Petit Peuple : Dali (Shaanxi) – La gloire de Wen Fang (1ère partie)

Est-ce l’environnement préservé de sa ville de Dali, à l’Est du Shaanxi, qui dès la plus tendre enfance éveilla le sens artistique de Wen Fang, malgré la condition paysanne de ses parents, plus versés dans la culture du millet ou du sorgho qu’en celle des romans ou des musées ? Certains s’imaginent ce jeune homme, encore enfant, baguenaudant dans la cité médiévale, entre monastères et pagodes, poternes dans la muraille et ruelles dallées de pavés ronds. Dès ses trois ans, le garçonnet aux traits graciles disait aimer « les jolies choses », et conservait jalousement une miniature dorée offerte par un moine de passage : portrait d’un chasseur en train de tuer une biche avec son arc. C’était une légende sacrée de l’Inde, lui avait dit l’homme en robe. Et depuis, le gamin ne cessait de rêver à des histoires de dieux, de dragons et de châteaux remplis d’objets d’art. Mais sa vision de la beauté était orientée : naïvement, dans son esthétique, la femme occupait l’avant-scène, et lui-même aimait se déguiser en femme, avec les robes et corsages devenus trop petits pour ses sœurs de 2 et 4 ans plus âgées. Ses maitres voyaient bien, non sans gêne, son goût pour les manières efféminées, mais comme il était premier de la classe, ils n’osaient le réprimander de peur de de voir ce jeune doué pour les études, s’en dégouter : ce qui aurait été jeter l’enfant avec l’eau du bain, ou « perdre la poignée de grain en voulant voler la poule » (偷鸡不成,蚀把米, tōu jībù chéng, shí bǎmǐ).

 Quand Wen Fang eut 15 ans vint pour lui le temps d’entrer au lycée – ses notes lui en donnaient le droit, aux frais de l’Etat, pension comprise. C’est là que, lors d’une sortie en ville, il tomba sur des magazines de mode, avec photographies de jolies femmes présentant les dernières collections de grands couturiers : la vision de ces êtres de rêve, maquillées et habillées à la perfection créa en lui une émotion intense. Il le ressentait soudain avec acuité, il savait qu’il venait de trouver sa voie. Il consacrerait sa vie au monde de l’habillement féminin, celui qui portait la femme à son pinacle. Une fois le « gaokao » (bac) en poche, il espérait pouvoir choisir l’école de mode qu’il voudrait.

Seul problème, sa mère ne l’entendait pas ainsi. Elle aurait préféré pour lui une bonne place dans les métiers de la santé. Pas docteur, certes – la famille n’aurait pas les moyens d’assumer six années d’études au prix fort, mais Wen Fang pourrait toujours arrêter à mi-parcours de la filière, pour sortir infirmier, ou aide-soignant. Le père lui, était plus restrictif encore : son garçon aurait dû arrêter complètement les études pour venir l’aider aux champs, pour produire avec lui sur leurs quelques « mus » de terre, trois tonnes de céréales et autant de tomates, poivrons et oignons, vendus sur les marchés de Xi’an…

Finalement, après moultes disputes, un compromis fut trouvé : le fils irait étudier le design graphique à Xi’an, à l’université provinciale des technologies de la mode. L’argument qui permit à Wen Fang d’emporter la partie, fut l’extrême modicité des frais d’écolage qu’il leur fit miroiter, promettant ainsi d’alléger les charges pesant sur le foyer. Ce qu’il avait finement évité de révéler, était que durant ces trois années du cycle d’études, il gagnerait sa vie et une partie des droits d’inscription en posant comme modèle féminin des cours de design de prêt-à-porter, d’uniformes professionnels et de collections pour défilés de mode !

Ces années d’étude furent les plus heureuses de sa vie, parce que les plus libres, et axées sur la découverte. Wen Fang rencontra une, puis deux filles, puis une myriade : ses camarades du beau sexe étaient trop heureuses de rencontrer un gars plutôt mignon et raffiné, n’ayant pas peur de pratiquer l’art avec son propre corps – en posant ou en peignant, et de sortir avec elles sans forcément prétendre aller plus loin… Elles se confiaient à lui, le prenaient pour confident. Il découvrait ainsi la chatoyante diversité de l’univers féminin et des multiples personnalités des filles, reflétées à travers leurs choix vestimentaires variables suivant les jours, compassé ou provocateur ou rangé, mais toujours d’une créativité audacieuse. Disons-le tout net : leur manière de l’habiller, l’intéressait davantage que leurs corps, ou que leurs histoires amoureuses !

Une fois diplômé, il retourna vivre à la ferme, où ses besoins premiers seraient pris en charge, tandis qu’il remettait à sa mère une partie de son salaire. Son premier emploi le porta dans un grand magasin de Xi’an, chargé de la promotion des gammes de crèmes de visage de Botao, designer de mode. Mais au bout d’un an, une fois qu’il eût constaté que l’employeur ne l’affecterait pas à la haute couture selon son rêve, il s’en alla pour s’employer, unpeu par provocation, comme serveur dans un bar nocturne de karaoké. Là, il gagnait davantage sur les quelques pourboires, mais il compensait par les rencontres qu’il faisait, les jeunes de tous les horizons qui venaient à cette adresse pour évacuer le stress en chantant : cela lui permettait d’approfondir sa vision du monde, à travers une vie de bohème.

C’est alors, à 25 ans, qu’il décida qu’il était grand temps de se jeter à corps perdu dans cette carrière dont il rêvait mais qui lui faisait peur en même temps. Il y fit ses premiers pas – malhabiles et chancelants, mais surtout clandestins…

Quels étaient ces premiers pas, et dans quelle direction ? On le saura, sans faute, au prochain numéro !

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1 Commentaire
  1. severy

    Notre héros se jeta à corps perdu dans la carrière… Bon sang, se serait-il suicidé après être devenu mineur de fond? Encore une histoire de suce-pinces à vous faire frémir pendant une semaine entière. La suite, viiiiite!

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