a été infectée. A propos de l’efficacité de l’hydroxychloroquine, prônée par le Dr Raoult, il restait prudent, rappelant la nécessite de réaliser d’autres études cliniques.

Et le natif de Wenzhou ne manque pas d’imagination pour illustrer ses propos. Questionné sur la possibilité d’un traitement, Zhang répondait : « avant que sortent les résultats cliniques, un médicament expérimental peut être comparé à une petite amie. Il ne deviendra une épouse que lorsque les résultats seront publiés » ! Dans le bestiaire du Dr Zhang, le SRAS et la grippe sont comparés à un tigre et un chat : deux félins qui ne présentent pas le même niveau de dangerosité pour l’homme. Concernant le Covid-19, au premier regard, on peut le méprendre pour un chien, mais il s’avère bien plus dangereux ! Il est plutôt semblable à un loup. Pour inciter les gens à rester chez eux, il déclarait : « considérez-vous comme un soldat : si vous vous ennuyez chez vous, c’est bon signe, cela veut dire que vous combattez le virus ». Au moment de la reprise du travail, il affirmait aux chefs d’entreprise : « je n’ai pas besoin de donations, seulement que vous permettiez à vos employés de travailler de chez eux, et que vous leur versiez un salaire. Voilà comment vous pouvez contribuer à la société ».

Le Dr Zhang est tout aussi habile pour éviter les questions taboues. Interrogé sur l’efficacité de la médecine traditionnelle chinoise (MTC) comparée à la médecine occidentale, le docteur répliquait : « c’est comme dans la vie de couple, si les partenaires sont heureux, pourquoi s’embêter à distinguer celui des deux qui contribue le plus » ? Lors d’une intervention organisée par l’ONG américaine Asia Society le 7 avril, le Dr Zhang qualifiait la question de la fiabilité des chiffres chinois de « trop sensible », et se contentait d’affirmer que la situation à Shanghai avait été prise en main à temps.

Car même le chouchou du public ne doit pas dépasser les bornes : le 28 février, lors d’une interview au China Daily, il s’opposait à la théorie de Zhong Nanshan selon laquelle l’origine du virus n’est peut-être pas chinoise. « Si le virus était venu de l’étranger, plusieurs villes chinoises auraient été touchées en même temps. Or Wuhan a été la première », répondait Zhang. Le lendemain, il exprimait à demi-mot son scepticisme quant aux « zéro cas » déclarés dans plusieurs provinces. Sans surprise, ces déclarations ont vite disparu de la toile…

Ce qui n’empêche pas le docteur Zhang de jouir d’une cote de popularité inégalée. Lors du départ du maire de Shanghai Ying Yong pour le Hubei, les internautes de la ville s’amusèrent : « Pitié, prenez-nous tout sauf notre directeur Zhang » ! On trouve déjà sur internet des produits dérivés à son effigie (coussins et coques de protection pour smartphone).

Plusieurs fans du sexe féminin voient en ce père de famille l’homme idéal. « Hormis le panda, personne n’a de cernes aussi charmantes », peut-on lire sur internet. « Pourtant, je n’ai pas la carrure de Zhong Nanshan », s’amuse-t-il.

Cependant, il fait aussi les frais de son exposition médiatique, des rumeurs allant bon train sur son salaire, le prix de sa consultation (380 yuans), ou le modèle de sa voiture… « Je ne dirige aucune société, et ne suis actionnaire d’aucune entreprise » se défendait-il. C’est que la vie privée est le talon d’Achille de ce héros du coronavirus : lors d’une interview, il cherchait à la protéger en tentant de dissimuler l’écran de son téléphone qui sonnait, affichant le nom de sa mère. A la grande déception de l’animatrice, il refusa de décrocher… Une fois le virus vaincu, le Dr Zhang espère retomber dans l’anonymat : « je disparaitrai alors de la scène médiatique. Si vous venez à Huashan, il sera difficile de me trouver, je me cacherai dans un coin ».


Petit Peuple : Dali (Shaanxi) – La gloire de Wen Fang (2ème partie)

En 2016 à Dali, Wen Fang veut depuis des années faire carrière dans la beauté féminine – il décide, à 25 ans, de sauter le pas…

A l’aide d’un simple smartphone, Wen Fang commença à se filmer en tenue de mannequin, habillé de ses propres créations pour femmes. De prime abord, il recycla d’antiques nippes de sa mère et de sa grand-mère, oubliées dans l’armoire, robes et chemisiers plus solides que raffinés, et tellement démodés qu’ils revenaient à la mode. Formé par son école professionnelle à toutes les tendances de la haute couture, Wen Fang les avait hardiment découpés, redessinés et recousus. Il ajouta à cette base d’autres textiles et accessoires d’autres mondes, aux couleurs chatoyantes pour pallier la décoloration de ces étoffes portées des décennies : ses tenues associaient ainsi foulards, pin’s, leggings, shorts… Comme chaussures, il alternait les talons hauts ou les simples baskets.

