Petit Peuple : Shiquan (Shaanxi) – La seconde vie de Xu Xihan (1ère partie)

C’est l’histoire d’amis d’enfance, d’une amitié à la chinoise qui une fois donnée, ne se reprend plus de toute la vie. Né en 1975 à Shiquan (Shaanxi), fils d’ouvrier, Xu Xihan avait fait l’école communale avec Liu Zongkui, son aîné de trois ans, tout le long d’une enfance sage et rangée. Leurs voies se séparaient en 1996 : Liu partant travailler à Hanyin (Hubei) à quelques dizaines de kilomètres tandis que Xu, mineur à la mine municipale de fer à ciel ouvert, épousait Xie Xiping, à 21 ans.

Au début, Xu Xihan jonglait entre bonheur et succès avec son emploi stable, sa compagne Xiping, jolie et dure à la tâche, sa fille Tuxin née en 1997, et son fils Tuhao qui leur arrivait en février 2002. Une fille et un garçon, c’était grand signe de chance !

« Tonton » Liu Zongkui gardait le contact et revenait les voir, sans jamais oublier d’apporter une poupée, un paquet de « palets aux noix » pour les enfants, rien que pour le plaisir de faire sauter Tuxin ou Tuhao sur ses genoux. Les voisins admiraient le bonheur simple de Xiping et Xihan ainsi bénis d’un dragon et d’un phœnix.

Et puis la roue de la chance se grippa, s’arrêta aussi vite qu’elle s’était ébranlée. En mars 2002, lors du dynamitage d’une veine de minerai, une faute de minutage surprit Xihan en pleine zone critique, le laissant écrasé sous un rocher. Quand la dizaine de sauveteurs parvint à dégager le bloc en soulevant leurs barres à mine, le jeune homme avait le bassin brisé en 14 morceaux et la colonne vertébrale en bouillie…

Quand il se réveilla trois jours plus tard, dans une salle commune à l’hôpital, il sentit tout de suite que quelque chose de définitif s’était produit. Il lui manquait toute sensation, des hanches aux pieds. Palpant son corps des mains, il sentit les sondes et les drains—l’infirmière lui expliqua sans ménagement qu’il ne contrôlait plus le flux de ses entrailles. « Je sus que ma vie allait s’effondrer », devait-il dire beaucoup plus tard. Et de fait, trois mois plus tard, une fois invité à quitter son lit d’hôpital, il était paraplégique, incapable de marcher, de se tenir debout, et bien sûr de travailler. À 27 ans, il portait le deuil de toutes les facultés d’un homme. Solennellement, le patron de la mine accompagné d’une délégation de travailleurs modèles, fit un élégant discours de solidarité, avant d’ouvrir devant lui un sac de toile rouge contenant quelques liasses de billets, pour un total de 40.000 yuans, le viatique que la mine lui offrait, tout en le congédiant. Les mineurs le ramenèrent alors chez lui sur sa civière, à bord d’un camion. Ils portèrent la civière jusqu’au kang (lit de briques) de la pièce unique de leur maisonnée. Puis ils sortirent un à un, chacun faisant un petit geste d’adieu timide ou honteux. Le dernier ferma la porte sur sa vie d’avant.

Au début, la vie ne fut pas trop misérable –dès le départ, ils s’astreignirent à n’utiliser qu’en cas d’urgence l’allocation. Mais pour Xiping, les journées étaient dures. En plus de Tuhao, son nouveau-né, elle servait d’infirmière à la maison qui changeait, lavait et massait Xihan. Chaque jour elle devait aussi lessiver ses draps souillés. Entretenir leur « mou » de terre pour faire pousser légumes et pommes de terre, nourrir les poules… Dès 2006, elle n’achetait plus de viande. Quand, un jour de chunjie, elle acquit une demi-livre de poulet en promotion, Tuhao, à 5 ans, dévora avidement un bout de blanc cru, et se mit à mastiquer avidement. Xihan observait la scène en grinçant les dents d’humiliation.

La coupe déborda en 2007. Xiping, seule à la maison avec Xihan, tomba soudain en syncope, victime d’une intoxication alimentaire (après avoir consommé un produit avarié). Depuis son lit, Xihan s’efforçait par ses cris de donner l’alarme, longtemps en vain. Ce jour-là, la vie de sa femme ne tint qu’à un fil – la rescousse d’un voisin qui réussit à faire venir une ambulance. C’est à ce moment là que Xihan se jura de forcer Xiping à l’abandonner, reprendre sa liberté, s’arracher à l’enfer où il la tenait bien malgré lui. Quand elle fut de retour le lendemain soir, il lui annonça sa décision, et l’adjura de partir refaire sa vie, retrouver « un peu de joie ».

Elle repoussa la suggestion avec horreur : « les poules ont droit à ce qu’on les soigne et les sauve, mais mon mari devrait crever comme une bête » ? Ceci fut un des rares litiges entre eux, aucun des deux ne voulant en démordre. Xihan jurait ses grands Dieux que Xiping avait assez souffert : avec les enfants, elle devrait partir, que ça lui plaise ou non ! Face à l’orage dont les grondements traversaient les murs, les voisins murmuraient : « il n’y en a plus que pour trois mois avant qu’il ne se retrouve seul ». Quant à lui, il marmonnait, désespéré : « de toute manière, une vie pourrie comme celle-là n’en vaut pas la peine… » Ils touchaient le fond—de quoi craindre le pire !

Mais le pire vient-il toujours ? Pour en avoir le cœur net, un peu de patience, ami lecteur –s’il vous plaît. En attendant, pensez au proverbe bouddhiste : « même perdu en pleine mer amère, la terre est toute proche –rien qu’en  tournant la tête » ( kǔ hǎi wú biān, huí tóu shì’àn » 苦海无边,回头是岸 ).

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1 Commentaire
  1. severy

    Je suppose que le vieil ami de la famille va se pointer avec un beau bouquet de roses blanches et accompagné de son fidèle chien Pataud. Je prépare le mouchoir en perspective…

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