S’inspirant de ses années de pose comme modèle, à l’école, il s’efforçait de perfectionner sans cesse ses performances, effaçant et reprenant l’habillage, le maquillage, la démarche, la prise de vue. Devant tout faire par lui-même, chaque tournage nécessitait un énorme temps de préparation.

Pour ses défilés « one man show », il marchait l’amble, se déhanchant sur la terre battue d’une grange de stockage du sorgho en saison – seul endroit de la ferme où son père ne risquait pas de le surprendre en plein tournage. En effet, ce dernier, de la vieille école, ne supportait pas les tendances d’éphèbes de son fils, et s’il avait appris ses loisirs « dégénérés », il n’aurait pas hésité à lui administrer une sévère volée ! Une autre raison à son obsession de discrétion, était le désir de protéger sa famille des racontars. Il s’était en effet vite rendu compte, en se promenant en ville qu’il faisait jaser. Quoique sagement habillé en garçon, il ne pouvait s’empêcher de porter collier ou bracelet, et une très légère touche de maquillage – à cause de cela, il entendait sur son sillage lazzis et ricanements. Or, s’il était prêt à supporter ce genre d’humiliation pour lui seul, il n’était pas question d’en faire subir les conséquences à ses parents et ses deux sœurs.

Redoublant de prudence, Wen Fang ne sortait donc faire ses shootings qu’une fois son père parti aux champs, ou la nuit, en branchant la lampe baladeuse. Par la suite, il découvrit d’autres lieux de tournage, tous choisis pour leur absence de tout passage humain, tel ce sentier de glaise ferme au bord de la rivière Wei, parmi les saules et les aulnes, ou le cimetière du bourg. A vrai dire, ces sites lui convenaient aussi pour une autre raison : leur aspect un peu triste donnait à ses films un charme ineffable, composé d’atmosphère décalée et improbable. Il s’efforçait d’ailleurs de reproduire les grands mannequins du moment, égéries de la mode – Liu Wen, He Sui ou Sun Feifei étaient ses maîtres.

Tout ce travail filmé, il le conserva sous le manteau trois ans, accumulant les designs dans toutes les directions, décolletés, voiles, casques de moto, lunettes punks ou rétro, tenues extra-terrestres… Il gardait le souci de consolider et valider son art, de ne rien laisser au hasard pour se faire accepter, le jour où il se sentirait prêt. Durant tout ce temps, il combinait donc deux personnalités, deux agendas et deux habillements, chaque soir vêtu en homme dans son salon de karaoké pour gagner sa vie, sinon, créant ses collections le reste du temps.

Ce n’est qu’en août 2019 que surmontant ses peurs, Wen Fang s’estima prêt et mit ses premiers films en ligne. Le précédent de Liu Kaigang l’aida à sauter le pas : de près de 10 ans son junior, ce garçon s’exhibait en ligne dans des tenues féminines de sa création, et venait en quelques mois d’accumuler 2 millions de visites. Pour Wen Fang, le résultat dépassa toutes ses espérances : dès la première semaine, il dépassa les 30 000 clics, les articles louangeurs se multiplièrent dans les revues spécialisées et sur internet, puis dans la grande presse dont les envoyés spéciaux venaient faire antichambre à la ferme, en attente d’interviews. Fin 2019 vinrent s’accumuler les offres de compagnies en mal de célébrités montantes pour promouvoir leurs produits: marques de sous-vêtements, de montres, parfums, crèmes de visages et même, à la grande surprise du jeune homme, pots, vases et verres qu’il est prié de présenter lors de ses défilés.

Voici donc Wen Fang bloggeur cosmétique à plein temps, et payé pour le faire. En décembre, il comptait 350 000 personnes suivant ses émissions. L’explosion du Covid-19 et la mise en confinement de centaines de millions de Chinois ont encore changé la donne. Tous ces gens en mal de sortie, ont besoin de découverte de mondes inconnus, virtuels pour remplacer d’urgence leur univers perdu : ce sont alors des millions qui cliquent sur sa page.  Wen Fang peut désormais s’offrir tous les jacquarts, taffetas, tulles, soies sauvages ou cotons d’Egypte dont il rêve, ainsi qu’un caméraman pour soutenir la concurrence des autres bloggeurs. De la sorte, il gagne sa vie à faire ce qui lui plait: « avec de l’argent, on peut atteler le diable à son moulin » (有钱能使鬼推磨, yǒu qiánnéng shǐguǐtuī mò).

Ce succès lui permet aussi de défendre son choix de vie face à son père, et d’aider ses deux sœurs, l’une aux études, l’autre mère avec enfant à charge. Il lui a aussi apporté de l’assurance : à tous ceux qui continuent à l’abreuver d’insinuations graveleuses sur sa passion de l’habit féminin, il n’a qu’une réponse, douce et pleine de sagesse : « sans la beauté, à quoi bon vivre ? Et aux yeux de la beauté, votre sexe est profondément indifférent ! »


Rendez-vous : Semaines du 11 avril au 8 mai
Semaines du 11 avril au 8 mai

Notez qu’en raison de la situation actuelle, certains évènements ont été annulés ou repoussés à une date ulterieure (voir ci-dessous):

9-12 avril, Shanghai : CMEF – China Medical Equipment Fair, Salon chinois international des équipements médicaux, reporté au 3-6 juin

15 -17 avril, Pékin : CIHIE – China International Healthcare Industry Exhibition,Salon chinois international de l’industrie de la santé, reporté au 24-26 juillet

15 avril – 5 mai, Canton: Canton Fair, Foire industrielle internationale qui expose notemment dans les domains des machines-outils,  bâtiment et construction, décoration, ameublement, luminaire, electroménager, domotique, électronique, mode et habillement, reporté – l’exposition se fera en ligne de la mi-juin à la fin juin – date exacte à confirmer

15 avril – Sommet Chine-CEEC « 17+1 » à Pékin, annulé

18 – 21 avril , Foshan: CERAMBATH, Salon chinois international de la céramique et des sanitaires, reporté – une exposition en-ligne est organisée du 28 mars au 18 avril

21-23 avril, Shanghai : ABACE – Asian Business Aviation Conference & Exhibition, Salon international des produits et services pour l’aviation en Asie, annulé

21-23 avril, Shanghai : IE Expo China, Salon professionnel international de la gestion et traitement de l’eau, du recyclage, du contrôle de la pollution atmosphérique et des économies d’énergie, reporté au 10-12 juin

21-30 avril, Pékin: Auto China,Salon international de l’industrie automobile, reporté du 26 septembre au 5 octobre

22 – 24 avril, Shanghai : NEPCON China, Salon international des matériaux et équipements pour semi-conducteurs, reporté au 17 – 19 juin

23 – 26 avril, Shanghai : SWTF – Shanghai World Travel Fair, Salon mondial du tourisme, reporté au 30 juillet – 2 août

24 – 26 avril, Shenzhen : LED China, Salon mondial de l’industrie des LED, signalisation, éclairage, affichage, reporté – date à confirmer

27 – 29 avril, Shanghai : HDE – Shanghai International Hospitality Design & Supplies Expo/Hotelplus, Foire internationale du design hotelier et des espaces commerciaux, reporté au 12-14 août

Début mai (date à confirmer), Pékin : Session des deux Assemblées (CCPPC et ANP, Lianghui, 两会). Prévue initialement début mars, c’est la première fois que la session des deux Assemblées est reportée depuis 1999, année depuis laquelle sa date est fixe.

6 – 7 mai, Suzhou : Chinabio Partnering Forum, Forum et exposition pour l’industrie des sciences de la vie, des biotechnologie et de la pharmacie, reporté – date à confirmer

6 – 8 mai, Canton : Paper Expo China, Salon professionnel international de l’industrie du papier, reporté en août – date à confirmer

6 – 9 mai, Shanghai : Bakery China,Salon international de la boulangerie et de la pâtisserie, reporté au 21 – 24 juillet

7 – 9 mai, Shanghai : FBIE – Food & Beverage China Fair – Import and Export/ Superwine, Salon international de Shanghai pour l’import-export d’aliments et de boissons et Salon du vin, reporté au 20 – 22 octobre

8 – 10 mai, Yantai :Yantai Equipment Manufacturing Industry Exhibition,Salon des équipements pour l’industrie manufacturière, reporté au 13-15 août

5 – 7 juin, Singapour : Dialogue de Shangri-La. C’est la première fois depuis 2002 que le forum annuel sur la sécurité en Asie est annulé.